François LAUR

François LAUR



François Laur, ce poète n’est pas un inconnu dans la mesure où son œuvre existe, elle a été publiée et reconnue par une minorité de lecteurs et de critiques, certes, mais éclairés. François Laur est un poète méconnu. Atteint d’un lourd handicap, dont il ne parlait pas ou peu. Il ne se plaignant jamais, bien au contraire : « Nous voulions vivre sans attendre », écrit-il. Et, malgré le fait de ne savoir à l’abri d’aucun fiasco (« J’ai subi abandon, prunelles au vinaigre, froideur de l’ami, larmes d’une trahie ; j’ai veillé des agonies. Mais depuis ta venue, rien n’obscurcit la beauté de ce monde, comme dit le poète intégral »), il vécut pleinement.

Chez François Laur, tout mot est issu d’un abysse : « pénombrales, les bouches ne déclarent pas, elles insufflent, ne recourent pas à des termes mais à du flottant. Ondoiement des affections, des affects qu’ils délimitent et affichent, odelettes cantilènes laisses versets rythmes splendides hymnes vastes ensembles comptés rimés ou non rimés, leurs linéaments admirables louvoient, subtils, exquis, dans l’indicible des transports et des joies, des bruits et de la fureur, ne s’appuient sur nulle gaudriole, nulle saillie gaillarde comme le sont les plus vifs des laps ardents, silence voluptueux des peaux qui, l’une à l’autre, exultent, seins entrailles pantelants, replis pulpeux et palpitants… François Laur a érigé une œuvre poétique à part, exigeante, personnelle, qui lui est propre : la passion affilant les refrains des émois ; le clair-obscur, les faisant chatoyer, exalte les peaux que lustre la sueur.

François Laur, né le 9 août 1943 à Luc-la-Primaube, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Rodez, est le douzième enfant d’une famille d’agriculteurs aveyronnais. Après des études à Toulouse, François Laur devient professeur de lettres et s’installe en 1977 avec sa compagne, Françoise Fournié, à Cherbourg, où il commence son travail d’écriture, avant de poursuivre son œuvre et son travail d’enseignant à Carcassonne. François Laur publie l’essentiel de ses poèmes aux éditions Rafaël de Surtis à Cordes-sur-Ciel. Il travaille aussi, comme main dans la main, avec de nombreux peintres, dont G. J. Gwezenneg, dans un échange toujours jubilatoire. Sa parole, comme l’écrit Paul Sanda, son ami et éditeur, est d’abord sensuelle, elle a ce staccato qui est le souffle court des corps qui s’aiment ; le monde est convoqué dans ce qu’il a de plus charnel.

Quand François Laur nomme la beauté, ce n’est ni pour contempler un idéal, ni pour révérer une idole. Flagrante / déflagrante la beauté rince, lave, dissout convictions et savoirs, inquiète la tradition et ouvre l’espace de l’écriture poétique qui cherche « dans le tournoiement des mots, la requête de vivre. » Tel est le centre et le sens de cette poésie : dire comment la foudre du beau illumine une poussière d’instants que la parole du poète recueille, cette parole « gage vivant que maintes nymphes n’ont pas fui. » Les poèmes de François Laur regorgent de mots rares : vésanie, nycthémère, organsin, tussor, lucques, culmen, soulas, fluence, éburnéen… L’allitération n’est pas absente : « pantelants, replis pulpeux et palpitants »… Les références à l’écriture sont nombreuses et délibérées : mot, calligraphie, écrire, livre, jambage, boucle, vocable, formule, texte, stylet, lettre, graphie, page, bâton, odelette, cantilène, laisse, verset, rythme, hymne, compte, rime. L’écriture est désir qui fonde l’écriture. Si l’angoisse saisit François Laur, le désir du monde est toujours là, tout comme le désir d’écriture. Le poète suggère un monde « guéret d’horreurs » pour mieux le refuser, comme il refuse les banalités, les clichés : s’il franchit un pont roman, c’est pour ajouter aussitôt qu’il ne rejoindra pas Compostelle ! Écriture plurielle donc… »

Lucien Wasselin ajoute : « François Laur a habitué ses lecteurs à une langue contournée, recherchée, travaillée, prodigue en mots rares qui aide à saisir le réel, à mieux le faire connaître. Dans sa récente plaquette, non paginée, François Laur, avec son poème Pour les chemins que tu inventes, donne une explication à ce goût : « Il faudrait une langue d’osier à faire bouffer les jupes… Un idiome long à l’haleine… Un essaim de mots bruissant, mellifère, inlassable… Une langue nombreuse de la chair dans son horizon… »  C’est la langue, c’est le vocabulaire qu’il utilise depuis ses débuts, qui nous valent ces proses minutieuses où chaque mot est pesé. « Peut-être marchons-nous sans nous chercher, mais découvrant que nous marchons pour nous trouver » ». Tout François Laur est dans cet aphorisme.

L’amour, écrit François Laur, écarte un peu les horreurs du monde. « La caresse de ta voix me rend le cœur plus léger… Avec toi, tes ritournelles, oubliés – tout merveilleusement ! – extorqueurs de désirs, trafiquants de peur fabricants de tristesse furieux de dieu bombes humaines. » Le poète nous emporte dans son souffle. « Nous nous savions mortels, mais je n’y croyais pas. Sous l’impact du crabe fouisseur, j’ai appris ce que vivre l’instant veut dire : auprès de toi, avec et par toi rayonnante, continûment reprendre haleine dans l’affection et le bruit neufs. » Lire François Laur, écrit Pierre Perrin, c’est se préparer « à manger des burlats cueillis sur le sourire » de l’aimée. C’est s’ouvrir comme un fruit pour le partage. C’est se préparer à la délicatesse : « La chaleur de ta voix a eu raison de mon manque d’oreille. L’aigue-marine de tes yeux a laminé ma cataracte. » Et encore : « Les mouillures à tes lèvres m’ont appris les senteurs d’exister ; tu m’as ouvert ton lit, guidé en toi pour me faire franchir l’horizon. »

François Laur, sa vie durant, a affirmé « le désir d’exister nous glisse dans le oui. » Il fut et demeure un grand poète de la Femme et de l’Amour : « Femme qui sais les saveurs, toi qui sais la douleur, serres fichées dans les entrailles, tu distilles des sucs, fais mariner des baies, pour que rien n’offusque la grâce des choses : étalement de la prairie, silence immobile à midi le juste, large écart bleu de la vallée, montée légère de la fumée, vibration verte aux oliviers, bruissement d’eau de la rivière. - Tu sais : crève-cœur et navrements érigent leurs bastions de scories et de ruines, abjection et pleutrerie déploient leur tenture funèbre. Mais tu abreuves de ton philtre, et rien n’occulte la splendeur… »

 François Laur est décédé le 5 septembre 2016, à Carcassonne.

César BIRENE

(Revue Les Hommes sans Epaules).

Œuvres de François Laur:

Poésie : Benn Boo (Mihály, 1993), Via (Mihály, 1994), Configurations (Rafael de Surtis, 1997), Notre étreinte sans pitié (Rafael de Surtis, 1999), Parages des lisières (L’Instant perpétuel, 2000), Bord à bord (Rafael de Surtis, 2001), La vraie vie n’est pas ailleurs (Rafael de Surtis, 2001), Benn Boo (L’Instant perpétuel, 2001), Dresse (L’Instant perpétuel, 2002), La nuit remue (Rafael de Surtis, 2002), Ravage de fagots sous un ciel sans rage (Rafael de Surtis, 2003), Pleines sèves pour nos jours (Rafael de Surtis, 2004), Quotidiennes (Rafael de Surtis, 2006), Quand luminait le chardon bleu (Rafael de Surtis, 2007), Lieux-dits au féminin pluriel (Rafael de Surtis, 2010), Comme une peau de caravelle (Rafael de Surtis, 2010), L’Arche et la Clé (Rafael de Surtis, 2011), Abécéd(romad)aire, la caravane passe (Les éditions du soir au matin, 2011), Vénus flexueuse (Les Verbieuses, 2011), Résonances des sources (Les Verbieuses, 2012), Si loin, le temps des cerises ? (Rafael de Surtis, 2012), Au titre de ces jours (Rafael de Surtis, 2013), À chaque aube son vertige (Les Verbieuses, 2015), La beauté gifle comme un grain (Rafael de Surtis, 2016).

Essais : Claude Simon : Le Tissage de la langue, brins de fil pour une lecture de « La Bataille de Pharsale » (Rafael de Surtis, 2005), Le Tissage de la langue chez Claude Simon (Libre d’Arts, 2013), Jean-Gérard Gwezenneg ou l’amour du monde (in Gwezenneg. Isoète, 2013).

 






Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Léo MALET & Yves MARTIN, la rue, Paris, la poésie et le Merveilleux, n° 20