Endre ADY

Endre ADY



Endre Ady (1877-1919), poète charnière de l’histoire de la poésie hongroise du XXe siècle, est l’aîné capital, le poète-prophète pourfendeur des temps anciens. La poésie, en lutte pour la modernité, rejoint le politique et le social. Rarement dans l’histoire, un poète aura autant embrasé et embrassé un pays, un peuple, une langue, tout en culminant dans l’universel. Livré à la rage d’aimer et d’être aimé, le poète sera la proie d’une angoisse existentielle, qui ne le quittera jamais : Celui qui voit avec mes yeux le monde et soi-même dans le monde, accepte par là-même la mort, le dépérissement, l’anéantissement, écrit Ady.

Il est vrai qu’à compter de 1905, année de la parution de son recueil, Poèmes nouveaux, le prestige d'Endre Ady (dont on ne trouve malheureusement qu’un seul livre en français, Poèmes, présentation et traduction d’Armand Robin, Le Temps qu’il fait, 1981) allait croissant pour s'imposer de façon indiscutable. Ce n’est pas par hasard que la revue phare des lettres hongroises, Nyugat, et le courant symboliste qu'elle représentait, accorda une nette priorité à sa poésie. S'opposant au conservatisme étroit, cette revue et ses représentants se mirent, dans un premier temps, au service de la modernité, de l'esthétisme, de l'art pour l'art, et de ce qu'on appelait à l'époque : la décadence.

Endre Ady a évolué dans un réel climat révolutionnaire. Il n’est pas le seul élément de valeur au sein de cette « génération 1900 ». Car c'est entre 1900 et 1910 que s'affirment les écrivains fondateurs de la littérature magyare moderne, nourris de culture occidentale. Manifeste véritablement révolutionnaire, les Poèmes nouveaux d’Endre Ady, largement inspirés par le premier séjour de leur auteur à Paris, sont publiés en 1905. Dans une éclosion d'images et de mots novateurs, ils veulent attirer une Hongrie archaïque et « orientale » vers la modernité de « l'occident ».

La littérature hongroise du XXe siècle, naît véritablement, dans la foulée, de la création, en 1908, de la revue Nyugat (Occident). Revue littéraire bimensuelle fondée et dirigée par Hugo Ignotus. Autour d’Endre Ady, se regroupent des écrivains ne supportant plus le confinement culturel de leur pays, qui reste à l'écart des grands mouvements artistiques européens. L'élite hongroise est encore imprégnée de l'idéologie post-romantique du XXe siècle, qui entretient le culte du passé magyar. Le projet de la revue n'est pas d'imposer une ligne esthétique mais d'accueillir des écrivains d'horizons différents et de sensibilités littéraires diverses. Nyugat accueille surtout des poètes, mais aussi des romanciers. Nyugat, revue fondée dans le brouhaha du New York Kavehaz, et qui perdurera jusqu’en 1941, est un véritable laboratoire d'idées, qui réunit les meilleures plumes de la capitale. Si la première génération sera liée à l'esprit ouvert et moderniste de la capitale ; d'autres écrivains de la mouvance populiste seront davantage sensibilisés au sort misérable des campagnes. 

Si la poésie d’Endre Ady annonce et inaugure la modernité poétique, cette modernité, la Hongrie en est dépourvue à la naissance du poète en 1877. La Hongrie est toujours marquée par l’insurrection et la défaite des indépendantistes, en 1848, contre l’Autriche ; insurrection qui a généré le « compromis » de 1867, soit l’instauration de la monarchie austro-hongroise. Ce « compromis » a jeté les bases d'une Hongrie moderne, certes, mais sous la botte autrichienne. Vingt-neuf ans plus tard, en 1896, la Hongrie fêta avec faste le millénaire de la conquête du pays par Arpad et les magyars. Mais cette autosatisfaction ne put cacher le réveil des minorités, les tensions avec le pouvoir central de Vienne, l'instabilité politique. Les poètes hongrois, Ady, aux premières loges, sont les témoins actifs de la fin de ce monde.

1918. La fin de la guerre entraîne la chute de l’Empire austro-hongrois. Endre Ady vit ses derniers mois : Plus humilié que les plus humiliés, - J’examine mon cœur, mon corps, mon âme : - Où est la fièvre folle du prophète - Qui remontait vers le ciel avec rage ? - C’en est donc fini, des imprécations ? Ady, laminé, vit cloîtré dans son appartement du centre de Budapest. Endre Ady, malade, épuisé, usé par cette pulsion viscérale qui n’a cessé de le porter vers l’ivresse et l’autodestruction :  Le désir m’a haché, le baiser m’a saigné, - Je suis plaie, braise, faim de neuves tortures, - Donne-moi des tortures, à moi l’affamé, - Je suis plaie, baise-moi, brûle-moi, sois brûlure ; Endre Ady vit ses derniers jours, avec la joie, au moins, d’avoir vu sombrer sous les décombres de la guerre, un vieux monde abhorré. 

Fappé d’apoplexie, il meurt le 27 janvier 1919 : Ecoutez, vous tous, le susurrement des soirs, - Ecoutez, vous tous, le frais soupir des matins : - Car dans les rues de Budapest, dans le silence – Des villages, partout, il tremble des colères. – Notre pas de colosse ébranlera la terre – Et nous verrons ce que jamais ne vit notre œil : - Dans la chaleur de cet été fondre la glace – De notre amère et hongroise malédiction.

Endre Ady disparaît dans sa quarante-deuxième année, alors qu’il en paraissait vingt de plus, broyé par la maladie, l’abus de drogues et d’alcool. Hanté par la mort, par Dieu et le suicide, il avait séjourné plusieurs années à Paris, en compagnie de Leda, femme mystérieuse, possessive et ambitieuse. Il y fréquenta les symbolistes français, tout en écrivant des poèmes mêlant la tradition et le folklore hongrois à la vie moderne : Caillou en élan lancé, passivement sauvage, - Ô mon pays si petit, exemplaire image sur ton visage – S’abat ma ressemblance.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : ATTILA JÓZSEF et la poésie magyare n° 27