Édouard GLISSANT

Édouard GLISSANT



Comment taire la disparition de ce géant poétique qu’est Édouard Glissant (né le 21 septembre 1928, à Sainte-Marie, en Martinique) ? Le poète était en relation (terme qui lui était cher) avec Les HSE via Christophe Dauphin. Il devait collaborer au numéro 32 des HSE, en 2011... Les hommages ont été nombreux à l’annonce de la disparition, le 3 février 2011, à Paris, du poète martiniquais, à l’âge de 82 ans. Sa santé était très critique. Le fait n’était pas nouveau. En septembre 2009, Édouard Glissant avait déjà dû être rapatrié d’urgence de New York (il vivait entre les États-Unis, où il a longtemps enseigné, la Martinique et la France) vers Paris, à l’hôpital Georges Pompidou, en raison de sérieux problèmes cardiaques et pulmonaires. Sa vie durant, Édouard Glissant n’a jamais séparé sa création littéraire d’une réflexion militante, forgeant notamment les concepts d’ « antillanité » et de « créolité ». Il prolongea ainsi à sa manière, la « négritude » de ses aînés, Césaire, Senghor et Damas. Sa réflexion l’amena cependant à penser la « créolisation » comme un phénomène universel lié à la mondialisation des cultures, qu’il définissait ainsi : « Je peux changer en échangeant avec l’autre sans me perdre ni me dénaturer. » L’identité créole est constituée par trois siècles d’interférences : « Un Noir de Cuba, un Blanc de Guadeloupe, un Indien d’Haïti participent d’une même identité », soulignait-il. Militant engagé, il avait créé en 1959 le Front Antillo-Guyanais d’influence indépendantiste, puis autonomiste ; ce qui lui valut de connaître l’exil. Expulsé des Antilles et assigné à résidence en métropole, de 1959 à 1965, Glissant signa le Manifeste des 121 en 1960 (Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie). Poète, romancier, dramaturge, essayiste, il est l’auteur d’une œuvre prolifique et polymorphe, qui a ouvert la voie aux écrivains de la créolité, plus jeunes, tels que Patrick Chamoiseau avec lequel il publia le manifeste Quand les murs tombent (Galaade, 2007), pour s’opposer à la création, en France, d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale. En 2007, il fonda l’Institut du « Tout-monde », un site d’études et de recherches dédié aux mémoires des peuples et des lieux du monde, pour favoriser « la pratique culturelle et sociale des créolisations » et pour permettre la diffusion de « l’extraordinaire diversité des imaginaires des peuples. » Toujours dans l’esprit de promotion de la diversité, il avait salué, en 2009, l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis en lui dédiant L’intraitable Beauté du monde (Galaade, 2009). Le « Tout-Monde » de Glissant, est un concept qui repose « sur le désir de concevoir nos différences sans craindre les différences de l’autre ». Dans sa théorie du « Tout-Monde », Glissant affirme avec justesse que toutes les cultures se valent et échangent sans pour autant se dénaturer. C’est une conception qui s’oppose à la mondialisation, un espace sans frontières où tout un chacun peut exprimer librement sa pensée, un idéal humain et une philosophie humaniste qui ne s’enferment ni dans les a priori et idées préconçues ni dans les préjugés. Le poète du « Tout-monde » s’est toujours opposé à tout système imposé, à tout refus de l’autre. « Ci-gît Glissant. A-t-il vraiment cessé de trembler ? » Édouard Glissant imaginait ainsi, en 2005, l’épitaphe qui pourrait être inscrite sur sa tombe. Ironie du sort, le dernier colloque international sur son œuvre, fut organisé du 26 au 28 avril 2005, en Tunisie, à Carthage. Lors de l’ouverture du colloque, Mohamed El Aziz Ben Achour, ministre de la Culture du gouvernement Ben Ali, s’adressa au poète en ces termes : « La Tunisie aime ce que vous êtes : poète insulaire, vous avez su atteindre brillamment à l’universel, romancier de grande notoriété, vous vous êtes engagé au service des causes généreuses. Penseur ethnologue, vous contribuez puissamment à la défense des identités culturelles face au péril réducteur de la pensée unique et d’un modèle hégémonique. Et puis, comment ne pas l’avouer, la Tunisie vous aime aussi parce que vous avez chanté Carthage. » Le ministre ajouta que l’hommage de l’Académie tunisienne à Édouard Glissant « s’inscrivait dans le droit fil de la politique culturelle du Président Zine El Abidine Ben Ali : l’authenticité ouverte sur le monde, le dialogue des cultures, le respect de l’autre et de sa différence, le souci de l’excellence, l’honneur, enfin, de saluer la création et le talent. » Édouard Glissant répondit que son œuvre entendait être, avant tout, la dénonciation d’une longue oppression et l’appel au sursaut libérateur.  Nul doute que les peuples qui s’ébranlent aujourd’hui, dont le peuple tunisien, sont en écho complice avec le poète du « Tout-monde ».

César BIRÈNE

(Revue Les Hommes sans Épaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules



 
Dossier : HORIZONS POÉTIQUES DE LA MORT n° 31

Dossier: THÉRÈSE PLANTIER, UNE VIOLENTE VOLONTÉ DE VERTIGE n° 36