Francis COMBES
Marvejols est une ancienne ville royale du Gévaudan, nichée au carrefour de trois régions naturelles en Lozère : la Margeride au Nord-Est avec la montagne de la Boulaine, l’Aubrac au Nord-Ouest et les Grands Causses au Sud. Marvejols est la ville natale du poète Francis Combes (Je suis né par un pays rigoureux, un pays de froid et de vent taciturne), qui est est assurément la grande voix de la terre lozérienne et cévenole, puisqu’il en a écrit le livre, en poésie : Cévennes, ou Le ciel n'est pas à vendre (1985) : J’ai rasé la pierre, le sourire des blessures… - J’ai redonné à l’eau le goût d’être torrent.
Ce livre est peut-être son plus fort, celui qui donne tort à ceux qui ne voient en lui que le poète de la lutte des classes, tant Combes s’y révèle un magnifique poète à l’écoute de sa terre lozérienne, de ses habitants les plus humbles, de la vie et des éléments : Respirer par les plantes, battre du cœur des autres, - se blesser aux genoux. Le poète saisit toutes les palpitations des broussailles et du sang. Francis Combes est certes, le poète de la fraternité (Les hommes sont si proches) et du combat, de la révolte permanente contre l’injustice, mais il est tout autant celui de l’amour et de la beauté, en cette heure où l’herbe devient bleue.
« Cévennes ou Le ciel n’est pas à vendre. Cette négation m’est aussitôt apparue comme une affirmation que venaient souligner les lettres rouges du titre de l’édition originale. Rouges comme le sang des galets ferrugineux du Luech, comme l’engagement de ces deux hommes envers les mineurs de Carmaux et de Ladrecht, envers les paysans du Larzac héritant de l’insoumission téméraire des Camisards dont la révolte en bras de chemise se répandit quelques siècles plus tôt du massif du Bougès jusqu’aux Basses Cévennes. À sa lecture j’ai aussitôt ressenti le désir de l’entendre résonner dans la langue des Cévennes et du Sud de la France, dans la langue maternelle des femmes et des hommes qui hantent ces pages, celle de la civilisation occitanienne théorisée par la philosophe Simone Weil » écrit Aurélia Lassaque.
Sa capacité à s’indigner et à agir vient sans doute à Francis Combes de sa terre natale où furent menées nombres de luttes ouvrières et paysannes, d’un peuple qui vécut longtemps au milieu d’âpres montagnes, dans une contrée pauvre et aride, exposés aux atteintes d’un climat vigoureux. La vie est laborieuse et pénible ; la plupart ont à lutter contre la stérilité naturelle du pays qui les environne. Du XVIe-XVIIIe s., les guerres de religion ont gravement meurtri le pays. La crise des activités textiles, à la fin du XIXe s., provoque un marasme économique persistant, mais, Marvejols demeure un centre industriel textile qui groupe plus de mille ouvriers dans vingt manufactures. La dernière manufacture ferme en 1959. Dans cette activité textile, des familles ont su trouver l’aisance et la fortune. Pour la noblesse du pays, Marvejols est un lieu de séjour, de rencontre et d’échange. La maison est ici, et les terres, les domaines, sur l’Aubrac, dans la Margeride, sur les Causses et dans les vallées. Ces familles vivent de la rente foncière et veillent à bien marier leurs enfants. Marvejols est encore au début du XXe siècle un centre dynamique où travaillent les ouvriers et où se croisent les paysans. 1961 : le désespoir des paysans de Lozère les contraint à quitter la campagne pour les villes, c'est l’exode rural. Francis Combes nous dit : « Les valeurs morales sont relatives et réversibles, mais elles comptent. Il ne suffit pas d’être bon. Il faut rendre le monde meilleur. »
Francis Combes, l’un des hommes-orchestres de la poésie contemporaine, est né le 31 mai 1953, à Marvejols (Lozère). Après une enfance cévenole, il s’installe avec sa famille, ses parents (qui sont enseignants) et ses deux frères, dans la banlieue parisienne, à Aubervilliers, où il vit toujours, avec sa femme. Diplômé de Sciences Po, Francis Combes a fait des études de langues orientales (russe, chinois et hongrois). Engagé très jeune dans la vie politique – il adhère à la Jeunesse communiste en 1967 où il occupe plusieurs responsabilités. De 1975 à 1981, il est secrétaire national de l’Union des étudiants communistes (UEC) et membre du secrétariat national du MJCF (Mouvement de la jeunesse communiste de France). De 1979 à 1985, il est élu Conseiller général du Val-d’Oise (canton de Sannois – Saint-Gratien). Il est le plus jeune Conseiller général de France à cette époque. Il est membre du Parti communiste français depuis 1970 et est l’un des fondateurs de la Gauche communiste et du journal Le Manifeste.
Poésie et politique ? Francis Combes répond : « Il semble qu’il y ait aujourd’hui très peu de politique dans la poésie et assurément très peu de poésie dans la politique. Les politiques s’occupent de gérer. Ils gèrent la situation, parfois les catastrophes, les budgets, leur image et leur cote de popularité. Ils ont le plus souvent en guise d’horizon les yeux fixés sur la ligne bleue des sondages d’opinion… Quant aux poètes, ils font dans le modeste artisanat des mots la déconstruction silencieuse du langage ou la culture en pot de l’ineffable. Dans un univers dominé par la tendance technocratique à la spécialisation croissante et à l’ignorance réciproque de tous les domaines du savoir et de la pratique humaine, ils sont eux aussi des techniciens de surface, les techniciens du mot qui s’attachent à leur technique propre, le plus couramment sans prétendre que cela puisse avoir quelque effet que ce soit sur le fonctionnement global de la machine sociale. C’est que, dans cette société française d’aujourd’hui, on respire plutôt mal. L’atmosphère y est confinée. Et il est parfois bon de changer d’air… La France a évidemment une grande expérience des relations entre poésie et politique. En particulier au XXe siècle. Mais il faut bien admettre que cette relation, aujourd’hui, reste fortement obérée par une histoire singulière où les communistes ont joué un rôle de premier plan, à la fois positif et négatif. Bien sûr, depuis la guerre d’Espagne, ils se sont trouvés aux avant-postes de ce qui allait devenir la poésie de la Résistance et ils ont ainsi écrit, avec d’autres, une des pages les plus fortes de notre histoire poétique. Mais les querelles du temps n’ont pas été sans effet. Elles ont conduit à écarter des voix dissidentes et, notamment, pendant un temps, les tendances « gauchistes » et anarchisantes ou simplement plébeiennes dans la poésie. (L’histoire du groupe Octobre, disparaissant au moment du Front populaire, ou la non-reparution de la revue Commune après guerre le disent à leur façon). L’expérience du surréalisme, le rôle de poètes immenses comme Aragon et Eluard et une « haute idée de la culture » nous ont légué une tradition un peu aristocratique en matière littéraire. Certains débats de cette époque sont ainsi devenus difficilement compréhensibles pour les générations suivantes. Par exemple, la polémique avec Prévert ou la critique par les intellectuels communistes de la notion sartrienne d’engagement… Ensuite, la manière dont les communistes français ont tenté de sortir du stalinisme, parfois en « pénitents », a eu aussi beaucoup de conséquences. Une certaine interprétation « droitière » du Comité central d’Argenteuil (1966) a conduit à ériger une cloison étanche entre art et politique. Cela a été d’autant plus fort que certains avaient parfois beaucoup « péché ». Et les intellectuels communistes dans les années 1960 et 1970 ont souvent été en pointe dans les aventures formalistes, d’inspiration plus ou moins structuraliste, réduisant, par exemple, la poésie à la « mathématique du langage », pour reprendre une formule de l’Aragon des années 1960 (lui dont la poésie terriblement lyrique s’accommode plutôt mal d’une telle définition). »
De 1981 à 1992, Francis Combes est l’un des responsables de la revue Europe puis directeur littéraire des éditions Messidor. En 1993, avec un collectif d’écrivains, il fonde les éditions Le Temps des Cerises. Engagé pour la défense de l’édition indépendante, il est en outre l’un des fondateurs de l’Association L’Autre Livre dont il assume la présidence. Poète, il a publié une vingtaine de livres de poèmes, ainsi que des anthologies consacrées à la poésie contemporaine, des livres de proses, essais et fictions. Pendant quinze ans, Francis Combes a été, avec le poète Gérard Cartier, à l’initiative de la campagne d’affichages poétiques dans le métro parisien ; campagne suspendue par la direction de la RATP.
Il a travaillé avec des musiciens (notamment le compositeur chilien Sergio Ortega) et écrit des chansons, des livrets d’opéra, des pièces musicales, qui ont été portés à la scène. Francis Combes a en outre traduit en français Maïakovski, Heine, Brecht, Attila Jozsef, des poètes américains comme Eliot Katz ou Jack Hirschman, et adapté des poètes de différents pays (tchèques, espagnols, persans…) Engagé dans la vie sociale et politique, il a aussi une activité de journaliste, de critique et d’essayiste et a été, pendant les années d’existence du journal, l’un des rédacteurs d’Aujourd’hui Poème. Il écrit aussi régulièrement dans la revue Commune, qui a pris la suite de Commune d’avant-guerre, qui était l'hebdomadaire de l’AEAR (l’association des artistes et écrivains révolutionnaires). Francis Combes participe fréquemment à des lectures et est invité dans différents festivals (Lodève, Trois Rivières au Québec, San Francisco, Montréal, Ramallah, Gaza et Naplouse en Palestine, Sarajevo…) et a présidé pendant huit ans, depuis 2012, le Festival de poésie du Val-de-Marne.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Œuvres de Francis Combes :
Poésie : Apprentis du printemps (EFR, 1980), L'Amour, la marguerite et l'ordinateur (Messidor, 1983), Cévennes, ou Le ciel n'est pas à vendre (Ipomée, 1985), Les Petites leçons de choses (Commune, 1987), La Dame de la Tour Eiffel (Contrastes, 1989), Au Vert-Galant jeté en Seine (Europe, 1991), La Ballade du cœur insoumis (La Malle d’aurore, 1996), La Fabrique du bonheur (Les Écrits des Forges / Le dé bleu, 2000), Cause commune (Le Temps des Cerises, 2003), Le Cahier bleu de Chine (Commune, 2005), La Ballade d'Aubervilliers (Le Temps des Cerises, 2007), La Clef du monde est dans l'entrée à gauche (Le Temps des Cerises, 2008), Le vin des hirondelles (Le Petit Pavé, 2011), L'aubépine, cent un sonnets pour un amour frondeur (Le Préau des collines, 2011), La barque du pêcheur (Al Manar, 2012), Poèmes du nouveau monde (Les Écrits des Forges, 2012), Si les symptômes persistent consultez un poète (Le Temps des cerises, 2013), La France aux quatre vents (Le Temps des cerises, 2015), Lettres d'amour, poste restante (La Passe du vent, 2020), La face cachée de la lune (Manifeste, 2021)
Proses : Bal masqué sur minitel, conte moral, (Messidor, 1989), Conversation avec Henri Lefebvre, avec Patricia Latour (Messidor, 1991), Les Apologues de Jean Lafleur (Le Temps des Cerises, 1996), La Romance de Marc et Leïla, roman-poème, (Le Temps des Cerises, 2000), Les Chroniques de la barbarie, théâtre chanté, (Commune 2002), La Poétique du bonheur : essai sur la magique étude du bonheur que nul n’élude (Éditions Delga, 2016).
Anthologies : Les plus beaux poèmes pour la paix (Messidor, 1989), 101 Poèmes dans le métro, Nouveaux poèmes dans le métro et Poèmes pour voyager, avec Gérard Cartier (Le Temps des Cerises, 1994, 1996, 1999), 101 Poèmes sur l’amour (Le Temps des Cerises, 2002), 101 Poèmes contre la guerre (Le Temps des Cerises, 2003), La poésie est dans la rue, avec Jean-Luc Despax, (Le Temps des Cerises, 2008), Droit de citer les poètes (Le Temps des cerises 2015), 101 poèmes contre le racisme (Le Temps des cerises, 2017).
LETTRE A EVGUENI EVTOUCHENKO
1.Rencontres sans rendez-vous
Il y a longtemps, Evguéni, que je veux t’écrire cette lettre
mais toujours, j’ai remis ça à plus tard
(Pas que je sois spécialement paresseux…
Je me donne même
pour le plaisir du travail.
Pareil à l’ours qui passe ses journées
à courir après son rayon de miel…)
Mais nous aurions bien un jour,
me disais-je,
l’occasion d’aborder le sujet
de vive voix.a
C’est que nous nous sommes à plus d’une reprise rencontrés
aux quatre coins de la planète.
Et chaque fois sans nous être donnés
Le moindre rendez-vous.
La première fois,
c’était dans la banlieue de Moscou,
à Metveïevskoïe,
la maison de repos des travailleurs du cinéma,
où je venais voir Tchinguiz Aïtmatov.
(Tu portais ton costume de dandy et ta casquette de voyou).
Cette année-là, nous avons lu dans un amphithéâtre
pendant le Festival de la jeunesse
quand la jeunesse du monde se retrouvait chez toi
dans ta ville pimpante
comme un œuf de Pâques.
C’était dans les tout débuts
de la Pérestroïka
et nous pouvions croire alors
que le socialisme avait rendez-vous avec la liberté
et que nous,
nous avions rendez-vous avec le futur).
Une autre fois,
nous nous sommes retrouvés à Salvador de Bahia,
chez Jorge Amado,
près de la piscine de l’hôtel,
en bonne compagnie,
à boire
à même la sphère terrestre
d’une noix de coco…
Et ce jour-là
nous avions rendez-vous
De l’autre côté du monde
avec la générosité
et la beauté.
Nous nous sommes aussi revus un soir,
à Paris,
sur les Champs-Elysées
où ton film avait débarqué sa cargaison d’images
sur le trottoir, comme après le marché…
Il y avait là un homme assis à cheval sur le bulbe de St Basile,
armé d’une aiguille à repriser le ciel ;
des baies sauvages dans la neige de Sibérie ;
et un enfant qui traversait Moscou,
en portant dans ses bras
un aquarium où s’agitait un poisson rouge…
Ce soir-là,
c’est avec la poésie
que tu nous avais donné rendez-vous…
Le champagne dans les verres
répandait son geyser,
et toi, tu étais d’humeur à t’épancher
comme la Néva
près du pont où s’est crucifié
le poète Vladimir Maïakovski…
Tu étais un peu gai
et passablement triste
et tu m’as dit :
« Dans mes poèmes, il faut que tu fasses le tri
parce que j’ai écrit beaucoup de merde… »
(Ah ! que j’aimerais avoir écrit
autant de mauvais vers que toi !)
Alors, je pensais qu’un jour ou l’autre,
par hasard encore,
je te reverrais,
avec tes yeux bleus,
tes cheveux de paille,
ta grande carcasse d’épouvantail
qui n’effrayerait pas les freux,
funambule dansant sur les fils électriques
au-dessus des rails du tramway
les soirs de virée…
Je savais que je te retrouverais
un jour ou l’autre
bondissant
sur la scène de théâtre de la planète
clown blanc
joyeusement tragique
poète histrion
des plus sérieux
toujours prêt à mettre
ton cœur à nu.
2.Evocation d’un pays disparu
Mais aujourd’hui, je t’écris car notre temps est compté.
Il y a longtemps, dans un autre siècle,
et dans une autre vie
(alors nous étions jeunes)
je me suis rendu dans ta patrie,
en Sibérie.
J’étais monté à bord d’un petit biplan
en compagnie d’un général couvert de médailles,
de deux géologues
et d’une paysanne qui portait ses poules et ses œufs
au marché voisin,
à quelques centaines de kilomètres de là…
Nous avons volé entre Bratsk et Oust Illimsk
et l’avion dans les airs jouait aux montagnes russes.
On se serait cru en train de pédaler
sur un vélo volant au milieu du ciel bleu.
En bas, on apercevait à peine
des traces de vie humaine
dans la blancheur de la taïga :
une route ou un camp peut-être,
la neige et la forêt…
Je n’ai pas rencontré Niouchka,
dont tu as chanté la complainte,
Niouchka, la petite bétonnière
du grand chantier du G.E.S.,
la puissante station hydro-électrique,
la fille-mère abandonnée
par un jeune cadre ambitieux
et dont l’enfant fut adopté
par tous les travailleurs du chantier…
Je n’ai pas rencontré Niouchka
mais j’ai marché sur le fleuve Angara
au cœur d’avril.
J’ai trinqué avec des hommes
à l’écorce rude et au cœur tendre
comme le bois du bouleau.
J’ai vu dans la ville pionnière,
les nouveaux mariés
qui se faisaient photographier
sur ce barrage qui était le leur.
Et j’ai croisé des jeunes,
bras dessus-dessous,
qui marchaient dans les rues
en jouant de la guitare.
Et je pouvais croire
que la ville leur appartenait
et que ton pays avait
rendez-vous avec notre avenir.
Mais l’histoire a le secret
des rendez-vous manqués.
Le communisme annoncé,
au détour du chemin, nous a posé un lapin…
Aujourd’hui, l’URSS, qui pendant si longtemps
a porté l’espérance de millions d’exploités
du monde entier, a disparu.
Ses dirigeants n’y croyaient plus
et peut-être ses peuples en avaient-ils assez
de porter à bout de bras l’avenir promis.
3.Du Dégel à la débâcle
Camarade-printemps,
quand les moustaches de plomb sont tombées
et que l’eau des stalactites s’est mise à couler
du nez des statues qui s’étaient figées
dans la pose de l’histoire,
tu fus le poète du Dégel.
Aujourd’hui
à l’Est comme à l’Ouest
nous sommes tous des poètes de la débâcle
des banquises.
Perdus, comme des esquimaux
isolés sur des blocs de glace à la dérive,
nous pagayons dans un jour polaire sans fin
sur les eaux glacées du calcul égoïste
à la recherche d’un chéneau,
d’une voie libre vers l’océan…
Récemment tu as écrit :
« Nous vivions en otages d’un but mensonger.
Maintenant les idées sont défaites comme des lits.
Nous sommes les otages non d’un but,
mais d’une absence de but. »
Le capitalisme l’a emporté sur le communisme
mais cette victoire
fut une victoire sans espérance.
Tu as raison ;
les idées sont comme un lit défait
et beaucoup dorment dehors
dans le froid
sans même un drap pour se couvrir…
Si nous sommes coupables
Toi, moi et des millions d’autres,
est-ce d’avoir trop rêvé ?
Avons-nous péché
par excès de poésie ?
Si nous sommes coupables
c’est peut-être de n’avoir pas trouvé
le lieu et la formule
de l’égalité dans la liberté…
Evguéni, ne prêtons pas l’oreille aux popes noirs,
ni aux sermons des serviteurs de l’argent tsar
qui nous répètent à l’envi que rien jamais ne pourra changer.
Vouloir instaurer le paradis sur Terre
et transformer les hommes en saints
fut sans doute l’erreur…
Mais peut-on pour cela accepter
l’Enfer sur la Terre,
ou la boue du Purgatoire quotidien ?
Evguéni, mon frère,
même s’il peut en coûter cher de rêver,
dis-moi que malgré les coups bas
et la gueule de bois de l’Histoire,
les poètes n’ont pas renoncé à rêver.
Dis-moi qu’ils n’ont pas renoncé à penser
qu’il est encore possible,
de faire fondre dans nos verres
le glaçon des cœurs.
4. A bientôt, fraternellement :
Toi et moi
(et quelques milliards de nos semblables)
nous sommes couchés
à moitié endormis, à moitié éveillés
dans un fossé trempé,
près d’une décharge immense,
au milieu des détritus et des violettes.
Sans doute avons-nous un peu trop bu
et peut-être
ne sommes-nous pas encore tout à fait dessoûlés…
Car si nous levons la tête, nous imaginons
- contrairement à ce que prétendent certains prophètes -
que ce nous voyons briller dans le fond noir du ciel
ce ne sont pas
les projecteurs des miradors
du camp céleste où sont parqués pour l’éternité
les prisonniers de l’humaine condition,
ni les lumières du casino de l’universelle roulette
où il doit toujours y avoir
des gagnants et des perdants,
mais simplement
la grande salle de bal de nos sœurs les étoiles,
la maternité du futur de l’humanité
où nous n’avons pas encore
fini de voyager.
Post-scriptum :
« Comme il est difficile, disais-tu,
de s’endormir sur le globe terrestre »…
La vie est courte…
Mais il peut encore arriver
Que nous nous retrouvions au bord d’un fleuve
(la Seine ou peut-être la Volga ;
et si ce n’est pas nous, d’autres le feront)
un soir où nous ne pourrions pas dormir,
pour partager une vodka
et nous passer de l’un à l’autre une cigarette
(même si nous ne fumons pas)
juste pour partager la volute de fumée
du mirage clair et nécessaire
de ce rêve toujours à refaire
de la fraternité.
Francis Combes – Dimanche de Pâques, 2013
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Nikolaï PROROKOV & les poètes russes du Dégel n° 44 |