Pablo de ROKHA

Pablo de ROKHA



Turbulent Pablo de Rokha, de son vrai nom Carlos Díaz Loyola, né Licantén au Chili, le 17 ocotobre 1895, le fut dés son plus jeune âge. A seize ans, en 1911, il est expulsé du Séminaire de Talca.  Il se rend à Santiago pour y terminer ses études secondaires et entreprendre des études universitaires, qu’il n’achève pas.

Ses premiers poèmes paraissent dans l’anthologie Selva lirica en 1917. L’année précédente, il avait épousé signée de la main de Luisa Anabalón Sanderson, qui adoptera le nom de Winétt de Rokha. Assoiffée de vie, Pablo de Rokha exercera les activités et les métiers les plus divers, tout en produisant une œuvre poétique comptant parmi les plus importantes e la poésie chilienne.

Voyageur impénitent, homme de haines et d’amitiés définitives, doté d’un appétit pantagruélique, Pablo de Rokha, militant communiste, fut aussi un polémiste redoutable et redouté, avec l’exagération ou la mauvaise foi qui vont avec : « Pablo Neruda, le poète de la décadence bourgeoise, le poète des germes et les tas de fumier de l’esprit » ; « Eduardo Anguita, le sacristain enfant de chœur et domestique du Pontife » ; « Angel Cruchaga et ses angelots et ses vierges à l’eau de rose et cette gélatine blonde et céleste » ; « Rosamel del Valle, escargot à face de bébé de coiffeur » ; « Vicente Huidobro, petit grand bourgeois, métèque, qui prend contact et se met en liaison avec l’Europe Impérialiste et son art issu d’un bagage intellectuel agonisant et plein d’astuce, plein de jongleries et de faiblesse… littérateur d’avant-garde qui revient en nous racontant des choses nouvelles que nous connaissons déjà »...  Mais, de tous, c’est bien de Pablo de Neruda, dont Pablo de Rokha fut l’ennemi le plus soutenu et le plus harcelant, comme en témoigne Volodia Teitelboim (in Neruda, L’Harmattan, 1995) : « Avec cette énorme capacité d’attaque et de fureur s’épanchant en gros mots, avec cette attitude caricaturale, risible et sombre, l’insulteur hyperbolique, l’homme qui désirait ardemment une révolution majeure, peut-être pour mettre fin à son propre désespoir en attendant il distribuait des coups d’épée comme il le pouvait, il réglait d’authentiques ou de prétendues ingratitudes, et il fit de Pablo sa bête noire, le visant au cœur de sa poésie. Seulement, il ignorait que cette poésie avait un cœur blindé… » Cette inimitié remontait à leur jeunesse. Neruda et ses jeunes amis avaient vingt ans et crevaient de faim. Rokha en avait trente lorsqu’il se lia avec eux, ou plutôt lorsqu’il leur mit le grapin dessus : « Il utilisait un ton impératif, sans appel, donnait des ordres aux jeunes gens pour qu’ils aillent accomplir leur devoir d’emprunter de l’argent, de vendre des livres, d’accomplir de petites escroqueries… Ils tremblent devant sa grosse voix et ses menaces. »

Les jeunes poètes sont pauvres, mais pas idiots. Ils se révoltent violemment contre Rokha et l’évincent ; ce qu’il ne leur pardonnera jamais ; encore moins avec le temps, et la place prépondérante qu’occuperont certains (Neruda au premier chef), contrairement à lui, sur la seine publique et littéraire. Teitelboim poursuit : « Ce chef des affamés, cet homme d’extrêmes, immensément démesuré, est une figure très complexe de la littérature chilienne. Dans sa vie s’est posée longuement l’antinomie poésie-argent. Toute son existence fut d’une étroitesse pathétique interrompue, lorsqu’il le pouvait, par des beuveries et des ripailles sauvages… C’était un poète qui avait publié un livre matériellement énorme, soudain transformé en objet de scandale et en sujet de dérision par la critique. Le livre, que certains estiment en kilos, Los Gemidos (Les Gémissements) était exagéré, mais dans son déséquilibre, il y avait de la grandeur. Il traduisait son découragement, un regard sans illusion. C’était un pré-révolutionnaire. Il aimait terriblement la vie, mais celle-ci ne lui rendait qu’angoisse et tension. Il écrivit à son encontre des effronteries. Il ne manquait pas d’humour. Il en répandait des quantités, caustiques et noir. A la damnée nécessitée du pain de tous les jours, pour sa femme délicate et la bande d’enfants qui augmentait chaque année, à la vie impitoyable, il ne put répondre avec la sérénité de quelqu’un de satisfait. Il était l’opposé du courtisan. Toute sa vie fut difficile. Elle le bafoua et il le lui rendit comme il put, en écrivant sur elle des choses énormes dans ses livres tout en l’aimant et en cherchant à mourir. Avec lui, les sarcasmes n’avaient pas de fin. Au fond, c’était un grand poète tragique. Tellement tragique qu’il se suicida un jour lorsqu’il lui apparut que dans le monde, il n’y avait pas de place pour lui. »

En 1965, Pablo de Rokha reçut le Prix National de Littérature. Trois ans plus tard, il mit fin à ses jours, après avoir écrit :« Toute mon œuvre, toute, absolument toute est tragique et dionysiaque, volcanique et insulaire, dramatique et océanique, comme le continent américain. »

À lire (en français) : La complainte du vieux mâle (La lettre volée, 2004).

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

"PABLO DE ROKHA, EL AMIGO PIEDRA" (2010), film documentaire de Diego Meza.          



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes chiliens contemporains, le temps des brasiers n° 45