CHARLIE HEBDO

CHARLIE HEBDO



À CHARLIE ET AUX AUTRES

Communiqué de la revue Les Hommes sans Épaules


À 11h25, mercredi 7 janvier 2015, Saïd et Chérif Kouachi, deux paumés transformés en impitoyables chiens de guerre, ont fait irruption dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, pour « tuer Charlie et venger le prophète Mahomet ». Les deux frères sanguinaires ont ouvert le feu avec des armes de guerre et assassiné douze personnes. Déjà, en novembre 2011, les locaux de Charlie Hebdo avaient été incendiés, suite à la publication, à la une du journal, d’une caricature représentant Mahomet. Le dessin de Luz montrait le prophète, très joyeux, prononçant ces mots : « 100 coups de fouet, si vous n’êtes pas mort de rire ! » Le prochain numéro des HSE, en mars 2015, sera dédié à la mémoire des douze victimes : les dessinateurs Charb, Cabu, Wolinski, Honoré et Tignous ; Bernard Maris (économiste), Elsa Cayat (psychanalyste), Mustapha Ourad (correcteur), Michel Renaud (fondateur du festival Rendez-vous du carnet de Voyage), Frédéric Boisseau (agent d’entretien), Franck Brinsolaro et Ahmed Merabet (policiers). À leur mémoire est associée celle de Clarissa Jean-Philippe, la jeune policière municipale tuée le lendemain à Montrouge, et celle des quatre victimes du poison raciste et antisémite, lors de l’attaque du surlendemain à la Porte de Vincennes.

L’émotion a aussitôt saisi le pays, la population, les médias, pour s’étendre au monde entier. Charlie Hebdo, qui était au bord du dépôt de bilan et bien isolé dans son combat, venait de devenir le journal français le plus connu à travers le monde et se découvrait des millions d’amis et des aides à n’en plus finir : aide matérielle, humaine et financière. C’est bien, mais tard, tellement tard. Charb, Cabu, Wolinski, Honoré, Tignous et Maris avaient été assassinés. Il a fallu en arriver là. Cette juste indignation collective et internationale ne saurait faire oublier que Charb et ses camarades sont morts pour avoir défendu nos idées, nos valeurs de liberté et de laïcité. Ils sont morts pour avoir toujours désigné clairement ceux, qui, religieux et politiques, portent et propagent la haine et l’obscurantisme les plus abjects ; n’épargnant jamais personne, aucune religion, aucun milieu, aucune injustice. Si les frères Kouachi sont bien les monstres qui les ont exécutés, nous ne saurions oublier que parmi le concert des voix qui s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer ces horribles assassinats, certaines furent bien silencieuses ou désapprobatrices lorsque Charlie Hebdo dut subir les menaces intégristes et un procès, et ce après leurs homologues danois (en février 2006, l’hebdomadaire avait repris douze caricatures publiées par le quotidien Jyllands-Posten, qui avaient suscité protestations et violences). Charlie Hebdo aurait eu tort d’avoir raison ? C’est un fait, pour certains il y aurait des vérités qui ne doivent pas être dites et pas même dessinées, quitte à se réfugier dans le déni pour feindre d’ignorer la montée du fanatisme et des violences. Ces personnes, des imbéciles utiles à la barbarie intégriste, somme toute, n’ont pas manqué de s’exprimer par le passé pour affirmer que Charlie Hebdo ne devait pas publier de caricatures religieuses, lesquelles ne fustigeaient pourtant que l’intolérance et la bêtise, bien davantage que la foi. Communautaristes, faiseurs d’opinion bien-pensants, toujours prompts à imaginer de l’« islamophobie », de « l’antisémitisme » ou de la « christianophobie » dans la critique des intégrismes, se retrouvèrent alors pour tenter de faire rentrer Charlie Hebdo dans le rang. Ce fut en vain. Et Charlie Hebdo poursuivit son combat, seul, bien seul, dans une société qui suinte de plus en plus le mépris, la démission et le rejet de l’autre. Et, l’émotion retombée, tout va revenir à son point de départ, en pire, hélas. Mais cela n’a-t-il pas déjà commencé, avec les attaques qui se multiplient contre les musulmans et leurs lieux de culte ? Le plus aberrant, c’est que Charlie Hebdo a été harcelé et traité d’intolérant voire de raciste et que l’on a laissé les obscurantistes de tous bords se faire passer pour d’« injustes victimes d’une laïcité sectaire ». Charb, le directeur de Charlie Hebdo, a dénoncé cette dérive, lit du totalitarisme.

Contrairement à bien des médias et des politiciens, Charlie Hebdo n’a pas mis « d’huile sur le feu » et n’a fait qu’entretenir avec talent et courage le juste, nécessaire et vital délit de blasphème dans le pays de Voltaire et de Diderot, montrant que la lutte contre le racisme ne passe pas par l’enfermement dans les origines mais par le déploiement de l’universalisme, par la culture, le combat, le débat et la critique, la concrétisation de la citoyenneté et donc par la laïcité. « J’ai moins peur des intégristes religieux que des laïques qui se taisent », a pu déclarer Charb en 2012. 

Alors, pour notre part, nous éprouvons un certain malaise à dire « je suis Charlie », comme cela se clame partout. Trop facile, trop commode et surtout trop tard. « Je suis Charlie ! », c’est du vivant de Charb qu’il fallait le dire ; Charb, qui, avec ses camarades, a pris rang dans nos cœurs et dans nos mémoires aux côtés de Jean Calas, du Chevalier de la Barre, d’Étienne Dolet, de Claude Le Petit, de Jean Jaurès, de Romanin, de Jean Cavaillès, de Jean Prévost, de Robert Rius, de Maurice Audin et de bien d’autres, tous héros du combat pour nos libertés.

Christophe Dauphin, Paul Farellier, Alain Breton, Elodia Turki, César Birène & Karel Hadek.

Le Comité de rédaction des Hommes sans Épaules,
le 9 janvier 2015

Photo: Stéphane Charbonnier, dit Charb, directeur de Charlie Hebdo, dans les locaux du journal, le 19 septembre 2012.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : ALAIN BORNE, C'est contre la mort que j'écris ! n° 39