René ICHÉ

René ICHÉ



RENÉ ICHÉ L’ART EN LUTTE !

 

« René Iché : l’art en lutte » est une exposition présentée à La Piscine-Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix du 24 juin au 4 septembre 2023, coproduite avec le musée Toulouse-Lautrec à Albi qui la présentera du 30 mars au 30 juin 2024, et avec le musée des Beaux-Arts de Quimper qui présentera la variante « Fragments surréalistes. René Iché et les poètes », du 23 novembre 2023 au 19 février 2024.

Iché est née dans le pays des vignes rouges du Minervois et du noir abîme des Corbières. Le pays de Pierre Reverdy, Joë Bousquet, Joseph Delteil, de la belle Hélène et de François Pujol. Iché est l’un des plus grands sculpteurs français du XXe siècle et une forte figure de la Résistance française durant l’Occupation allemande, à une heure ou d’autres sculpteurs, Belmondo, Bouchard, se vautraient dans la fiente de la collaboration vichyste et nazi. Quelle est la valeur essentielle de la Résistance ?

Iché nous dit : « Elle réside dans cette expérience d’une unité profonde découverte au-delà de toutes les diversités apparentes... Celui d’une unité de la France, et d’une France qui n’était pas une patrie parmi d’autres, mais le symbole des valeurs sans lesquelles la vie ne méritait pas d’être vécue. » Alors, oui, il n’y a aucun étonnement à constater que lutte tout est lutte et de tous temps chez René Iché, sculpteur de cœur, de la tripe, de la matière, de la taille directe de l’émotion. Mon sculpteur d’élection, grande figure de l’art moderne qui bénéfice enfin d’une exposition à sa mesure. Iché n’est pas un sculpteur académique et conventionnel. Je ne le serais donc pas en affirmant qu’il y a de la couille chez Iché, dans son œuvre comme dans sa vie.

Tout est lutte. Pour être artiste, sculpteur, contre l’avis de sa famille. Pour la vie, dans la boue des tranchées de 1915. Pour l’expression de son art aux prises avec la matière. Pour la justice sociale : Iché est un socialiste chrétien proche d’Emmanuel Mounier et de la revue Esprit. Pour la liberté, dans la résistance à l’occupant nazi et aux vichystes. Iché lutte et sculpte pour l’amour contre toute forme d’avilissement. Iché lutte contre l’oubli et contre la mort, la sienne y compris, contre la maladie, dont le nom est Vaquez, qui le terrasse le 23 décembre 1954, à l’âge de 57 ans.

La sculpture de René Iché (1897-1954) est expression par opposition à la sérénité du néoclassicisme. Elle est vie intérieure du sculpteur ou qu’il extirpe de ses modèles. Les Lutteurs émergent de la pierre, de la masse et déploient une énergie malaxée par les pulsions humaines. Ils luttent pour la vie et pour un monde meilleur. Dans Père et fils l’artiste serre de toutes ses forces et de tout son amour le fils qu’il n’a pas, mais qu’il trouve en Robert Rius le poète surréaliste, mari de sa fille Laurence. Robert rejoint la Résistance armée. Il est dénoncé, arrêté, torturé et assassiné par les Nazis le 21 juillet 1944, dans la plaine de Chanfroy, avec une vingtaine d’autres Résistants. Il a 30 ans. Iché doit identifier son corps tout juste sorti de la fosse. Il ne s’en remettra pas.

L’œuvre de René Iché est un journal de bord sculpté aux pages de marbre, de pierre, de plâtre et de bronze. Iché sculpte le déchirement de l’être dans l’être, dans la vie, dans la douleur et jusqu’au cri. Mais aussi et surtout dans l’amour et la passion. Ses nus baignent dans la sensualité et la tendresse et nous renvoient à la poésie, à celle de son ami Eluard en particulier : Elle est debout sur mes paupières – Et ses cheveux sont dans les miens, - Elle a la forme de mes mains, - Elle a la couleur de mes yeux, - Elle s’engloutit dans mon ombre – Comme une pierre sur le ciel. Iché va jusqu’au charnel avec Le couple.

C’est bien de la poésie dont relève les œuvres du maître audois, l’ami de Guillaume Apollinaire, de Joë Bousquet et de Max Jacob. Ce sont bien des poèmes que sculptent Iché. Le mouvement est tour à tour d’une composition rigoureuse, fragmentaire, lisse, épurée. Iché sculpte l’homme à nu. L’émotion fusionne la sculpture, la peinture et le poème, comme en témoignent ses portraits qui, comme chez Giacometti, occupent une place centrale : Portrait de Laurence, Hélène, Louise Hervieu. La figure humaine est le premier sujet.

L’art d’Iché ne copie et ne doit rien à personne. Son art lui est propre. Il traduit par l’adéquation lyrique de la forme l’émotion dont il est chargé. L’artiste reste réfractaire à la sculpture d’assemblage et de construction, comme il semble ignorer le bois comme matière, sauf à ses débuts de 1922 à 1934.

À la virtuosité du modeleur, Iché oppose comme Bancusi la rusticité du tailleur de pierre. Il maintient le dynamisme des corps en mouvement tout en sculptant des figures statiques absolument magnifiques (les portraits, en particulier). Iché épure ses œuvres mais ne va pas aussi loin que Brancusi qui élimine les détails, efface les irrégularités et, d’une tête, glisse vers un volume ovoïde. La simplification devient le mode d’apparition d’une forme proche du symbole. Iché prolonge la tradition de ses acquis et des révolutions qu’accomplissent le cubisme et autres mouvements d’émancipation. Il aspire à une sculpture qui soit en phase avec son temps, avec son époque.

Et en phase, il le fut totalement en art comme dans la vie. Engagé volontaire en 1915, il est gazé en 1918 et décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre. Durant la Seconde Guerre mondiale, Iché rejoint le Réseau du musée de l’Homme. Son atelier du 55, rue du Cherche-Midi sert de boîte aux lettres aux Forces françaises libres. Les armes sont dissimulées dans les moules.

En juillet 1942, après les arrestations de Boris Vildé et d’Anatole Lewitsky, puis de Paul Hauet et Germaine Tillion, Iché rejoint le réseau Cohors-Asturies, branche nord de l’Armée secrète, dirigé par son ami Jean Cavaillès et qui dépend du groupe Libération. Il fait parvenir à Londres au général de Gaulle sa sculpture la Déchirée qui symbolise la Résistance. René Iché, figure même de l’artiste engagé, est les remarquable représentant de la sculpture moderne française.

René Iché nous dit enfin : « Sur le fumier des millénaires, après les cataclysmes géologiques et les désastres guerriers, seules les statues émergent et s’adressent à nous dans leur langage le plus profond, dans son mystère, et le plus universel, qui soit. » Gloire à toi Iché !

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

A lire : Christophe Dauphin, René Iché, l'ultime décade, Les Hommes sans Epaules, 2006. Laurence Imbernon, Marjorie Tena, René Iché sculpteur, Musée Denys-Puech, 1997.

 

HOMME SUCCOMBANT SOUS LE POIDS DE SON CADAVRE[1]

 

               à Hélène et Rose-Hélène Iché.

 

Ne nomme pas cet homme que tu portes

Cet homme que le sang soude sur ton dos

Cet homme qui visse la mort sur tes os

 

Ne nomme pas cet homme des tranchées

Il n’a plus de nom mais un visage de boue

 

Il est l’ombre dans laquelle tu t’effaces

Il est l’ombre dans laquelle tu te confonds

Une baïonnette crève l’œil du paysage

 

Ne nomme pas cet homme

qui plante ses dents dans la mort

 

Ne nomme pas cet homme

Il bat dans ton cœur

 

Ce n’est pas la pluie

Ce n’est pas l’orage

Ni le fusil

Ni la balle

Mais un opéra de sang

 

Le vent est le domino de son haleine

qui croise les jambes sur le squelette de la vie

 

Ne nomme pas cet homme

Avec qui tu traverses la nuit barbelée

Une plage qui se caille comme le lait noir de l’aube

 

Ne nomme pas cet homme

C’est toi succombant sous le poids de ton propre cadavre

 

Ne nomme pas cet homme

C’est toi la tête sur mon épaule

Toi mon frère

Et je ne veux pas en savoir davantage

 

À Ouveillan

Les étoiles dorment dans ton nom.

 

Christophe DAUPHIN

 

(Poème extrait de Totems aux yeux de rasoir, éditions Librairie-Galerie Racine, 2010).

 

 

[1] La sculpture de René Iché, Homme succombant sous le poids de son cadavre (1944), d’une grande puissance émotionnelle est inspirée d’un fait réel. En 1917, sur le Front, René Iché dut porter sur son dos jusqu'à l’aube le corps du jeune soldat russe Wolf Brussilowsky, grièvement blessé par un éclat d’obus. Cet épisode sera à l’origine d’une amitié indéfectible entre les deux hommes ; Brussilowsky devenant en outre l’un des principaux modèles du sculpteur. Fusillé par les nazis en 1943, pour fait de résistance, Brussilowsky survivra une nouvelle fois aux balles pour mourir de vieillesse dans les années 70. C’est un incroyable miraculé des deux guerres mondiales.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules



 
Dossier : JORGE CAMACHO chercheur d'or n° 23

Dossier : Yusef KOMUNYAKAA & les poètes vietnamiens de la Guerre du Vietnam n° 56

Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules


 
René Iché, l'ultime décade