Aris ALEXANDROU

Aris ALEXANDROU



Écrivain et poète dont l’œuvre amère, désabusée, reste pourtant irremplaçable, Aris Alexandrou se situe en marge de tout courant littéraire comme de toute idéologie partisane. En lui consacrant ici quelques lignes qui ne sont pas seulement à mes yeux un hommage mais aussi un message d’amitié posthume – Alexandrou est mort en 1978, à Paris, deux jours avant la parution en français de son roman La Caisse –, j’ai conscience de réparer une injustice et de combler un manque.

La littérature grecque contemporaine a connu, dans les années d’après-guerre et jusqu’à la dernière décennie, trop d’écrivains serviles ou complaisants, trop de thuriféraires des différentes formes de dictature, qu’elles soient de gauche ou de droite, pour qu’on ne signale pas ici ceux qui surent s’en préserver. Né en 1922 en URSS, Aris Alexandrou vint en Grèce très jeune, il y grandit et y participa à tous les combats politiques, notamment ceux de la guerre, ce qui lui valut d’être emprisonné et même déporté pendant près de dix ans.

Le coup d’État des colonels d’avril 1967 le contraint à quitter la Grèce et il décide de s’installer à Paris où il demeurera jusqu’à sa mort. Alexandrou fut un militant au sens généreux de ce mot, militant de la liberté réelle et intérieure de l’homme, du refus de la soumission aveugle aux diktats, de quelque parti qu’ils viennent. La caisse est à ce titre un parfait chef-d’œuvre, qui fut d’ailleurs accueilli en Grèce comme tel. Du moins auprès des lecteurs à l’esprit libre, car il lui valut évidemment les foudres de la gauche stalinienne.

Je ne saurais ici résumer le contenu de ce livre prémonitoire, qui, dès les années 1970, dénonçait à sa façon, par de puissants et clairs symboles, la dictature inhumaine, absurde et suicidaire du Parti. Ce qu’Aris Alexandrou décrit avec une sorte de froide fureur poétique, c’est la totale déshumanisation dont sont susceptibles les hommes, dès lors qu’ils se soumettent à la discipline de fer qui les rend indifférents à leur propre mort autant qu’à celle des autres, le culte du parti entraînant non seulement la perte de la camaraderie, mais même l’oubli de la cause. Aris Alexandrou fut aussi un grand connaisseur des lettres russes et soviétiques et traduisit en grec de nombreux auteurs et poètes, dont Maïakovski, sur lequel il écrivit plusieurs essais.

Et puis il fut aussi poète. De façon plus discrète, ou plus secrète que pour sa prose, mais tout aussi incisive, décapante aussi. Certains poèmes sont habités d’un humour noir, obstiné, opiniâtre, dirais-je, qui en rend la lecture presque divertissante. En fait, et on le voit surtout en ses poèmes, on devine une tendresse sous-jacente, une générosité constante derrière l’amertume, l’âpreté même de certains textes.

Jacques LACARRIÈRE

(Revue Les Hommes sans Epaules).

A lire : Voies sans détour, édition bilingue grec-français, traduction & postface de Pascal Neveu (Ypsilon éditeur, 2015).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Jacques LACARRIERE & les poètes grecs contemporains n° 40