Jacques MOULIN

Jacques MOULIN



Les poèmes foisonnants que le goût des mots et le rythme des phrases emballent, chez Jacques Moulin, donnent à sentir au lecteur la profusion de la terre en tous ses fruits et la vie de la mer dans ses mouvements variés.

Le poète parle debout sur la falaise, qui domine et s'érode.  La falaise et ses jardins en valleuse est le lieu du père, les flots et leurs rumeurs celui de la mère. Un pays se tient là, le pays de Caux, lieu de l'enfance que l'auteur revisite, retrouve avec étonnement quand il y retourne. L'éloignement à la fois dans le temps et l'espace fait du poète l'analogue du phare, à la limite de la terre et de l'eau, fruit du père et de la mère ; il interroge le passé et éclaire l'avenir, a écrit Alain Rochat.

Avec Escorter la mer, Moulin a signé un grand livre de poésie. Personne, depuis Maupassant, n’avait parlé avec autant de force, d’émotion et de justesse, du pays de Caux : « Une liasse de mer quand le ciel vient y boire. Une symphonie d’horizon plat. Une portée. Un lavement de méthylène un ravalement de pierres. On aurait goût d’eau de sel et de rives affichées. »

Avec L'Epine blanche, "Ecrire la mer - jusqu'à ton asphyxie", Jacques Moulin signe l'un des plus grands livres de poèmes consacré à la mère; poèmes d'une fulgurance, d'un douleur aussi justes que ceux de Patrice Cauda ("La mère défigurée") ou de Jean Breton ("La mère aveugle"): Au bord des falaises dans la ramure de mer - Elle se tient là - Mère en charge du monde... Terre des marnières longtemps pétries - Eaux retirées - Poches effondrées - Elle est partie - Par les chemins de mémoire - Le vent couché sur elle - On porte - Brume à l'oeil - Comme un lait tourné...

Jacques Moulin, comme déjà dit, dans mon anthologie, Riverains des falaises, une anthologie des poètes en Normandie du XIe sicèle à nos jours (éditions clarisse, 2010), est l'un de nos meilleurs poètes normands ; meilleurs poètes tout court...

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

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Né le 8 février 1949, à Saint-Jouin Bruneval en Seine-Maritime, Jacques Moulin vit en Franche-Comté depuis l’été 1985. Enseignant, « pensionné » aime-t-il à dire depuis septembre 2010, il a transmis les « Lettres modernes » en collège puis en lycée avec des classes de BTS.

Pendant vingt ans, il développa la « culture générale et les techniques d’expression » aux étudiants de l’Institut de Préparation à l’Administration Générale (I.P.A.G). C’est dans le cadre de l’Université Ouverte de Franche-Comté qu’il fonda Les Jeudis de Poésie, en 1994. Une initiative informelle qui s’est peu à peu amplifiée, avec un co-animateur, l’universitaire et poète Bertrand Degott, avec lequel il partage le goût des formes délicieuses du rondel, de la ballade…

Pendant onze années, l’élan des « Jeudis », peut-être inspiré de l’école buissonnière que les deux hommes pratiquèrent avant l’avènement du mercredi en 1972, permit de recevoir près de soixante-dix poètes. La reprise est pour cette année, en novembre, sous l’appellation de « Poètes du jeudi », en compagnie d’une jeune Maître de conférence en Littérature du XXème siècle, Élodie Bouygues, spécialiste et ayant-droit de Jean Follain.

Est-ce à cause de ces multiples engagements avec les autres, autrui, de son attention subtile aux écritures diverses qu’il eut l’occasion de côtoyer, que Jacques Moulin n’a commencé à publier que tardivement ?

Il est âgé de trente-sept ans lorsque paraît un premier livre, profond et désarmant. Son écriture est élaborée comme rarement on en rencontre, composée, composite. D’instinct ? Amoureux des mots, dont les plus précieux sont les plus justes et les plus sensuels, Jacques Moulin peut, au creux d’un même livre, au coeur d’un seul poème, rompre par la notation la plus commune avec la virtuosité des orfèvres. À travers des fulgurances apaisantes, il est un de ces rares journaliers à engager le

lecteur vers des méditations irréductibles. La mer, toujours recommençante, les terres, les pierres, les gestes humains qui sèment et récoltent, se retrouvent dans tous les livres de Jacques Moulin. Comme s’il s’avançait. Les sentiers qu’il parcourt restent cependant aussi physiques qu’abstraits. Il habite ses paysages ; et ses paysages, aussi infimes soient-ils, l’occupent. Ce faisant, il développe une présence au monde où il marie à son regard l’attention des humanistes les plus exigeants.

Éric SÉNÉCAL

(Revue Les Hommes sans Épaules).


À lire: : Matière à fraise (éditions de l’Envol, 1996), Marron (éditions de l’Envol, 1997), Façade (Atelier Dutrou, 1998), Valleuse (Cadex, 1999), Marques (Atelier Dutrou, 2000), Arènes 42 (Cadex, 2001), La Mer est une nuit blanche (Empreintes, 2001), Escorter la mer (Empreintes, 2005), Une échappée de poireaux (Tarabuste, 2006), Penche-toi (éditions Joca Seria, 2007), Sonorités (Atelier Dutrou, 2007), Arbres d’hiver (Coédition Galerie Bruno Mory, La Maison Chauffante, 2008), Oublie (les éditions de la Maison Chauffante, 2009), Reconnaissance de la Rivière (éditions analogues, 2009), Archives d’îles(L’Arbre à paroles, 2010), Entre les arbres (éditions Empreintes, 2012), À vol d’oiseaux (L’Atelier contemporain, 2013), Entre, coécrit avec Mira Wladir (Le Miel de l’Ours, 2013), Comme un bruit de jardin (Tarabuste, 2014), Portique (L’Atelier contemporain, 2014), À la fenêtre du Transsibérien (L’Atelier du Grand Tétras, 2014), Journal de campagne (Æncrages & Co, 2015), Écrire à vue (L’Atelier contemporain / Le 19, Crac, 2015), Un galet dans la bouche (Rougier V., 2017), L’épine blanche (L’Atelier contemporain, 2018), Sauvagines (La Clé à molette, 2018).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules



 
Dossier : PIERRE REVERDY et la poétique de l'émotion n° 32

Dossier : Poètes normands pour une falaise du cri n° 52