William SHAKESPEARE

William SHAKESPEARE



William Shakespeare, né probablement le 23 avril 1564, à Stratford-upon-Avon, est mort le 23 avril 1616, dans la même ville.

"... La menace, le danger, la mort, mais aussi la guérison, l’espoir, le salut viennent de loin. Ainsi se répète à l’infini la tradition des récits légendaires de toutes les civilisations. Ils nous prédisposent culturellement à cette posture de chasseur à l’affût que nous prenons dès l’ouverture d’un livre, dès le lever de rideau d’un théâtre, dès le générique d’un film. Parmi les exemples les plus caractéristiques, la scène shakespearienne s’offre à ce tropisme du lointain. Dans son île, Miranda, témoin du naufrage «magique» servant d’ouverture à La Tempête, ne sait pas que le navire en perdition porte les acteurs du destin funeste qui l’a exilée autrefois, dans sa petite enfance, avec son père Prospéro trouvant le refuge de cette île déserte. Le dramaturge travaille à combler les distances que son «scénario» a tout d’abord creusées dans le destin de ses personnages. La «pente» de la pièce court ainsi vers un dénouement propre à résorber les antagonismes – Ariel et Caliban, Prospéro et son frère félon Antonio –, à unir les amants mutuellement promis, à refermer les parenthèses de l’éloignement ; le naufrage, opéré par magie, n’était donc que l’une de ces parenthèses ; on l’oubliera, il n’y paraîtra plus, ce sera comme s’il n’avait pas eu lieu : PROSPÉRO. […] — je vous promets une mer calme, des brises favorables et une marche si rapide que nous rattraperons votre flotte royale malgré son avance. Ceci, mignon Ariel, est ton affaire […] Il en va de même dans Le Conte d’hiver, véritable clavier du Merveilleux, à descendre et à remonter les gammes de temps et d’espace serties dans le destin par le coup de folie initial du roi Léontès : le nourrisson abandonné au désert, l’enfant perdu, la petite Perdita, devenue fille de berger aimée d’un prince, retrouvera non seulement l’amour paternel, mais encore la grâce de redonner vie à sa mère Hermione, refermant ici encore, et comme par prodige, une longue parenthèse qui s’était ouverte sur les confins de la douleur et de la mort. On se souvient de l’admirable parti qu’avait tiré Éric Rohmer de ce dénouement shakespearien dans son film Conte d’hiver (1992), l’un de ses «Contes des quatre saisons». Beaucoup moins souriant nous apparaît, pour rester chez Shakespeare, le lointain qui fait son oeuvre dans La Tragédie de Macbeth. Ce lointain-là est au pouvoir des Sorcières ; or, les messages que celles-ci font passer sont pleins de mystère et induisent de trompeuses assurances : LES SORCIERES : — Écoute, mais ne lui parle pas.  LA TROISIEME APPARITION : — Prends un cœur de lion, sois fier et n’aie cure de ce qui gronde, s’agite ou conspire contre toi ; Macbeth ne sera pas vaincu jusqu’au jour où la grande forêt de Birnam gravissant Dunsinane marchera contre lui. MACBETH. — Cela n’arrivera jamais ! Qui peut de force enrôler la forêt et ordonner à l’arbre d’ébranler sa racine enchaînée dans la terre ? Douces prophéties ! Malheureusement pour le tyran réfugié au château de Dunsinane, chacun des soldats assiégeants s’est camouflé de branchages de la forêt de Birnam, et c’est ainsi que cette forêt lointaine se transporte vers Dunsinane, accomplissant la prophétie : LE MESSAGER. — Comme je montais ma garde sur la colline, j’ai regardé du côté de Birnam, et, tout à coup, il m’a semblé que la forêt commençait à se mouvoir... […] Je dis : une forêt qui marche... MACBETH. — […] Je rentre ma résolution et commence à soupçonner l’équivoque du démon qui ment sous le masque de la vérité. «Ne crains rien jusqu’à ce que le bois de Birnam arrive à Dunsinane !» Et maintenant, un bois marche sur Dunsinane !... La tragédie est ainsi fortement marquée par une sorte d’écrasement du lointain, temporel aussi bien que spatial. De même que le criminel se trouvera, au dénouement, cerné par les troupes de Macduff et de Malcolm, de même, dès que sont commis les crimes, les perspectives se fermeront sans pitié, comme l’a noté Richard Marienstras : La détermination de Lady Macbeth a craqué ; elle ne peut que revivre dans l’imaginaire les scènes meurtrières du passé cependant que Macbeth, perdant lui aussi toute assise temporelle, est coupé du passé comme de l’avenir – de cet avenir qui ne peut plus être, pour lui, qu’un présent sans cesse recommencé…"

Paul FARELLIER

(Revue Les Hommes sans Épaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : DIVERS ÉTATS DU LOINTAIN n° 34