Victor JARA

Victor JARA



Víctor Lidio Jara Martínez, né à San Ignacio, le 28 septembre 1932, d’un couple de paysans modestes, s’est d’abord fait connaitre au Chili par son travail de metteur en scène. À trente-et-un ans, il devient, en 1963, directeur de l’Académie folklorique de la Maison de la culture de Nunoa, et intègre l’équipe de direction de l’institut théâtral de l’université du Chili.

La fin des années 60 le consacre sur la scène internationale, de Londres à Buenos Aires en passant par Berlin. Pendant cette période, il ne délaisse pas sa passion pour la chanson, notamment sous l’impulsion et l’influence de son amie, une écorchée vive, Violeta Parra. Sa carrière musicale sera largement liée à ses engagements politiques.

Víctor Jara prend en 1966 la direction du groupe Quilapayún, avant en 1970, de s’engager activement dans la campagne électorale de l’Unidad Popular, autour de la candidature de Salvador Allende. Víctor Jara va dès lors délaisser la création théâtrale pour se concentrer sur la musique, plus propice selon lui à diffuser ses idées et sa lutte : « L’invasion culturelle est comme un arbre feuillu qui nous empêche de voir notre propre soleil, notre propre ciel, nos propres étoiles. Par conséquent, notre combat pour voir le ciel qui nous abrite nous impose de couper cet arbre à la racine. L’impérialisme nord-américain a compris la magie de la musique et fait en sorte que notre jeunesse soit gavée de tout type de musique commerciale. Les spécialistes de la question ont pris certaines mesures : premièrement, industrialiser et commercialiser la chanson de protestation ; deuxièmement, ériger des idoles qui serviront ses intérêts en endormant la rébellion inhérente à la jeunesse. Ce sont des idoles qui subissent le même sort que les autres idoles de la chanson de consommation : elles subsistent un temps puis disparaissent. Voilà pourquoi nous sommes plus des chanteurs révolutionnaires que de protestation, parce que ce terme nous semble ambigu et parce qu’il est déjà utilisé par l’impérialisme. »

Jara met sa personne et son art, désormais l’un des plus reconnus et appréciés du pays, au service du peuple. Il est nommé ambassadeur culturel du Chili et se rend en URSS, à Cuba et dans plusieurs pays sud-américains. La plupart de ses compositions de l’époque sont de grands succès qui témoignent de son engagement social et de son amour pour le Chili.

L’histoire de Víctor Jara se termine aussi brutalement et tragiquement que l’aventure de l’Unidad Popular. Comment aurait-il pu en être autrement tellement l’artiste était devenu l’étendard chilien du mouvement socialiste et anti-impérialiste ?

Le jour du coup d’État militaire, le 11 septembre 1973, Víctor Jara est enlevé par les militaires et transféré au Stade national (qui porte désormais son nom) avec près de 6.000 autres prisonniers politiques. Víctor Jara y est torturé : on lui broie les mains à coups de crosses et de bottes. Le dernier texte de Jara, écrit furtivement dans l’enceinte du stade, immortalise de façon encore plus poignante cet épilogue : « Comme mon chant sort mal quand je dois chanter l’épouvante. Le sang du camarade Allende frappe plus fort que les bombes et la mitraille. Notre poing frappera, à nouveau, de la même manière. »

Le 16 septembre, cinq jours après le coup d’État, un officier l’abat d’une balle dans la tête. Le chanteur recevra quarante-quatre autres dans le corps. On retrouvera sa dépouille aux côtés de cinq autres, dans un terrain vague au petit matin. Un groupe de civils les déplace dans une camionnette pour les conduire à la morgue. Le 18 septembre 1973, seules trois personnes sont présentes pour l’enterrement clandestin de Víctor Jara.

Si son corps n’a pas été enterré avec les milliers d’autres cadavres de ses camarades, c’est grâce au courage d’un jeune fonctionnaire de vingt-trois ans, Hector Herrera. Requis par la junte militaire pour identifier les corps, il reconnaît Víctor Jara et fat sortir clandestinement son corps de la morgue et l’apporte à sa femme, la danseuse Joan Turner.

Víctor Jara est de nouveau enterré, mais officiellement et avec les honneurs, le 5 décembre 2009 (après trois jours d’hommage populaire) dans le Cimetière Général de Santiago, lors d’une cérémonie à laquelle assistent sa veuve et leurs deux filles, la présidente du Chili Michelle Bachelet, et plus de 5.000 personnes.

Rebondissement en septembre 2016 : Le jury du tribunal fédéral des États-Unis d’Orlando déclare l’ex lieutenant chilien Pedro Barrientos coupable de l’assassinat du chanteur Víctor Jara et le condamné à payer à sa famille 28 millions de dollars. Barrientos, à présent citoyen états-unien, était accusé par une plainte civile déposée par la femme de Víctor Jara, Joan et ses filles Manuela Bunster et Amanda.

La plainte souligne que Barrientos a supervisé la détention de Jara dans les vestiaires du stade. « Les soldats sous la direction de Barrientos ont bandé les yeux, menotté, interrogé, frappé brutalement et torturé Jara. Après qu’il ait été torturé, Barrientos a mis à Jara « un pistolet derrière la tête » et a joué à la « roulette russe » avec son pistolet. Il a placé plusieurs balles de façon aléatoire dans le chargeur du révolver. « Pendant ce jeu », Barrientos a tiré sur Víctor Jara dans la partie arrière de la tête. Ensuite, il a ordonné à cinq autres recrues sous sa main de lui tirer dessus de façon répétée ».

Lundi 28 août 2023, on apprend qu’un général chilien à la retraite, condamné définitivement lundi 28 août avec d’autres officiers pour le meurtre en 1973 de Victor Jara au lendemain du coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet, s’est suicidé peu avant son incarcération. Lorsque la police s’est rendue chez lui, le général Hernan Chacon, 85 ans, « a pris une arme à feu qu'il a retourné contre lui ce qui a provoqué sa mort », a expliqué le procureur Claudio Suazo.

La veille, la Cour suprême avait confirmé les peines d’emprisonnement, allant de 8 à 25 ans, prononcées à l’encontre du général Chacon et de six autres anciens militaires pour le meurtre de Victor. Les sept anciens officiers, âgés de 73 à 85 ans, étaient libres jusqu’à cet arrêt définitif. Selon cet arrêt, le général à la retraite a participé à la sélection et à l’interrogatoire des 5.000 prisonniers politiques, dont Victor Jara, transférés dans le stade de Santiago après le golpe contre Salvador Allende.

Augusto Pinochet, auteur du coup d’État militaire au Chili il y a 50 ans, est mort en 2006 sans jamais avoir été condamné pour les crimes commis par son régime, soit plus de 3.200 victimes.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sas Epaules).

 

Discographie : Canto a lo Humano (1966), Canciones folclóricas de América (1967), El Verso es una paloma (1967), Te recuerdo Amanda (1969), Canto libre (1970), El Derecho de vivir en paz (1971), La Población (1972), Victor Jara habla y canta en vivo en La Habana (album public, 1972), Canto por traversura (1973), Presente (album posthume, 1975), Anthologia musical (deux CD, 2003).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes chiliens contemporains, le temps des brasiers n° 45