Jules SUPERVIELLE

Jules SUPERVIELLE



Né à Montevideo, d’ascendance franco-uruguayenne, Jules Supervielle (1884-1960) revenu en France à dix ans, sera français par son écriture qui, largement ouverte à ce double horizon, respire un air plutôt vif mêlé d’un exotisme davantage maîtrisé que métissé. Alors de quoi est faite une œuvre poétique où tellement d’angoisse se mêle à beaucoup de lumière ? De rien, de ce presque rien qui est tout : le mince fil des jours lié à celui de la destinée par le regard porté sur les choses et leur âme, le corps et ses circuits fragiles, les peurs et leurs joies, les clartés et leurs ombres, les étoiles et les eaux, les arbres et les bêtes, les bruits et les silences… Les battements et les élancements du sang y sont appelés à participer au mouvement du monde, aux lueurs d’une présence insaisissable, tout emplie de l’attente de cet ailleurs au fond de lui qui est l’ici et maintenant sur quoi le poète va tenter de poser les mains d’un démiurge d’inquiétude et d’amour, deux éléments primordiaux sans lesquels il ne lui serait pas possible de bâtir la demeure habitable. Et c’est aux images qu’il confiera non pas la dissipation d’une obscurité complice mais, au contraire, la chasse aux chimères d’un hermétisme commode dont il reprochait à trop de ses contemporains de se faire les zélateurs complaisants. En cette demeure habitée par les images, la vie intérieure est à la fois vaste et légère, transparente et sombre ; tout y exalte de la même voix juste, l’enchantement et l’inconvénient d’être né, magnifiés à hauteur de la matière et de la pâte de l’univers tout entier. Et cela donne, par surcroît et à profusion, la sensation d’osciller sans cesse de l’intimité secrète à l’ontologie mystérieuse de l’être au monde. La diversité de registres qui vont du verset à la prose, du vers libre à la régularité d’un mètre rimé ou assonancé, n’a d’égale que celle des lieux et des domaines où son ardente fraternité et son insatiable curiosité ont conduit sa parole de poète citoyen du monde ; une parole ignorant superbement – et là est sa permanente modernité – les modes, les mots d’ordre, les écoles et les chapelles. La poésie de Jules Supervielle, à l’écart des avatars et procédés langagiers ou typographiques, est parcourue, d’un bout à l’autre, par le souffle d’une émotion due au hasard d’être là mais dans la seule certitude de devoir, tôt ou tard, ne plus être là. Et sans doute a-t-elle puisé le pouvoir finalement consolateur qui fait son étincelante originalité, son incomparable liberté de ton, son indépendance d’esprit, dans les conseils que, comme l’a si bien dit Mallarmé, seule également la solitude donne. Voilà pourquoi, conscient des limites d’un propos qui n’a voulu englober ni les récits et romans du poète ni ses tentatives au théâtre, mais résolu à élargir les ondes autour de cette si singulière poésie, l’auteur de ces quelques lignes tient à remercier Les Hommes sans épaules qui lui ont permis de saluer un artiste dont les poèmes illumineront les nuits d’un lecteur, telles les constellations celles de l’oiseau migrateur qui suit les hautes routes de la vie.


François MONTMANEIX

(Revue Les Hommes sans Épaules).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : HORIZONS POÉTIQUES DE LA MORT n° 31