Alain MERCIER
Poète, essayiste, animateur (il a dirigé la revue Évohé), né le 7 janvier 1936 à Compiègne, Alain Mercier a publié son premier livre de poèmes à l’âge de dix-sept ans, aux éditions Seghers, alors qu’il terminait ses études secondaires au Lycée de Reims. Son goût pour la poésie s’est manifesté très tôt. Alain Mercier considère ses recueils de la vingtième année, comme des gammes ou des ébauches. Dans Vol, dans Errances, il a des colères, une flamme pour vivre, il sait culbuter le désir dans les fossés de l’imaginaire.
Depuis Itinéraire, Mercier s’est orienté vers un réalisme fantastique nourri à la fois par l’expérience quotidienne et par les traditions secrètes. Esprit tourmenté et insatisfait, sa poésie prend volontiers un tour énigmatique ou ésotérique, se hérisse d’épines et d’arêtes ou s’attarde à la sensation rare.
Serge Brindeau a bien remarqué que la nuit, dans l’espoir ou la crainte de l’aube, était le domaine d’Alain Mercier. Cette nuit est peuplée de puissances maléfiques, comme on le voit dans de nombreux poèmes, dont la qualité de la forme n’est pas sans rapport avec l’inspiration traditionnelle.
L’imaginaire, poursuit Brindeau, l’aide à supporter ce monde dont il redoute la cruauté, tout en paraissant parfois s’y complaire. Mais Alain Mercier, s’il joue avec son propre désespoir, se laisse aussi guider par des lueurs à la plupart d’entre nous invisibles. Alors il n’éloigne pas l’idée de pouvoir « dormir un jour sur le sable des dieux. »
Qu'Alain Mercier soit dans la vie courante, en pleine magie journalière, ou dans l’imaginaire, il cherche, ajoute Robert Sabatier, « le charme des poisons ou des fleurs vénéneuses en même temps que, parallèlement aux ombres, il illumine le poème, peut-être pour chercher des raisons d’être et de ne pas désespérer. Tout paraît « nimbé d’or céleste », de sensualité et d’une pureté recherchée au cœur du mystère. »
Guy Chambelland a présenté Alain Mercier comme « un magicien de l’imaginaire ».
Alain Mercier est décédé à Chatillon (Hauts de Seine), le 22 mars 2020, à l'âge de 84 ans.
César BIRENE
(Revue Les Hommes sans Epaules).
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Oeuvres d'Alain Mercier :
Poésie : Ligne de cœur (Seghers, 1953), Vol (Caractères, 1954), Paupières du jour (La Presse à Bras, 1954), Errances (P.J. Oswald, 1959), Itinéraire (Chambelland, 1964), Formulaire (Chambelland, 1969), Le Lion vert (Chambelland, 1973).
Essais : Les Sources ésotériques et occultes de la poésie symboliste : 1870-1914, deux volumes (Nizet, 1969 et 1974), Éliphas Lévi et la pensée magique au XIXe siècle (Nizet, 1974), (1974), Édouard Schuré et le renouveau idéaliste en Europe Rayonnement du symbolisme (Honoré Champion 1980).
Anthologies : La Mère et l’enfant (Pibole, 1979), Le Fantastique dans la poésie française (Pibole, 1980), La Poésie initiatique vivante (Les 4 Fils, 1983).
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Depuis l’enfance tu la connais la fière
La Camarde – ta voisine à la table
d’école ou de famille.
Avec elle tu as joué à la courte paille
Puis à la roulette russe pour savoir…
Dans la cour des grandes
Sous le préau des mises en quarantaine
Et sur la plage
Vous vous êtes plongés dans les mêmes eaux noires
Puis vient le tour des rapines,
Des portes closes aux jugements iniques,
Quand le matin propice aux rafles,
Aux contrôles, aux arrestations
Arbitraires – Crachote ou meugle
Vers l’indifférence aux yeux vides ;
On ferme sa fenêtre mais le poing
Brise la vitre et le corps jeune
Se jette du dernier étage
Pendant qu’on déjeune au café d’en face –
Et s’écrase l’insecte sur l’asphalte
Sans qu’un passant daigne tourner la tête
Valseurs – pantins de bois
Que l’on désarticule sous les spots
De la morgue où clignent les lampions,
Les phares braqués sur les suaires –
Soldats rangés en un coffret d’enfant
S’alignant à l’égal du dernier horizon
NOCTURNE
En flèche, le crépitement des sens
Disputé aux façades blêmes
Culbute sur les toits
Devant l’image de l’adoration perpétuelle
Les éternités en musique
Renvoyées aux calendes grecques.
Le geste épique du bonimenteur
Nargue le ciel sans étoiles.
Il pleut.
Le service d’ordre disperse
Les nuages abusifs.
MAGIE DES SIGNES
Nimbé de l’or céleste
Au soir des épousailles
Irais-je en l’Athanor
Plonger mon corps de foudre ?
Étanchant ma brûlure
Au liquide mortel
Je laverai mes plaies
Aux caresses du sel.
De la maison solaire
Illuminant ma nuit
J’assigne le corbeau
Aux noces du savoir
Pour cueillir la rosée
Du vase de nature
Quand les larmes viendront
Couronner nos vols d’aigles.
LOIN DE L’ESPRIT
Nous allons vers l’esprit
Disait le météore.
Mais il passait trop vite,
On eut peine à le suivre.
Le convoi des vivants ne s’en souvient
Que pour mémoire.
À bout de force en rase campagne
On l’immobilise,
Et ce n’est pas un accident de parcours.
L’esprit s’éloigne –
Un peuple d’ilotes bénit ses chaînes.
CONTRE-TEMPS
Le poids des origines à la minute liquide
Un grain de sable dans la machine chronométrique
Du tout-venant aux comptes à rebours
Vers les limbes
Le plasma menstruel des étoiles-naines
Virgulé de météorites.
Gibier de métronome
Siècle des siècles distribués au hasard
Sans ordre d’appel
Pour le visiteur dans l’antichambre du paraître
Siècles joueurs de cartes
Leurs doigts toujours mobiles
Sur la table d’Hermès
Dont l’émeraude incline
Vers les quatre points
Cardinaux – au défi du sextant
Vertige des aimantations
Siècles – la grenaille des jours cliquète
En leur sébile avant de fondre
Un métal plus froid que le bronze des antiques :
L’incorruptible ennui.
Toutes les pendules de la ville
Ont disparu l’une après l’autre
Cette nuit que les veilleurs
Ont désertée : le temps bascule au cadran
Bat la breloque.
Du plus loin que s’attarde
Un jeu d’éphémérides
Aucun repère fixe sur la trajectoire
Anonyme des âges
En chute libre
Hors du cercle
Où les gravitations croisent le fer
Sous d’obliques lumières.
Inutile à jamais la clepsydre
Goutte à goutte distillateur d’un éther fade
Depuis que les sphères modulent
Une musique atone et sans portée.
Le sablier grignote un pan d’éternité.
Au rythme d’une mer sapant le roc – ô siècle
Des siècles accumulés avec patience par l’oracle,
Ponctuelle – au dos le matricule indélébile.
Puis mis en fiches par l’Histoire – siècles
Croulant sous l’assaut des secondes fluides
En miettes de néant.
Alain MERCIER
(Revue Les Hommes sans Epaules).