Ray MANZAREK

Ray MANZAREK



Si les Doors sont entrés dans l’histoire, c’est évidemment grâce à la voix, la poésie, le charisme, la vie brûlée de son poète-chaman-chanteur James Douglas  Morrison (1943-1971). Mais pas seulement. Le son unique du groupe d’acide rock californien doit beaucoup aux claviers de Ray Manzarek, qui, par ailleurs, se chargeait également de la basse avec son piano Fender Rhodes. Ce pianiste de formation classique, musicien de légende, forma, avec Robby Krieger, à la guitare, et John Densmore à la batterie, l’ossature instrumentale du plus mythique des groupes de blues-rock : The Doors. Le grand Ray est mort lundi 20 mai 2013, à 74 ans, dans une clinique à Rosenheim, en Allemagne, où il était soigné pour un cancer des voies biliaires. Il emporte avec lui le son inimitable des accompagnements et des solos de clavier des Doors, le groupe qu’il avait fondé en 1965 avec Jim Morrison.  

Raymond Manczarek dit Ray Manzarek, est né le 12 février 1939 à Chicago, dans une famille modeste et d’origine polonaise, installée aux U.S.A. depuis 1890. Il prend des cours de piano durant son enfance et étudie plus tard le cinéma à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), où il fait la rencontre Dorothy Fujikawa (qui deviendra son épouse, la compagne de sa vie), et celle d’un autre étudiant, James Douglas Morrison. Les deux amis sont imbibés de poésie, comme l’écrit Ray : « Je suppose que si Kerouac n’avait jamais écrit Sur la route, les Doors n’auraient pas existé. Ce livre ouvrit en grand les vannes, et nous lûmes tout ce sur quoi nous pûmes mettre la main… Jim avait le même genre d’aura qu’avaient les beats. Il avait le même don… Jim était un poète. J’étais le genre jazzman-bluesman-musicien ». A la fin de leurs études, les deux amis se trouvent par hasard objectif sur la plage de Venice durant l’été 1965, comme Ray en a témoigné : « Il était tombé de 75 à 60 kilos. Ses cheveux avaient poussé et bouclé, et il ressemblait un peu au David de Michel Ange. Et plus encore aux bustes d’Alexandre le Grand que j’ai vus depuis. – Qu’est-ce que tu fais là, vieux, Tu as fait quelque chose, ces derniers temps ? demandai-je. Oui, répondit-il. J’ai écrit des chansons. Tu sais quoi, chante-moi une de tes chansons… A mesure qu’il chante, j’entends un enregistrement complet dans ma tête ! Batterie, basse, guitare, chœurs ; et je joue de l’orgue sur le tout… Et Jim flotte au-dessus de l’ensemble, et chante de toute sa puissance… Et mon Dieu, quelle musique magnifique nous faisons ensemble ! » Manzarek propose à Morrison de fonder un groupe de rock. Ce dernier acquiesce. Il a déjà trouvé le nom du groupe : The Doors, en écho à Aldous Huxley et William Blake : Si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est : infinie. Ray Manzarek abandonne le groupe de surf music, Rick and the Ravens, qu’il a formé avec ses deux frères Rick et Jim. Les Doors seront quatre : l’orgue puissant et sensible de Ray Manzarek (un jeu enveloppant, tantôt échevelé, tantôt hypnotisant et quasi cinématographique lorsqu’il s'agissait d’accompagner les longues tirades aussi imagées que possédées de Morrison), la batterie jazz de John Densmore, le doigté rock précis et subtil de Robby Krieger, la voix blues mi-ténor, mi-baryton de Jim Morrison. Les Doors, pour qui, la scène n’est pas seulement l’endroit où se déroule le show mais un théâtre, lieu de toutes les expérimentations oniriques et électriques, insuffle d’emblée un son neuf, fracassant, et, dans les paroles, une poésie comme jamais cela ne fut fait avant comme après eux (Bob Dylan à part et dans un autre registre, évidemment) : Où sont les festins - qui nous ont été promis - Où est le vin ? - Le Vin Nouveau - Il meurt sur la vigne. Chez les Doors il y a bien une exploration perpétuelle tant musicale que poétique et scénique, ainsi qu’une détermination à aborder les problèmes de leur époque, ce qui tranche profondément avec l’univers crétinisant du rock et une société mercantile, qui leur fera payer très cher leur révolte ; Jim Morrison au premier chef, qui affirme : « Pensez à nous comme à des politiciens de l’érotique ». Les Doors sont à part, uniques. Ils le sont toujours. De la parution de l’album The Doors (janvier 1967) à celle de L.A. Woman (avril 1971 ; dont l'un des sommets reste l’envoûtant Riders on The Storm, illuminé par un clavier aussi hanté que limpide) ; le groupe s’est imposé comme la formation phare de la contre-culture et de la scène rock mondiale. Durant cette courte et très intense période, tous leurs albums (six albums studios et un live) remportèrent des disques d’or et plusieurs de leurs singles dépassèrent le million d’exemplaires. Les Doors, c’est à ce jour, cent millions d’albums vendus. Mais là, n’est évidemment pas le plus important. Ce qui demeure, c’est l’identité sonore, intellectuelle et émotionnelle d’un groupe, qui propose une fusion de la poésie, du théâtre et de la musique expérimentale ; une mise en scène antique pour inventer les mythes de demain, sous couvert de Dionysos.

Les Doors se séparent en 1973, après la mort de Jim Morrison, survenue deux ans plus tôt à Paris. En 1978 parait l’album An American Prayer ; des poèmes de Jim Morrison, déclamés par le poète et mis en musique par les trois survivants. L’album remporte un succès conséquent et Manzarek, dès lors, devint, plus que ses deux acolytes tiraillés entre fidélité au mythe et désir d'émancipation, le gardien du temple. Un rôle qu'il endosse en publiant un livre de mémoires (Light My Fire : my life with the Doors, 1998), mais surtout en surveillant de multiples remasterisations des albums originaux et de sorties d’albums live à foison. Sans oublier son profond désir de continuer à faire vivre la musique des Doors sur scène, sous le nom de Doors of the 21st Century puis Riders on the Storm, avec des chanteurs de substitution dont le remarquable Ian Astbury, chanteur du groupe anglais The Cult. En 2011, pour marquer les 40 ans de sa mort, les deux membres du groupe Ray Manzarek et Robby Krieger avaient joué sous la bannière des Doors au Bataclan, à Paris, à guichet fermé. Producteur, dans les années 80, du groupe punk de Los Angeles, X4, Ray Manzarek a également enregistré des albums solos, tels que : The Golden Scarab, The Whole Thing Started With Rock & Roll, Carmina Burana, Freshly Dug (avec Darryl Read), Ballads Before the Rain et Translucent Blues (avec Roy Rogers), Love Her Madly, The Third Mind et The Piano Poems : Live From San Francisco (avec le poète Michael Mc Clure).

A lire: Ray Manzarek, Les Doors, la véritable histoire (éditions Hors Collection, 1999).

 

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules)



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier: THÉRÈSE PLANTIER, UNE VIOLENTE VOLONTÉ DE VERTIGE n° 36