Claude ROY

Claude ROY



La présence de Claude Roy s’imposait dans ce numéro 51 des Hommes sans Epaules, puisqu’il y est question de son ami d’enfance Pierre Boujut (avec lequel l’entente fut fraternelle et orageuse, faite de ruptures et de réconciliations), de La Tour de feu (revue qui succéda à Reflets et Regains, que les deux amis cofondèrent), de leur Charente natale et de leur ville de Jarnac, qui fut aussi celle de François Mitterrand. Si Boujut n’eut jamais guère de relation avec ce dernier, Claude en fut l’ami et le condisciple durant ses études. Ils partageaient les mêmes idées politique : celles de l’extrême-droite. Claude avait à vingt ans rallié l’Action Française du monarchiste Maurras et admirait Thierry Maulnier comme Robert Brasillach (dont il refusera de signer la demande de grâce en 1945). Cela ne dura pas et fort heureusement.

Mobilisé en 1939 puis fait prisonnier, il s’évade en 1940 et rejoint la zone libre. Il écrit ses premiers poèmes, rencontre Pierre Seghers qui le publie, s’engage dans la Résistance au sein des Étoiles, une organisation où il rencontre André Gide, Paul Éluard, Louis Aragon et Elsa Triolet, qui, bien sûr le persuadent d’adhérer au Parti communiste en 1943. Rallié aux Forces françaises de l’intérieur lors de la Libération de Paris, il devient correspondant de guerre pour Combat, chroniqueur au journal Libération, critique littéraire, de théâtre et d’art, un grand ami de Pablo Picasso.

Reconnu comme poète, depuis Le poète mineur (1949) jusqu’à Élégie des lieux communs (1952), Claude Roy commence son œuvre de romancier, avec La nuit est le manteau des pauvres (1948). Sept autres suivront chez Gallimard, dont Le Malheur d’aimer (1958), Léone et les siens (1963) ou L’Ami lointain (1987). Ajoutons, une dizaine de livres de poèmes, dont les jalons sont peut-être, chez Gallimard, Poésies (1953), Sais-tu si nous sommes encore loin de la mer ? (1979) ou À la lisière du temps (1984), trente essais (sur l’art, les artistes, la poésie, la Chine, le théâtre, la littérature, le voyage…), une trilogie autobiographique (Moi Je, Nous et Somme toute). En 1956, l’intervention soviétique en Hongrie l’amène à rompre avec le PCF.

Claude Roy amorce sa collaboration à France Observateur à partir de 1957. Il y exprime son horreur du totalitarisme (ce qui donnera l’essai, Les Chercheurs de dieux, croyance et politique, Gallimard, 1981), et s’engage contre la guerre d’Algérie et la torture. Par la suite, critique virulent du maoïsme germanopratin, Roy dénonce le « hold-up » des Nouveaux Philosophes (André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy…) sur la question du goulag, en les qualifiant de « disc-jockeys de la pensée. »

Retour en Charente et à Jarnac. Il me souvient avoir interrogé Claude Roy à propos de Mitterrand. Claude leva la tête, regarda le ciel et se mit à me parler… des oiseaux, dont il était un fin connaisseur. Sur Boujut, Jarnac et La Tour, il fut beaucoup plus loquace. C’était en 1995. Cette année-là, Claude reçut le Prix-Apollinaire pour l’ensemble de son œuvre poétique. Il me fit inviter à la remise du prix le 8 juin, notamment pour y rencontrer un autre invité, de passage à Paris, son grand ami Octavio Paz, pour lequel, il le savait, j’avais beaucoup d’admiration : son œuvre, mais son pays aussi, le Mexique.

Paz avait lu quelques-uns de mes poèmes grâce à Roy et me fit signe de venir avec lui pour prolonger la discussion à table, mais… à vingt-six ans, je n’avais pas les moyens de m’offrir un déjeuner chez Drouant. Octavio, dont la générosité était aussi grande que sa poésie, le comprit. Alors il m’invitât. S’ensuivit pour moi un grand moment et quel échange. André Breton appelle cela, l’Or du temps.

Claude Roy devait mourir moins de deux ans plus tard, en 1995, à l’âge de 82 ans, du mal qui l’avait salement atteint en 1982 : un cancer des poumons. Octavio Paz est mort trois ans après Claude en 1998, à Mexico, à l’âge de 84 ans. Dans « Jamais je ne pourrai », poème absolu de la révolte et de l’amour, Claude Roy oppose les souffrances réelles, la douleur des hommes, aux prétextes iniques qui les justifient par un « parce que » dérisoire. Il dénonce la bonne conscience des bourreaux et leur haine (antisémite, raciste, anti-jaunes, mépris anti-pauvres, anticommuniste…) et surtout l’égoïsme et l’indifférence. Le poète dénonce là des réalités contemporaines, toujours actuelles.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : LA POESIE ET LES ASSISES DU FEU : Pierre Boujut et La Tour de Feu n° 51