Ladislas GARA

Ladislas GARA



László Gara dit Ladislas Gara naît à Budapest le 18 juillet 1904, dans une famille de commerçants relativement aisés. La famille est juive mais non pratiquante. Son véritable nom, Goldmann, a été « hungarisé » - d’après une loi en usage - en Gara.  Le père de László Gara se donnera la mort durant la Seconde Guerre mondiale, devant les menaces d’invasion du pays par l’armée allemande.

Après une enfance choyée, Gara passe son baccalauréat en 1922 au Lycée Lónyay de Budapest et s’inscrit à l’Université où il est refusé en raison de ses origines juives. Le régime de l’amiral-régent Miklós Horthy a promulgué des mesures antisémites dès 1920. Ainsi la loi XXV a instauré un numerus clausus limitant le nombre de Juifs pouvant entrer à l’université, tout en leur interdisant certaines fonctions. Rejeté de la faculté, Gara s’initie à différentes fonctions artistiques, comme l’écriture ou la mise en scène théâtrale au Théâtre de la Cité (Belvárosi Színház). Son intérêt se porte alors vers la presse.

En 1924, à l’âge de vingt ans, un quotidien hongrois l’envoie aux Jeux Olympiques de Paris, en qualité de correspondant sportif. Son français, appris au lycée, bien que rudimentaire lui permet de communiquer sur place. Lors de son deuxième voyage en France, Gara s’installe à Paris. Il s’inscrit d’emblée à la Sorbonne pour étudier le français et ne tarde pas à faire la rencontre de Nathalie Rabinowicz, qui va devenir sa femme. Une fois leurs études de français et de philologie achevées, Ladislas et Nathalie Gara se lancent (surtout Ladislas), grâce à des appuis, dans le journalisme et la traduction de livres (de poésie et de prose hongroises), et non des moindres : Les Garçons de la rue Paul (A Pál utcai fiúk) de Ferenc Molnár ; Sois bon jusqu’à la mort et Derrière le dos de dieu, de Zsigmond Móricz ; Voyage à Capillarie, de Frigyes Karinthy et, cela est loin d’être anodin : Les Révoltés  (Zendülők, 1930), de Sándor Márai. Écrit en 1929, roman du destin hongrois, des grands bouleversements nés de la Première Guerre mondiale, Les Révoltés mêle de façon admirablement réussie les troubles de l’adolescence et la confusion d’une époque. Décédé (il se donne la mort, brisé par la mort de ses proches) en 1989 à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, Sándor Márai est probablement le romancier hongrois le plus populaire et le plus traduit en France, en Europe et sans doute ailleurs. Mais, nous n’en sommes pas là, lorsque Gara le lit et le traduit pour la première fois : Márai n’est alors âgé que de trente ans. Avec son intuition, qui deviendra légendaire, Gara a immédiatement compris, parmi les premiers, la dimension et la portée de cet immense écrivain. Gara, témoigne André Farkas, « avait, avant tout la conviction ferme que notre petit pays comptait parmi les grandes puissances de la littérature mondiale. Pour deux raisons. D’abord,  grâce à sa belle langue malléable et phonétique, faite pour l’écriture. Ensuite, grâce à tout une série d’écrivains de très grande valeur. Gara, en toute logique, voulait désenclaver la littérature hongroise. Il a décidé d’ouvrir devant elle les portes des éditeurs français. Son article dans la revue Nyugat était à la fois son programme et sa feuille de route. »

En mai 1940, Nathalie, Ladislas et leur fille Claire quittent Paris, pour les raisons que l’on imagine aisément. Les Gara se réfugient dans la France rurale, en zone dite libre : la Provence puis l’Ardèche en 1942. Durant cette période, Ladislas Gara conjugue de front résistance et écriture. Au sein du maquis, Gara fait figure de conseiller et règle les affaires administratives, ou occupe des fonctions de « juge ». Mais la grande « aventure » de cette période, pour les Gara, c’est bien sûr l’écriture à quatre mains du savoureux et sulfureux roman Saint Boniface et ses Juifs, à partir de l’observation du petit monde qui les entoure : réfugiés juifs, hôtes trop peu désintéressés, notables locaux… Le regard satirique et souvent impitoyable de Nathalie et de Ladislas Gara, n’épargne personne. Mai 1942. À Saint-Boniface, petit village au nom improbable, ignoré des cartes d’état-major mais que l’on peut situer quelque part dans les vallées profondes de l’Ardèche, afflue soudain la foule disparate et bigarrée des « réfugiés ». La plupart d’entre eux sont juifs. Ils viennent chercher dans la zone encore non occupée par l’armée allemande un asile qui se révèlera des plus précaires. La population du petit peuple des campagnes se retrouve confrontée à des citadins, intellectuels ou artistes aux mœurs inconnues. C’est le choc entre deux mondes que tout sépare d’ordinaire mais que la guerre a réunis. Ce sont les réactions cocasses et les aventures mi-tragiques, mi-comiques, qui sont contées dans ce superbe et fort roman, conçu comme « un antidote à la mauvaise foi, aux mensonges et au fanatisme ». L’héroïsme y côtoie la lâcheté, le courage, l’abjection. Même le résistant, ou le dévot, ajoute Armand Olivennes, a des motifs assez primaires. Que leur importe, au fond, que les lois de la civilisation ne soient que le masque du grand banditisme car, comme Brecht, il faut bien appeler cette « politique » par son nom. Les lois ne structurent aucun élan, aucune déception, aucun idéal, voire aucune contestation, autour du pôle civilisateur. L’égoïsme légitime s’en donne à cœur joie, avec une sorte d’hédonisme destructif. Pourquoi dès lors rendre mémorables des personnages apparemment sans atypie aucune ? Parce qu’ils font partie du grand mystère, parce qu’une obscurité normative s’est abattue sur eux, les a ensevelis dans leur médiocrité. Chacun semble avoir son combat avec l’ange, d’où il sort mesquin, tâtillon, prudent, rusé, débrouillard et cupide. On se demande si ce n’est pas cette latence d’un formidable potentiel négatif que les Gara ont voulu dénoncer. Mais non, pas toujours, répond Claire Gara-Meljac : « Dans ce livre, le monde va pour ainsi dire à l’envers. Les plus démunis sont les plus lucides et les plus malins les plus bêtes. » De microcosme ardéchois les Gara nous donnait un saississant et terrifiant portrait du macrocosme de la France de l’époque. Chef-d’œuvre  littéraire, Saint Boniface et ses Juifs est également un témoignage historique et sociologique, rare sur l’époque, et de première importance.

Après la libération du Sud de la France et celle de Lyon, les Gara rentreent à Paris. Leur roman Saint Boniface et ses Juifs éd. du Bateau ivre, 1946. Réédition, avec une préface de Georges-Emmanuel Clancier, La Fontaine de Siloé, 1999), paraît en 1946 et rencontre d’emblée le succès auprès de la critique (Les Lettres françaises, Le Figaro littéraire, Libération, Combat…) et du public. Ladislas reprend son activité  de journaliste et de traducteur, alors que Nathalie entre à la Chambre de Commerce internationale, où elle travaillera jusqu’à sa retraite. Puis, Ladislas intègre l’agence de presse hongroise M.T.I. (équivalent de l’AFP en France) en 1947.

En 1952, alors qu’il est à Paris, Ladislas Gara est convoqué à Budapest où on lui retire son passeport le condamnant ainsi à travailler contre sa volonté en Hongrie, au sein de l’Agence de presse. À partir du printemps 1955, Ladislas Gara est enfin de retour à Paris et travaille à l’édition du livre Hommage des poètes français à Attila József, qui paraît la même année aux éditions Seghers. Gara enchaîne l’année suivante avec la traduction des poèmes de Gyula Illyés. Le livre Poèmes, paraît chez Seghers, en 1956. En août de la même année, avant son départ en vacances pour Aix-les-Bains, on lui offre le poste de directeur de l’Institut Hongrois de Paris. Gara refuse. Il est alors convoqué à Budapest où il refuse de se rendre. Il ne retournera plus jamais dans son pays natal, étant en rupture de ban avec le régime en place, mais continuera à servir sa culture et ses artistes, comme personne.

En novembre 1956, en pleine Révolution hongroise, il publie à Paris le numéro révolutionnaire de Irodalmi Ujság (Gazette Littéraire), interdit en Hongrie. Sur la première page  est reproduit : Le Hongrois est devenu Hongrois de nouveau, de Sándor Petöfi, en compagnie du grand poème de Gyula Illyés, « Une phrase sur la tyrannie » ; œuvre majeure de l’histoire de la poésie hongroise, qui sera naturellement interdite de parution en Hongrie, pendant plusieurs décennies. Durant cette période Ladislas Gara est, dans la presse française, avec Ferenc Fejtő : la Voix de la Hongrie révolutionnaire. Gara démissionne de l’Institut Hongrois. Un an plus tard, il édite le livre Hommage des poètes français aux poètes hongrois (Seghers, 1957). Durant la révolution, Gara se rapproche de François Fejtő. Il est plus actif que jamais. Son ami André Farkas en fait le constat dès qu’il arrive à Paris le 8 février 1957 : « Puisque je venais « de l’autre côté », il m’a fait décrire, dès le lendemain, mes expériences vécues à Budapest et à Varsovie, deux  capitales attisées par l’esprit révolutionnaire, rapidement traduit mes articles, puis nous allions voir les journaux pour les  faire publier. L’intervention soviétique du 4 novembre avait donné à ses activités journalistiques, politiques et littéraires un sens nouveau. Dans l’immédiat, il visait deux objectifs : d’abord, faire condamner publiquement l’agression soviétique et, ensuite, dévoiler le vrai visage du nouveau régime Kádár, imposé par les chars d’assaut russes. Comment David osait-il déclarer la guerre à Goliath ? Premièrement, Gara servait de trait d’union entre les journaux français et  les journalistes et écrivains hongrois fraichement réfugiés à Paris. Infatigable, il traduisait et faisait paraître les aventures  bouleversantes vues et vécues par eux. En second lieu, il a été à l’origine d’une campagne de signatures contre l’invasion soviétique, facilitée par un mouvement de masse spirituel spontané déclenché en France, y compris dans les rangs des communistes et, avant tout, parmi les intellectuels. Toute la Rive Gauche, entre les Deux-Magots et la Coupole était en émoi ! Beaucoup d’anciens camarades aguerris ont exprimé leur désaccord en déchirant leur carte du Parti. Gara a eu la bonne idée de réunir les contestations individuelles en une expression nationale, selon un plan bien conçu. Je m’en suis rendu compte rapidement, car je l’ai souvent accompagné sur le terrain. Toutes les portes s’ouvraient devant « Latzi », comme ses amis français avaient l’habitude de l’appeler. Nous avons visité éditeurs, rédactions, instituts scientifiques et nous avons rencontré aussi pas mal d’hommes de lettres, autour des tables de bistro. Même Jean-Paul Sartre, connu pour sa grande versatilité idéologique a paraphé notre protestation. »

Sa campagne de signature réussie, son rôle public terminé, Ladislas Gara pouvait désormais consacrer tout son temps à la promotion de la littérature hongroise. Après les évènements de 1956, en parallèle avec ses actions politiques, il poursuit ses travaux littéraires et demeure en contact permanent avec les écrivains hongrois vivant sous le régime Kádár, pour faciliter la publication de leurs œuvres en français. Après l’Hommage des poètes français aux poètes hongrois (1957), paraît la même année aux éditions du Seuil, l’une des plus fameuses traductions de Ladislas Gara : Niki, l’histoire d’un chien ; le chef d’œuvre de Tibor Déry.

Ladislas Gara, cet homme exceptionnel à bien des égards, véritable ambassadeur de la poésie hongroise en France, est donc journaliste, romancier, mais également essayiste : (Gyula Illyés, éd. Seghers, 1966) et surtout traducteur (nous lui devons une cinquantaine de traductions qui font toujours référence : Endre Ady, Attila József, Sándor Márai, Zsigmond Móricz, Ferenc Molnár, Magda Szabó, Géza Ottlik, Tibor Déry…) Il ne se borne pas, comme l’écrit Ioana Popa, à être un intermédiaire linguistique. Il est non seulement l’initiateur de la plupart de ses traductions, mais aussi un « courtier » quasiment incontournable reliant écrivains exilés, maisons d’édition, presse, comités mobilisés en faveur des intellectuels arrêtés ou instances de soutien à ceux ayant fui la Hongrie. Pour ces derniers, il devient en effet un point de passage obligé, comme le confirme, entre autres,  Tibor Méray : « Sans Gara, je ne serais pas resté en France. Quand j’y suis arrivé en 1957, je ne connaissais personne et je ne parlais pas le français… Tous ces liens étaient établis par lui. C’est pour moi, mais pour beaucoup d’autres ! Si vous cherchez des institutions, Gara en était une ! »

Gara comme de nombreux hongrois, est très tourmenté. Il fut l’un des meilleurs amis de Jean Rousselot, qui, dès 1956, avait écrit à Gyula Illyés (qui était lié à Gara, qui le tenait pour un génie, depuis leur rencontre à Paris dans les années 20) : « Vous ne remercierez jamais trop Ladislas Gara. Cet homme modeste, exquis, brûlant d’amour pour la poésie, est en train de faire découvrir la Hongrie poétique – et de la faire aimer !, à des masses de gens qui n’en avaient pas la moindre idée. » Rousselot, Gara le surprendra un jour en lui déclarant que seule la parution de son Anthologie de la poésie hongroise du XIIe siècle à nos jours (Le Seuil, 1962), le maintenait en vie. Son anthologie est son chef-d’œuvre, un aboutissement en même temps qu’un testament.

L’anthologie de Ladislas Gara, divisée en quatre époques chronologiques, comporte cinq cents pages. La première partie, avec ses quatre-vingt-dix poèmes de trente-trois poètes, nous ramène jusqu’aux poètes anonymes du XIIe siècle pour culminer autour de 1800. La deuxième section contient vingt-deux poètes romantiques et postromantiques du XIXe siècle, avec soixante-huit œuvres. La troisième partie est la plus importante. Elle réunit cinquante-deux poètes de la génération Nyugat avec cent-quatre-vingt-dix-sept poèmes, fournissant une image exhaustive du XXe siècle. Enfin, dans le quatrième et dernier chapitre, quarante-sept poèmes de vingt-cinq auteurs, donnent un panorama exhaustif de la nouvelle poésie hongroise. Au total, quatre-cent deux poèmes sont sortis de la plume de cent-trente-deux poètes, chacun d’eux bénéficiant d’une notice de présentation. Gara avait fourni une traduction littérale des poèmes de ses compatriotes, avant de confier à des poètes français (Rousselot, Guillevic, Béalu, Clancier, Frénaud, Emmanuel, Éluard…), le soin d’en assurer l’adaptation poétique. La même année, Gara fait paraître, ce qui demeure une autre pièce fameuse du garaïsme : Quinze poètes français présentent Le Vieux Tzigane de Mihály Vörösmarty. Gara déborde d’activité, de travaux de traductions, de projets de livres : Une Possédée (Iszony) de László Németh et Une École à la frontière (Iskola a határon) de Géza Ottlik, qui paraissent, le premier chez Gallimard et le deuxième au Seuil, en 1964. Puis Monsieur G.A. à X. (G.A. úr X-ben) de Tibor Déry, au Seuil, en 1965.

Malgré ou plutôt à cause du succès de son anthologie, les relations entre Gara et les tenants officiels de la littérature hongroise demeurent précaires. Ces derniers tentent de l’amadouer, mais c’est en vain. Gara enfonce au contraire le clou en traduisant et en faisant publier en France des poètes qui ne sont guère prisés par le régime. Il en va ainsi, par exemple, avec Puits de feu de Sándor Weöres, qui avait été auparavant refusé par les éditions Szépirodalmi Kiadó, à Budapest. Grace à Gara, le grand Lajos Kassák, réduit au silence depuis de nombreuses années en Hongrie, est republié à Paris et à Bruxelles. Gara contribue à la représentation du Favori, le drame de Gyula Illyés, dans lequel il joue le rôle d’un soldat romain. Il prend ensuite une part active à la publication de l’appel de Gyula Illyés, Une minorité méconnue: les Hongrois de Transylvanie (1964), en faveur de la minorité hongroise de Transylvanie, dans la presse française. Gara continue à refuser toute coopération de ce genre avec le régime de Kádár.

Mais Gara s’enlise dans l’effondrement moral et nerveux, et c’est encore à Illyés qu’il s’en ouvre, en date du 31 mai 1964 : « Mon cher Gyula, aujourd’hui encore, je suis incapable de travailler. Une déprime classique, dit le médecin, rien à voir avec mon occupation actuelle, mais beaucoup plus avec la précédente, le roman de 800 pages de Déry. Naturellement, d’autres raisons s’y ajoutent aussi, comme par exemple l’obligation de laisser tomber le tabac et aussi quelques tourments de nature personnelle ». Et pourtant, même s’il peine désormais - en raison du surmenage intense qu’il s’est imposé depuis de trop nombreuses années et de sa dépression nerveuse -, Ladislas Gara n’en diminue pas pour autant ses activités.

 Le 10 mai 1966 : Ladislas Gara se suicide (par ingestion de médicaments) dans son appartement parisien. Il est enterré au cimetière de Bagneux, près de Paris. Sa femme Nathalie lui survit jusqu’en 1984. Ils meurent tous les deux apatrides. Nathalie avait été contrainte en épousant Ladislas de prendre la nationalité hongroise, dont ils furent déchus par la Hongrie de János Kádár.

  « Mon cher Ladislas Gara, écrira Jean Rousselot en 1998 à Armand Olivennes, sa photo est fichée devant moi, côte à côte avec celle d’Attila József. Dans un de mes recueils, Du Même au même (1973), j’évoque d’autant plus fidèlement sa mort que, dès qu’il se fût suicidé, sa femme et sa fille m'appelèrent, rue Surcouf, et que je le trouvai, un bras tendu, gisant dans son lit, près du tourne-disque sur lequel la Symphonie Jupiter avait dû prendre fin en même temps que sa vie… J’ai beaucoup travaillé avec cet homme patient, timide et malheureux. Sans lui, je n’aurais adapté ni József, ni Petőfi, ni Illyés, ni Madách et tant d’autres poètes hongrois. Sa grosse anthologie des éditions du Seuil dont parle Claire lui tenait tellement à cœur qu’il avait juré de se donner la mort après l’avoir vue paraître ; elle était devenue sa seule raison de vivre…. Je crois revoir László et son éternelle cigarette et l’entendre réclamer un café très serré au bistrot de l’avenue de la Bourdonnais. » Gyula Illyés (in Notes de journal 1961-1972) ressent tout aussi douloureusement que Rousselot la disparition de Gara : « L’année 1966 a été pour moi, mais pour nos amis aussi, une année terrible, désastreuse. Jamais autant de maladies, de malheurs et de morts n’ont frappé notre milieu… Cette année a vu mourir à Paris, Ladislas Gara : depuis disons Kelemen Mikes, personne n’a fait peut-être autant que lui pour le rayonnement de la littérature hongroise et du génie hongrois à l’étranger ; une mort qui m’a d’autant plus bouleversé qu’elle est survenue dans des circonstances tragiques… »

Avait-il reçu, suffisamment de remerciements pour ses efforts ?, interroge André Farkas, avant de répondre : « Individuellement, au coup par coup, oui. Mais jamais la moindre reconnaissance officielle de sa patrie. Et, pire encore, durant les dernières années de sa vie, le complot ourdi contre lui par le système Kádár devenait de plus en plus perceptible. György Aczél, l’éminence grise des affaires culturelles à Budapest, aurait voulu que Gara travaille soit pour lui, soit pour personne. Il lui a fait passer le message par émissaires à plusieurs reprises. »

Il fallut en effet près de cinquante ans pour dignement commémorer l’œuvre extraordinaire, l’abnégation sans limite et le personnage attachant décrit avec fidélité et émotion par André Farkas. Le Musée littéraire Petőfi de Budapest a rendu hommage à Ladislas Gara le 6 mars 2013, ainsi que l’Institut Hongrois de Paris, le 28 janvier 2014. La correspondance entre Gyula Illyés et László Gara (Hadúr megfizet érte, reméljük ! Illyés Gyula és Gara László levelezése 1939-1966, édition de Borbála Kulin, chez Balassi Kiadó) a été publiée en 2007. Saint Boniface et ses Juifs, le roman de Nathalie et Ladislas Gara, a été traduit et publié en anglais sous le titre, St. Boniface and Its Jews (Melrose Books) en 2006, avant de l’être à nouveau et de manière nettement plus satisfaisante et convaincante, sous le titre : Welcome to the Free Zone (Hesperus Press), en 2013.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

« Les Orphées du Danube », par Christophe Dauphin, mercredi 20 janvier 2016, INSTITUT HONGROIS - COLLEGIUM HUNGARICUM, PARIS.

« Les Orphées du Danube », par Olivia Farkas, Eurydice El-Etr, Christophe Dauphin et Anna Tüskés. COLLEGIUM HUNGARICUM, PARIS.



Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules


 
LES ORPHÉES DU DANUBE, J. Rousselot, G. Illyés et L. Gara