Les étoiles saignent bleu (Poèmes choisis et inédits 1980-2008)

Collection Les HSE


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Les étoiles saignent bleu (Poèmes choisis et inédits 1980-2008)

Préface de Christophe Dauphin
Jacques TAURAND

Poésie

ISBN : 9782912093592
272 pages - 13 x 20,5 cm
20 €


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Poète, nouvelliste, critique, collaborateur permanent des Hommes sans Épaules, Jacques Taurand (1936-2008), qui fut également du comité de rédaction de la revue Le Cri d’os, a toujours fui « la poésie intellectuelle, tout ce qui est fabriqué par l’esprit seul et sec. Celle des fameux abstracteurs de quintessence » ; point d’obligation d’écriture, non plus, chez lui. Le poète s’est toujours refusé à « écrire pour écrire », à fabriquer des poèmes, et donc à fausser la donne en forçant l’inspiration.

Pour Jacques Taurand, le poème dérive forcément d’une émotion, comme il l’a écrit lui-même : « Le travail consiste, à mes yeux, à tailler la Pierre brute de l’Émotion… L’émotion est mouvement de l’âme, aussi le poème s’applique-t-il à éveiller, à capter, à révéler ce mouvement avec lequel il tente de se confondre mais avec lequel aussi il s’enfuit et sombre ». Le poème est toujours en prise immédiate avec la vie, là où les boucles d’un soleil – jouent avec les doigts de l’instant. Le poème donne à voir autant qu’il aide à voir ; donne à vivre, autant qu’il aide à vivre celui qui l’écrit, comme celui qui le lit : Je vous attends – au coin de cette page – nous y parlerons – et dirons la vie.

La présente anthologie, Les étoiles saignent bleu, paraît à l’occasion du dixième anniversaire de la mort du poète, et donne à lire un choix de poèmes de 1980 à 2008, ainsi que des inédits.

Christophe DAUPHIN

MAINTENANT                                                                                                                               

 

à Jean Rousselot

 

Maintenant

que les yeux ont pris la couleur du temps

et soutiennent les regards de la pierre

que toute douleur se dilue dans la mémoire

il naît de l’amour la transparence

il naît des mots à fleur de page

la noire écriture du sang

 

Maintenant

Dans le jeu des reflets

écailles d’une si proche et si lointaine enfance

n’est-il temps de cacher la vie

sous l’écorce des arbres ?

n’est-il venu le moment d’écouter la lumière

à la source des sèves ?

 

Maintenant

après tant de paroles prononcées

modelant l’argile des saisons

après tant de grappes pressées sur les lèvres des jours

de mains épousant les hanches de l’instant

ne faut-il laisser le vent effilocher les brumes

dissoudre ces toiles illusoires

tramées au fil des mots par un cœur malhabile

et rendre à l’invisible un soupir d’infini ?

 

Maintenant

que toute douceur est épaule de neige

qu’une lampe à flanc des soirs veille

sur les vrilles d’un songe vain

déroulant d’éphémères volutes

où fond tout aussitôt l’or à peine entrevu

cédant à la blancheur qui saigne d’un rubis

 

Maintenant

que l’heure est venue d’accompagner des ombres

que se fane déjà le haut bouquet des visages amis

qu’à la table de l’été des rires se sont tus

de chaque absence n’est-il bon de caresser la flamme

avant qu’elle ne s’éteigne et sombre dans l’oubli ?

 

Maintenant

que l’espoir tourne le dos

aux avenues d’une autre époque

où passants et pensées sont des oiseaux figés

dans les grêles rameaux de l’écriture

et que s’irise la glace d’une haute solitude

est-il dans ce sillage la fleur d’un devenir ?

 

Maintenant

que le vivre et le dire

s’enfuient le long des ciels de vif-argent

que s’ouvre une aile au vol plus incertain

voici poindre le temps du voyage immobile

dans un rêve où s’enlisent les mots

 

Maintenant

que d’autres mains se posent sur le monde

qu’un sourire d’eau claire s’allume dans les yeux

d’un nouvel Osiris au Nil d’une verte promesse

maintenant qu’il faut céder le pas

laissons la felouque du cœur glisser sur l’onde

et se fondre dans l’éternel Delta

Jacques TAURAND

(Poème extrait de Les étoiles saignent bleu, Les Hommes sans Epaules éditions, 2018).


Lectures :

Christophe Dauphin introduit par une longue préface ce recueil de poèmes choisis et inédits qui couvre la période 1980 – 2008, soit jusqu’à la disparition du poète. Les premiers mots de Christophe Dauphin posent la stature du poète :

«  Dans sa vie comme dans son poème, ce qui revient au même, Jacques Taurand sait dire au-delà des mots, capter à la pointe du verbe ce qui relève précisément de l’indicible, le Grand Œuvre qui soudain se cristallise, respire et scintille, par la magie de l’image, dans le prisme de cette pépite de vie nommée poème. Concis, sensuel, fluide et spontané son vers est taillé dans le vif du vécu, dans les plus secrètes forêts de l’homme. »

 

Avatar

 

La barrière blanche

Les pommes qui roulent dans l’herbe

Les rires renversés

Font places sous le ciel croassant de l’hiver

Aux ailes vernies de l’écriture

 

Nous pouvons dire de Jacques Taurand qu’il est « né poète » même si des rencontres furent déterminantes dans sa vie d’auteur, comme Michel Manoll. Jacques Taurand rencontra Michel Manoll en 1980, figure de l’Ecole de Rochefort fondée en 1941, marquée par la liberté et des valeurs partagées d’amitié et de respect. Ce mouvement aura marqué la poésie de Jacques Taurand qui reconnaît la filiation, cependant la poésie de Jacques Taurand n’est pas écrite avec les mots et les styles des autres.

« L’art poétique de Jacques Taurand, confie Christophe Dauphin, s’est constitué entre ombre et lumière à mi-voix : Prendre dans les mots – quelques reflets épars – les unir – dans le poème ; il repose sur une méditation et un questionnement de la condition humaine, des éléments, de la désagrégation du temps, un monde à déchiffrer, avec lequel le poète entretient un rapport sans concession mais aussi sensuel : Comment toucher à la beauté sans faire l’amour avec la vie ? »

 

Les joyaux de la flamme

 

Au théâtre des cheminées

j’ai vécu des sabots d’étoiles

des chevaux de feu

 

J’ai pris ton corps

lente braise à durcir les mots

de chair pâle et d’oublis verts

 

Que de lèvres froissées

pour vivre libre

et vaquer aux quatre vents

 

Toi ma très ignorante

des passions dételées

dans la soute des rêves

inépuisable

 

Jacques Taurand sculpte les émotions. L’émotion est ici une matière à travailler. Il se nourrit non seulement de la vie mais aussi des écrits d’autres auteurs.  Son travail de critique fait partie du mouvement de création poétique.

« Nous devons à Jacques Taurand de nombreuses conférences, écrit Christophe Dauphin, ainsi qu’une somme importante de notes et de chroniques publiées dans différentes revues, la meilleure façon, d’après lui, de « sortir de soi et d’oublier son ego, de découvrir d’autres paysages affectifs, d’autres géographies sentimentales. C’est un enrichissement par la différence. Il faut savoir fuir ce fâcheux et fatal Moi-je-mon œuvre qui, hélas, caractérise tant de poètes incapables d’écrire trois lignes sur leurs confrères ! Des poètes qui se mordent la queue ou autre chose. »

 

Un passant va

 

Sous une robe de

lumière

les jambes écartées

des berges

Fluide toison où

se noient les désirs

Voyage muet de

la pierre

Rêve

couleur d’eau

 

Un passant va

Cherche

un autre ciel

au fronton de

novembre

dans le regard gris

d’une haute fenêtre

 

Quel sexe

le hante

Quelle humide présence

coule

entre ses doigts

 

Perspective de brume

Sous la cambrure

Des ponts

Un mi-jour se froisse

s’effeuille

 

Seule

au souvenir

se glace une main

sur la rambarde du temps

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, août 2018).

*

"Sous une couverture bouleversante, "La nuit étoilée" de Vincent Van Gogh, voici un livre racé qui donne à lire des poèmes d'une sensibilité dont Christophe Dauphin éclaire (grâce à une préface limpide) les bases de cette oeuvre majeure signée Jacques Taurand. L'ensemble de cette anthologie magnifiée par Dauphin se situe de 1980 à 2006 en incluant certains inédits. Le tout agrémenté de photographies de Thérèse Manoll, de René Guy Cadou, Hélène Cadou et, bien sûr "Simone", l'épouse de Jacques Taurand, celle qui l'accompagna jusqu'aux derniers instants. Au passage, on visionne des images sur lesquelles figurent Yvette et Jacques Simonomis, avec lesquels ils restèrent très liés.

A noter, en fin de volume, une dizaine de pages consacrées à un entretien de Jacques Simonomis avec Jacques Taurand. Le plus touchant de cette publication est sans aucun doute l'image de Notre-Dame que Jacques pouvait admirer depuis sa chambre d'hôpital.

La poésie de Jacques Taurand en grande partie dédiée à "Simone" sa chère épouse qui fit preuve de beaucoup de courage... Digne continuateur dans la poésie qui montre beaucoup de nos "églises" de nos "continents", Jacques Taurand rassemble avec discernement lyrique tous les courants en y incluant sa tendresse naturelle, ses propres émotions. Proche de la nature, il persiste et signe à l'Ecole de Rochefort et tout aussi au Surréalisme, tant d'autres escales poétiques. Toutefois, il nous conseille d'être attentif au pétale de la seconde. Poète, avant tout poète.

Sur plus de 250 pages que compte ce superbe ouvrage, une dizaine est consacrée à la présentation à la présentation de l'eouvre importante de Jacques Taurand sous l'aspect d'uen préface brillante de Christophe Dauphin. La fin du volume est conscarée à un entretien dirigé par Jacques Simonomis avec le talent que l'on sait.

La poésie de Jacques Taurand, elle, est un joyau que peu égalent. L'une des plus subtiles, qui méritent le bel hommage fait ici à ce livre: "Les étoiles saignent bleu". Pour le souvenir et pour le talent, il faut lire cette anthologie remarquable."

Jean CHATARD (in revue Comme en poésie n°76, décembre 2018).

*

Christophe Dauphin nous appelle à découvrir ou redécouvrir Jacques Taurand, poète, nouvelliste, critique, autodidacte français qui, après une vie littéraire un peu dans l’ombre malgré de nombreuses rencontres, s’est définitivement éteint en 2008. Et cette publication vient justement (au sens où ce n’est que justice) remettre un peu en lumière cet auteur non dénué de talents. Ce recueil est un hommage à l’amitié, en particulier à celle entre Christophe Dauphin, Jacques Simonomis et Jacques Taurand. Et un hommage surtout à la fidélité en amitié, à travers cette anthologie revenant sur près de trente ans de poésie.

Son enfance, bercée par un imaginaire familial aux couleurs du Brésil et marquée par les récits de chevauchées dans la pampa, d’oiseaux multicolores et de tempêtes tropicales, l’a éveillé à la puissance du récit. “A vouloir faire des nœuds avec le vent/à boutonner le cœur avec la raison/le bonheur dans la cage prend sa voix de fausset“

Bien entendu, Jacques Taurand n’est pas le seul poète à être attiré par la lumière, “entre Hélios et Séléné“, ce n’est pas si fréquent de lire une anthologie personnelle autant traversée par les reflets “vous me rencontrerez/dans les reflets de l’eau sous les voûtes du soir“, les faux-jours, les miroirs, la lumière d’un “parc en février” à Florence. C’est toute la pertinence du choix de poèmes opéré par Christophe Dauphin. Et l’on se laisse aisément emmener quand Taurand cherche à “faire du poème un vaisseau de lumière“

La lumière/puisait son ardente révolte/à la source du futur/entre l’épaule et le cœur

Dans ses faux-jours Taurand place souvent un peu de nostalgie comme ce retour sur le début des trente glorieuses : “Il y avait des rires/sur les noirs décombres/La lumière retrouvée/libérait son froment“.

Lui qui reçut de Louis Guillaume ce conseil, qui vaut encore pour de nombreux apprentis poètes : travailler dans le sens du dépouillement, de la compacité, laisser tomber les vocables trop rares, les adjectifs inutiles et favoriser l’éclosion de l’image, de la métaphore analogique.

Le “descendant des descendants” de l’École de Rochefort rend un “simple hommage” à Cadou : “Toutes les rivières du printemps/bondissent dans tes yeux cet amour qui gonfle ta poitrine / tiendra la promesse d’un blé“

Ce recueil est suivi d’un entretien avec Jacques Simonomis où l’on en retiendra entre autres, cette citation de Louis Guillaume : “Un poème doit être un objet que l’on peut tenir dans la main sans qu’il dégouline ou s’évapore“.

Je partage aussi l’opinion de Jacques Taurand à propos de la critique de la poésie : “J’ai compris assez tôt que parler des autres, écrire sur leurs œuvres, c’était aussi faire vivre et comprendre la poésie. Et puis, c’est la meilleure façon de “sortir de soi”, d’oublier son “ego”, de découvrir d’autres paysages affectifs, d’autres géographies sentimentales…[…] Pour moi c’est aussi un devoir minimum envers la poésie.”

Jacques Taurand n’est pas resté étranger aux soucis de son époque, les guerres au Liban, au Kosovo. “Quelle parole de lumière/Fera taire les canons/L’espoir à bout de ba/porte les hiéroglyphes du sang“. Et  dans son poème Les longs convois, dédié “aux Kosovos passés, présents et à venir“, il écrit ce passage terrible de prémonition “Demain l’arbre/sur le charnier/portera les bourgeons/de l’indifférence“…

Denis Heudré (in recoursaupoeme.fr, 3 mars 2019).

*

Jacques Taurand n’a pas tout dit. Il aura fallu son départ vers l’ailleurs et la publication posthume de textes publiés et écrits entre 1980 et 2008, l’attentive compétence de Christophe Dauphin son préfacier. Ses proches : poètes, regards amis, artistes, partagent ses émotions. En tout premier lieu : Simone, l’inspiratrice, la muse. Jacques éprouve pour elle un sentiment amoureux qu’il décline en nombre de poèmes qui lui sont dédiés.

Cet ouvrage anthologique compte trente huit ans de poésie, d’écriture, de création. De plus, Jacques Taurand fut fraternel sa vie durant, et le présent volume le démontre en restituant l’image exacte de ce qu’il fut. Sa poésie est profondément humaniste.

Jacques Taurand fut un créateur, prenant les mots pour ce qu’ils ont d’incomparable. Le poète est un voleur de feu, nous el savons. En poésie, tout importe. L’aspect en particulier. En témoigne la couverture. Un détail du fameux tableau, La nuit étoilée (1889) de Van Gogh. Sous la plume de Jacques Taurand, cela devient, Les étoiles saignent bleu. Et cela est édité par Les Hommes sans Épaules.

Jacques Taurand utilise le détail essentiel qui lui permet de flirter avec l’infiniment petit et d’autre part le vaste univers. Tout est vibrations chez lui. Tout passionne le poète : la beauté de la pierre, le bistrot de banlieue, le solfège du vent. Tout est important dans cette poésie. Chaque titre en apporte la preuve. Le poète se réfugie « sous l’aile de feu » ou bien derrière un pan de « La Tour Saint-Jacques », celle qui brille et irradie. Les images sont fortes et porteuses d’une clarté sauvage que les mots domestiquent avec grâce.

Jean CHATARD (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).