Les Hommes sans Épaules


Dossier : Lionel RAY ou le poème pour condition

Numéro 43
318 pages
23/02/2017
17.00 €


Sommaire du numéro



Editorial : "La Poésie n'est pas un dire...", par Yves BONNEFOY

Les Porteurs de feu : Ounsi EL HAGE, par Christophe DAUPHIN, Jean-Paul HAMEURY, par Paul FARELLIER, Poèmes de Ounsi EL HAGE, Jean-Paul HAMEURY

Ainsi furent les Wah : Poèmes de Jean PEROL, Yoni AFRIGAN, Olga VASSILEVA, Frédéric TEILLARD, Francine CHARRON, Valère KALETKA, Joachim ARTHUYS, Louis PECCOUD, Alexandre BONNET-TERRILE

Dossier : "Lionel RAY ou le poème pour condition", par Paul FARELLIER, Poèmes de Lionel RAY

Une voix, une oeuvre: "Taslima NASREEN, poète bengali", par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Taslima NASREEN

Les Inédits des HSE 1 : "Killalusimeno sur les bords du Neckar" par Frédéric TISON

Les Inédits des HSE 2 : "Aujourd'hui ailleurs" par Lembe LOKK

Les Inédits des HSE 3 : "Le Coiffeur désœuvré" par Philippe VIGNY

Les Pages des HSE : Poèmes de Claude de BURINE, Elodia TURKI, Paul FARELLIER, Alain BRETON, Christophe DAUPHIN

Portraits éclairs 1 : "Seuls nos yeux brillent, Christophe Dauphin et Réginald Gaillard" par Pierrick de CHERMONT, Poèmes de Réginald GAILLARD

Portraits éclairs 2 : "Entre l'éphémère et l'infinitude avec Jean-Louis Bernard", par Michel PASSELERGUE, Poèmes de Jean-Louis BERNARD

Avec la moelle des arbres: Notes de lecture de Jean CHATARD, César BIRÈNE, Gérard PARIS, Christophe DAUPHIN, Gwen GARNIER-DUGUY, avec des textes de André MALARTRE, Salman RUSHDIE, FEMEN, Xavier BORDES

Infos / Echos des HSE : avec des textes de Jean-Pierre LASSALLE, Jacques ARAMBURU, Frédéric TISON, Paul ELUARD, Michel BUTOR, Amir HASSAN, LJUBA, Christophe DAUPHIN, André BRETON, André PRODHOMME, Marc PATIN, Gérard CLERY, Odile COHEN-ABBAS, Annie LE BRUN, Cecilia WOLOCH, Nanos VALAORITIS, Hervé DELABARRE, François MONTMANEIX, Alain BRETON, Sébastien COLMAGRO

Incises poétiques : Poèmes de Friedrich HÖLDERLIN, Fernando PESSOA

Présentation

LA POÉSIE N’EST PAS UN DIRE, MAIS UN DÉBLAIEMENT, UNE INSTAURATION

(Extrait)

La poésie ? Ce n’est pas ajouter des livres à d’autres, sur des rayons de bibliothèque, pour faire avec eux une littérature, et son histoire, et de la culture, autrement dit de la mort, non, c’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie, quand on les perçoit dans leur immédiateté, mais que notre discours conceptualisé, tout analytique, remplace par ses schèmes, ses abstractions. Et ce projet, c’est évidemment une tâche qu’on n’en finira pas d’accomplir, puisque le langage ne peut prendre forme qu’en différenciant les figures dont il va faire son monde, ce qui le conduit à définir, classer, substituer des lois à des présences. La poésie tente de remonter ce courant, elle ne le peut, elle doit chercher des façons indirectes d’être la mémoire de l’immédiat, de réveiller l’être parlant de son sommeil conceptuel, et même ce travail du négatif, c’est difficile, c’est sans fin, d’autant que la pensée ambiante, dans des sociétés occupées à tout autre chose, cherche sans fin aussi à étouffer cette voix. Une situation où ce qui va importer surtout, c’est la lucidité de qui œuvre, son obstination à comprendre qu’il y a dans les mots, les pensées, même les émotions de chaque moment de sa vie, des forces qui le détournent de l’intuition qui l’anime...

Yves BONNEFOY

(Revue Les Hommes sans Epaules n°43, 2017).


LE POÈME POUR CONDITION, Une approche de Lionel RAY

(Extrait)

Au début des années 70, à la fois pour tirer un trait sur une œuvre antérieure, qu’il juge convenue et empreinte de poétisme, et pour marquer comme une mutation de la personne dans son rapport au « faire », Robert Lorho s’invente un nouveau nom. Les quelques années qui suivent la « crise » de mai 1968 voient en effet celui qui se fait nommer désormais Lionel Ray adopter, comme quelques autres (Michel Deguy, Jean Ristat, Denis Roche, Jacques Roubaud, Jude Stefan…), une forme de dissidence par rapport aux conventions de l’ordre littéraire établi. S’ouvre alors, pour lui comme pour eux, la période d’une intense « déconstruction » ; celle aussi d’un totalitarisme linguistique où le poème aura bientôt peine à trouver sa respiration. Mais, trop vrai poète, l’homme auquel nous avons affaire pouvait-il se démettre longtemps de sa liberté ? Devait-il se figer définitivement dans les postures et les partis pris des livres qu’il publia alors : Les métamorphoses du biographe (Gallimard, 1971), Lettre ouverte à Aragon sur le bon usage de la réalité (Les Éditeurs Français Réunis, 1971), L’Interdit est mon opéra (Gallimard, 1973) ?

En réalité, il va très vite entamer une nouvelle métamorphose à la fin de cette même décennie 70 ; et c’est donc plutôt là, semble-t-il, qu’il convient de situer l’événement fondateur d’une figure du poète, parmi les plus exemplaires de notre temps. Lionel Ray en dresse lui-même l’acte de naissance dans la prose liminaire, « En marge du poème », de son livre Partout ici même (Gallimard, 1978) :

« Alors j’ai décidé, faisant table rase de mes fausses terreurs comme de tout terrorisme linguistico-théorique, de saisir la coïncidence la plus exacte possible entre écrire et vivre, et comme l’un de l’autre se fortifie, d’interroger cette rencontre de l’événement, du regard et du poème. » Et, pour assumer ce penchant qu’il se reconnaît à se transformer (« me voici autre. Autrement autre »), il se métaphorise lui-même fleuve héraclitéen : « Je suis le changement, la mobilité, non une eau fixe : je suis ce que je deviens. »

Car c’est bien une poésie en constant devenir dont, au cours des années, nous recevrons l’offrande multiple des signes. Peut-être même le mouvement, le mouvant, l’équilibre instable, la base incertaine en sont-ils la marque essentielle. Tout cela, sous la seigneurie et le fouet du Temps, partenaire inévitable dans la partie d’illusion et de vérité que joue le poète avec sa vie et toute sa mémoire : ce jeu qui, non sans un goût troublant pour le silence et l’ombre, l’erreur même et ce qui la surmonte dans la hantise d’une identité fuyante, nous entraîne aux miroirs du moi et de l’autre, aux vertiges de la mort, aux abîmes du vide et du Rien...

Paul FARELLIER

(Revue Les Hommes sans Epaules n°43, 2017).



Revue de presse

2017 - A propos du numéro 43 :

" La dernière livraison des Hommes sans Epaules, comme les précédentes, comporte de nombreuses études, des poèmes, des notes de lecture. L’éditorial, signé par Yves Bonnefoy, récemment disparu, intitulé La poésie n’est pas un dire mais un déblaiement, une instauration, définit avec force le but, les pouvoirs de la poésie : « Continuer d’espérer, vaille que vaille. Continuer de penser que l’arbre et le chemin sont si beaux dans la lumière du soir que ce ne peut être pour rien, et que nous avons toujours la tâche de les montrer, dans leur évidence. » Belle profession de foi de la part d’un de nos plus grands défenseurs de la poésie, d’un de nos meilleurs poètes.

La rubrique Les porteurs de feu est consacrée à Ounsi El Hage, poète arabe, présenté par Christophe Dauphin et tandis que Paul Farellier rend hommage à Jean-Paul Hameury, poète, essayiste, nouvelliste, décédé en 2009.

Dans les rubriques suivantes on peut lire, entre autres poèmes, ceux de Jean Pérol, d’Olga Vassileva, de Joachim Arthuys, de Louis Peccoud.

Paul Farellier consacre une étude, Le poème pour condition, qui est proche d’un essai, à l’un de nos poètes les plus représentatifs de sa génération : Lionel Ray. Cette étude chronologique permet de suivre l’itinéraire de Lionel Ray dès « Partout ici même » ( Gallimard, 1978 ) qui est « un livre inaugural » et Paul Farellier d’étudier la structure de cette écriture, la thématique en germe dans ce livre. Poète lyrique, Lionel Ray est hanté par l’absence, dans « Matière de nuit » ( Gallimard, 2004 ), par exemple, par le temps, dont la présence s’affirme dans « Syllabe de sable » (Gallimard, 1996 ), sans oublier la présence de l’amour, ce que Paul Farellier nomme les « iles amoureuses » ni celle qui lui fait écho : la mort, dans « Le Nom perdu » (Gallimard,1987 ). Cette étude d’une grande densité permet de mettre en lumière les différents aspects de la poésie de Lionel Ray, de le suivre dans son cheminement poétique qui est celui d’un homme en quête de vérité et de lucidité.

Dans la rubrique Une voix, une œuvre, Christophe Dauphin présente Taslima Nasreen, poète bengali dont la tête fut mise à prix dans son pays en raison de ses écrits, de son soutien apporté aux victimes de Charlie Hebdo. On peut lire quelques poèmes de cette femme militante dont l’œuvre comprend poèmes, romans, récits publiés en France chez différents éditeurs.

Il faut aussi mentionner, outre les nombreuses notes de lecture des Portraits éclairs, ceux de Christophe Dauphin et de Réginald Gaillard par Pierrick de Chermont et de Jean-Louis Bernard par Michel Passelergue. Pour terminer cette livraison propose de nombreux textes et poèmes de plusieurs auteurs dont Frédéric Tison, Paul Eluard, Michel Butor, Gérard Cléry, Nanos Valaoritis et bien d’autres.

Les Hommes sans Epaules constituent une source créatrice et poétique dont on ne saurait négliger l’importance et la diversité des propos, la qualité des différentes rubriques et celle des textes choisis."  

Max ALHAU (cf. "Chemins de lectures" in revue-texture.fr, mars 2017).

*

" Ce quarante-troisième Cahier Littéraire des HSE est consacré à Lionel Ray. Le dossier établi par Paul Farellier est accompagné de poèmes inédits. C’est au début des années 70 que Lionel Ray abandonne le nom de Robert Lohro pour marquer une rupture dans son cheminement et son œuvre poétiques. C’est une période de dissidence, de déconstruction, « celle aussi, nous dit Paul Farellier, d’un totalitarisme linguistique où le poème aura bientôt peine à trouver sa respiration. Mais, trop vrai poète, l’homme auquel nous avons affaire pouvait-il se démettre longtemps de sa liberté ? »

Cette première rupture en annonce une autre, dix ans plus tard, une « métamorphose » qu’il décrira lui-même :

« Alors j’ai décidé, faisant table rase de mes fausses terreurs comme de tout terrorisme linguistico-théorique, de saisir la coïncidence la plus exacte possible entre écrire et vivre, et comme l’un de l’autre se fortifie, d’interroger cette rencontre de l’événement, du regard et du poème. »

Remarquons que cette métanoïa créatrice échappe ici à toute posture.

« Le poème, chez Lionel Ray, nous dit encore Paul Farellier, n’est jamais le déversoir d’une plénitude ; il vient en contrepoint d’un manque, comme la marque d’un dénuement qui obligerait le poète à se jeter dans l’espace verbal. »

Des ruptures au sein de l’apparaître émane toutefois une permanence qui fait du temps une matière à travailler par le langage autant que le temps pétrit la langue.

Dans l’éditorial d’Yves Bonnefoy, disparu le 1erjuillet 2016, éditorial intitulé La poésie n’est pas un dire, mais un déblaiement, une instauration, nous lisons ceci :

« La poésie ? Ce n’est pas ajouter des livres à d’autres, sur des rayons de bibliothèque, pour faire avec eux une littérature, et son histoire, et de la culture, autrement dit de la mort, non, c’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie, quand on les perçoit dans leur immédiateté, mais que notre discours conceptualisé, tout analytique, remplace par ses schèmes, ses abstractions. (…)

D’où l’intérêt qu’il y a, pour qui se soucie de la poésie, à écouter les questions qui lui sont posées, c’est une occasion de prendre conscience de ce qui, dans sa réflexion ou même au plus intime de son existence de chaque jour, veut lui faire oublier ce devoir de lucidité, c’est-à-dire abandonner sa grande espérance. »

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, avril 2017).

*

"Les Hommes sans Epaules nous livrent leur 43ème cahier littéraire, un volume, lui aussi, copieux, avec quelques trois cents pages et quelques plats de résistance(s). Ainsi l'éditorial, La poésie n'est pas un dire, mais un déblaiement, une instauration, est-il signé par Yves Bonnefoy, disparu le 1er juillet 2016. Il s'agit en fait d'extraits d'entretiens et de correspondances avec le poète. Je citerai en vrac quelques fragments qui nous aident, j'en suis convaincu, à vivre le mieux et le plus justement possible, non pas en poète, mais en poésie : La poésie ? Ce n'est pas ajouter des livres à d'autres... c’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie, quand on les perçoit dans leur immédiateté, mais que notre discours conceptualisé, tout analytique, remplace par ses schèmes, ses abstractions.... La poésie tend à déconstruire les mythes qui l'entravent.

Au sommaire d'une revue qui se doit d'être conservée en bibliothèque, une belle étude consacrée à l'oeuvre de Lionel Ray par Paul Farellier (j'y reviendrai dans le prochain numéro pour évoquer son dernier livre paru, Souvenirs de la maison du temps, Gallimard, 2017), mais en voici déjà un bref extrait : Peut-être aurait-il fallu s'ouvrir à la violence - Des chemins, retrouver un père - Haut comme le jour ... - Qu'avons-nous fait de tout ce temps - Qui nous semblait inépuisable - De tant de flammes de portes vives et d'attente ?

Il y a tout, ou presque, à lire dans Les Hommes sans Epaules, il y en aura donc pouir toutes les faims, toutes les soifs. Peut-être vous citer encore le texte de Frédéric Tison et sa méditation sur Hölderlin, les poèmes de Taslima Nasreen, poète Bengali, les poèmes de Joachim Arthuys et bien évidemment ceux de Jean Pérol... Il faut manger le tout !"

Yves NAMUR (in Le Journal des poètes n°3, septembre 2017, Châtelineau, Belgique).

*

" C'est l'un des revues les plus copieuses, appréhendant par ses nombreux dossiers et ses études la diversité de la poésie actuelle. Introduit par un décapant texte d'Yves Bonnefoy sur la poésie qui "tente de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu'ils nomment", des dossiers sur Lionel Ray, poète parmi ceux qui comptent aujourd'hui et sur la poète bengali Taslima Nasreen."

Marie-Josée CHRISTIEN (in Spered Gouez n°23, novembre 2017).