Amir HASSAN

Amir HASSAN



Légende photo : Amir Hassan et Christophe Dauphin. Paris, 2012.   

Né en 1990, apatride comme ses grands-parents, expulsés de leurs terres en 1948 au moment de la création de l’État d’Israël. Amir Hassan n’est pas un citoyen, mais un numéro, scolarisé dans les écoles de l’ONU, à Gaza (Palestine).

Son père, écrit Léna Mauger (in revue21.fr) conducteur d’ambulance, rentre souvent couvert de sang dans le camp de réfugiés, avant de gravir les échelons des organisations internationales et de permettre à la famille nombreuse d’emménager dans une tour. À la maison, Amir, élève studieux, regarde la télé ou écrit des poèmes sur la guerre, les politiciens, le quotidien. En 2005, il autoédite un recueil en forme de passeport bleu. Les quatre cents exemplaires se vendent comme des petits pains, voilà le jeune poète coqueluche des médias. « On me disait que j’étais doué alors que j’écrivais des poèmes populaires dont j’ai honte aujourd’hui. J’avais 16 ans, j’étais quelqu’un, je fréquentais les journalistes et les intellectuels. » Il rêve de rester dans « ce monde de lumières » mais la fac des médias affiche complet. Il s’inscrit par hasard en études de français, « une langue morte à Gaza, sans avenir ». Un voyage linguistique à Perpignan le bouleverse : « Je me sentais vivant. Pour la première fois, je réalisais que notre vie n’était pas normale. » Amir participe à des concours d’écriture. Même avec une invitation étrangère, sortir de Gaza est un défi kafkaïen : à chaque remise de prix, les heures d’attentes inévitables à la frontière égyptienne l’obligent à payer un nouveau billet d’avion de sa poche.

Amir Hassan est diplomé en français de l'Université Al‐Aqsa, de Gaza. Son père est chauffeur. Sa mère est institutrice. Il est l’auteur de deux livres de poèmes (en arabe) : Le Temps bizarre (2007) et Le Battement de la rue (2008).

Amir Hassan écrit également, depuis 2011, des poèmes et des nouvelles en français. Grâce à une Bourse, en 2010, il a accompli un stage linguistique de trois semaines à Perpignan et a été lauréat du concours de nouvelles en langue française, réalisé à Gaza et en Cisjordanie, pour Le Premier visage fait le dernier voyage. Grâce cette nouvelle, Amir Hassan a été invité une semaine à Paris (en septembre 2011), où un prix lui fut décerné à l’Institut du Monde Arabe.

Membre du Centre pour la Paix de Gaza, Amir Hassan participe également au groupe de théâtre francophone gazaouï. Il rêve de voir la paix s’établir partout dans le monde.

"Le jour où j'ai pu aller dans les territoires de 48, écrit Amir, en 2013, on m'a pris pour un touriste étranger, pourtant je suis originaire de cette région, et pas de Gaza, où on nous prend pour des réfugiés. Nous sommes les enfants des Nations Unies, nous avions bu le lait qui portait le drapeau européen, et beaucoup de Gazaouis comme moi, croyaient que ce drapeau était la marque du lait distribué par les Nations Unies, et nous croyions que le drapeau du Japon était la marque de la farine distribuée aux réfugiés, car sur le paquet de farine, il y avait le drapeau du Japon. Et depuis toujours, on a préféré la marque du cercle rouge pour la farine et le drapeau bleu avec les étoiles jaunes pour le lait. Et le drapeau des Nations Unies était la marque des cahiers d'école. Et jusqu'à maintenant, quand je vois le drapeau européen, je pense au lait, et quand je vois le drapeau des Nations Unies, je pense à l'école. Deux mauvais souvenirs d'enfance : vous nous prenez pour des réfugiés par pitié, on vous prend pour des marques par habitude."

Dans le prolongement de « La Flottille, de Grèce à Gaza », spectacle créé en mars 2012, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, par la compagnie Erinna, Amir Hassan, qui a contribué à l’écriture de cette pièce par des poèmes inédits, a été invité une deuxième fois à Paris en avril 2012. L’objectif de ce séjour fut que la compagnie Erinna puisse approfondir son dialogue avec le poète tout en le présentant à un public qui n’est pas demeuré de marbre.

C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance d’Amir Hassan, un jeune gazouï, vif, intelligent, sensible, digne, d'une maturité et d'une humanité stupéfiantes. Ses textes sont bien sûr influencés par le drame que vit son peuple, divisé en trois (la Cisjordanie, la bande de Gaza, la diaspora), avec deux gouvernements pour un seul pays entièrement colonisé.

« En 1948, nous dit Amir Hassan, la population palestinienne été chassée de son territoire, par l’armée israélienne. La population palestinienne a été forcée de quitter sa terre, pour aller vivre dans d’autres pays voisins, comme réfugiée. Mais la Palestine n’est pas une terre de haine. C’est un pays qui sait aimer les autres et créer des liens d'amitiés avec toutes les nations. C’est pour cela que chaque rue, en Palestine, porte le nom d’un Etat… Finalement, la paix attendue vient de la culture, de la science et des relations internationales entre tous les pays du monde. Malgré la situation difficile que nous vivons ici en Palestine et à Gaza en particulier ; nous, Palestiniens, nous continuons à développer des liens d’amitiés sincères avec tous les peuples qui partagent, avec nous, les valeurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. »

Néanmoins, Amir Hassan n’entend pas et n’aspire pas à être, à l’instar de notre regretté ami Mahmoud Darwich, un poète politique ; mais un poète tout court. Et c'est sous ce seul aspect qu'il devra être lu.

En 2013, Amir obtient un poste d’assistant de langue arabe au lycée Henri-IV et à Sciences-Po Paris. Amir Hassan n'oublie pas Gaza, où "en 2020, ce sera une zone inhabitable à cause du manque d’eau et de la surpopulation. " 

Ce jeune poète en devenir écrit en arabe, langue qu'il enseigne en France à Paris, mais également en français.

Amir témoigne, en août 2018 : "Quand on me demande comment ça va, je réponds toujours que j’essaie de tourner la page. La page de Gaza. Oui, je veux oublier ce passé douloureux, violent et noir. Je veux oublier tous ces cadavres que j’ai vu passer sous ma fenêtre. Je veux oublier les scènes de bombardements et comment on ramasse la chair humaine dans des sacs en plastique dans les rues. Je veux oublier les opérations «Plomb durci» et «Pilier de défense». Je veux oublier les soldats qui ont cassé la porte de la maison quand j’avais 4 ans. Je veux oublier mes camarades de classe tués par les soldats à côté d’une colonie. Je veux oublier la bombe qui est passée au-dessus de ma tête dans ma chambre en 2008. Je veux tourner la page, mais j’avoue, c’est difficile. Difficile car cette violence ne s’arrête pas, Gaza est toujours sous les bombes. Toujours sans eau et sans électricité. 90% des Gazaouis vivent sous le seuil de pauvreté et l’administration de Trump vient de couper l’aide versée aux réfugiés palestiniens de Gaza, qui représentent 75% de la population et dont ma grand-mère fait partie. Ma grand-mère touchait tous les trois mois un colis alimentaire de l’ONU qui l’aidait à se nourrir. Avec la coupure de l’aide américaine, elle a peur.... 

Je n’écris pas pour dire : nous aussi, on souffre à Paris comme vous souffrez à Gaza. Mais pour dire : nous à Paris, nous ne pourrons jamais oublier Gaza. Chaque soir je pense à Gaza, et chaque matin je pense à Gaza. Cela fait bientôt cinq ans que je me lève le matin à Paris et la première chose que je fais, c’est lire la presse palestinienne pour voir les noms des morts de toutes les nuits à Gaza.

La vie doit triompher sur la mort, la vie doit continuer, ce sont des phrases qu’on dit aux gens qui ont perdu leurs proches et ce sont les mêmes phrases que mes amis me disent, comme si c’était déjà fait. On fait le deuil de Gaza, car personne ne croit à sa survie. On fait le deuil des vivants par ces petites phrases comme : la vie est belle. Oui, la vie est belle, sauf quand des gens déshumanisent les autres pour les tuer dans l’indifférence. La vie est belle quand elle est juste. La vie est belle lorsqu’on n’est pas obligé de faire le deuil des vivants... les gens ne choisissent jamais leurs malheurs. Je ne dirai plus jamais «Gaza, c’est triste». Je dirai : «Gaza, c’est inacceptable.» A chaque fois que le téléphone sonne, à chaque fois que je reçois un message, j’ai peur que ce soit la nouvelle de la mort de ma famille. Et malgré ça, par conviction, je dis aux gens : il faut aimer la vie, car quand on aime la vie on n’accepte pas que des injustices y soient commises."

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

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Vidéo : Amir Hassan, à la librairie Résistances, s'exprime sur la Cisjordanie, l'Egypte et la situation désespérée que subissent les habitants de la bande de Gaza : https://www.youtube.com/watch?v=zqaI4DLEzqU

Portraits croisés sur France Culture: Amir Hassan et Christiane Hessel. Mercredi 24 août 2016.

Amir Hassan est l'invité de l'émission D'ici D'ailleurs, sur France Inter, vendredi 11 mars 2016.

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QU’ALLAIS-TU FAIRE À GAZA ?

Qu'allais-tu faire à Gaza

Entre les ruines des souvenirs et les cadavres des roses ?

Entre les maisons du camps et les verbes du passé simple ?

Entre les vagues aveugles qui embrassent tes pieds et le sable brillant qui te brûle les yeux ?

Entre un ciel qui ne ressemble à rien et un temps quand il passe, il ne passe pas ?

Entre ces gens perdus sur le chemin de la vie ?

Et entre ces deux destins jumeaux qui s’entretuent ?

Qu’allais-tu dire à Gaza ?

A part les mots recomposés de tristesse et de peur ?

A part les mots muets qui font la manche par pitié ?

A part des phrases où le sujet est orphelin et le verbe est un martyr ?

A part ces paroles qui se suicident sur le carrefour des mots ?

Qu’allais-tu dire à Gaza ?

Qu’allais-tu faire à Gaza ?

A Gaza ne dis rien, ne fait rien.

Écoute le silence de la mort quand elle passe la tète inclinée,

Elle n’ose rien dire face à cette montagne de courage.

                     Amir HASSAN

                     (Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules



 
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