Dino BUZZATI

Dino BUZZATI



Dino Buzzati, né le 16 octobre 1906, à San Pellegrino di Belluno (Vénétie), est décédé le 28 janvier 1972 à Milan.

"... C’est à guetter le lointain de l’avenir que demeurent occupés les héros de certains romans modernes : nous pensons en particulier au roman de Dino Buzzati, Le Désert des Tartares, et à deux romans de Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes et Un balcon en forêt. Le Désert des Tartares, parabole si justement célèbre du destin de l’homme et de sa raison de vivre, est tout entier le livre de l’attente, d’une attente elle-même tournée vers le lointain. Un fort, gardant une frontière montagneuse. Un officier assignant son destin à l’improbable d’une guerre espérée, dont les signes avant-coureurs sont guettés dans des trouées d’horizon : C’est du désert du nord que devait leur venir leur chance, l’aventure, l’heure miraculeuse qui sonne une fois au moins pour chacun. À cause de cette vague éventualité qui, avec le temps, semblait se faire toujours plus incertaine, des hommes faits consumaient ici la meilleure part de leur vie. […] En attendant la tombée de la nuit, Giovanni resta à regarder la plaine septentrionale […] il pouvait la voir tout entière, jusqu’aux extrêmes limites de l’horizon, […] C’était une sorte de désert, pavé de rochers, avec, çà et là, des buissons bas et poussiéreux. À droite, tout au fond, une bande noire qui pouvait aussi être une forêt. Sur les côtés, l’âpre chaîne des montagnes. Il y en avait de très belles […] Et pourtant, personne ne les regardait ; tous, Drogo et les soldats, avaient instinctivement tendance à regarder vers le nord, vers la plaine désolée, sans vie et mystérieuse. Ce regard vers l’espace est illimité. Mais le temps de l’attente est lui aussi sans limite pour le jeune lieutenant (et le cours du livre retracera, comme la vie, un apprentissage du temps) : Que de temps devant lui ! Une seule année lui paraissait déjà interminable, et les bonnes années venaient à peine de commencer ; elles semblaient former une série illimitée dont on ne pouvait apercevoir le terme, un trésor encore intact et si grand qu’on pouvait courir le risque de s’ennuyer un peu. Il n’y avait personne pour lui dire : « Prends garde, Giovanni Drogo ! » Illusion tenace, la vie lui semblait inépuisable, bien que sa jeunesse eût déjà commencé de se faner. Mais Drogo ignorait ce qu’était le temps..."

Le roman Le Désert des Tartares, publié en 1940, a rendu Buzzati célèbre dans le monde entier. Les thèmes de l'attente, de la peur et du mystère sont liés à l'atmosphère d'incertitude qui précédait la guerre, agrémentés d'une dimension surréelle, qui distingue la poétique de Buzzati. En effet, Le Désert des Tartares révèle un maître de la littérature. En raison de cette veine surréelle, la critique a proposé de rapprocher Buzzati tantôt de Kafka, tantôt de Poe, tantôt de Gogol, mais la construction fantastique de ses récits se déroule moins sur la base de la lecture de ces classiques que sur la conception du monde de l'écrivain. On lui doit d'autres romans (L'Image de Pierre, 1960 ; Un Amour, 1965) et surtout des contes fantastiques qui remportent un franc succès (Les Sept Messagers, 1942 ; Panique à la Scala, 1949 ; En ce précis moment, 1950 ; L'Écroulement de la Baliverna, 1957 ; Le K, 1966 ; Les Nuits difficiles, 1971). Il a produit en outre des poèmes (Le Capitaine Pic, 1965 ; Poème-bulles, 1969), des fables (La Fameuse Invasion des ours en Sicile, 1965) et quelques œuvres théâtrales (Un cas intéressant, 1953 ; La Fin du bourgeois, 1968). Son œuvre picturale se distingue aussi par sa veine surréaliste.

Paul FARELLIER

(Revue Les Hommes sans Épaules).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : DIVERS ÉTATS DU LOINTAIN n° 34