François MONTMANEIX

François MONTMANEIX



CETTE ÉMOTION QUI EST SENTIMENT DU MONDE :

FRANÇOIS MONTMANEIX (1938-2018),

 

François Montmaneix (né à Lyon, le 4 juin 1938) fut l’homme de l’opposition à toute résignation, indifférence, comme à toute laideur ou complaisance, écrivant, en s’adressant au premier chef, aux membres de l’Académie Mallarmé, dont il était membre et alors le président : « Comme nos frères humains, ayant vécu avant nous, et ceux, qui, après nous, vivront, nous sommes des passagers du temps, mais, à la différence de la plupart d’entre eux, nous sommes également des messagers. Nous avons à faire entendre une voix, qui est plus que la nôtre : celle d’une émotion, qui est sentiment du monde. Sans elle, ce qui relie par la parole les hommes, à ce qui les englobe, et les dépasse, n'aurait ni forme, ni fond. »

De quoi nous parle François Montmaneix ? De poésie. Car, il fut avant tout, poète ; l’auteur de douze livres, beaux et graves comme autant d’éblouissements, dans les regards, qui cherchent leur chemin ; une œuvre, et c’est rare, dont aucun livre, aucun poème, n’est de trop ; chacun contribuant, loin de tout verbiage et sans redite, à bâtir une œuvre forte, c’est-à-dire personnelle, où l’éclair survit à l’orage.

François Montmaneix a été, sa vie durant, un homme d’action, qui a toujours endossé des responsabilités, dans son poème comme dans sa vie professionnelle, civile et associative, qui fut riche. Jusqu’à son dernier souffle douloureux, François, à, en homme de combat déterminé, affirmé : « Nous avons bien évidemment, toute liberté de ne rien faire, un rôle auquel, nombreux, sont ceux, qui souhaitent confiner les poètes. Mais que vaudrait à nos yeux, notre inaction ? Elle signifierait, que nous nous jugerions indignes, tout autant de nos pères fondateurs, que des grands anciens, dont plus d’un, récemment encore, était membre, de notre illustre société poétique. »

Diplômé de sciences Po et de l’Institut d’administration des entreprises (IAE), François Montmaneix passa ses premières trente-six années professionnelles, au sein de la société Rhodiacéta, puis au sein de l’union des coopératives laitières France Lait Régilait, dont il fut directeur commercial. « Preuve, disait-il, qu’accomplir des responsabilités de dirigeant d’entreprise n’était pas incompatible avec la pratique d’un art. Plutôt même, cette dernière pouvait-elle les singulariser et les éclairer judicieusement. » Ainsi dans un tel exercice - écriture ou lecture - de la poésie, il trouva « l’énergie nécessaire à l’imagination d’une solution lorsque l’extrême rudesse des négociations avec une grande distribution carnivore menaçait d’assécher sa sensibilité. »

Puis, François Montmaneix, poète avant tout, devint l’un des acteurs importants de la vie culturelle lyonnaise, en dirigeant l’Auditorium Maurice Ravel, à l’intérieur duquel il créa l’Artrium, galerie d’expositions et Le Rectangle, Centre d’Art, place Bellecour, de 1989 jusqu’en 2000. « J’ai commis une erreur, regretta François, lorsque frappé par la maladie et en âge d’être à la retraite, usé par le plus épuisant des combats, celui mené contre la bureaucratie, l’opacité et l’immobilisme de l’administration, je ne participai pas au choix de mon successeur. » La maladie dont il est question, est un cancer. Pas celui qui devait l’emporter dix-huit ans plus tard (pancréas), mais celui qu’il parvint à combattre et à vaincre (prostate).

Durant toutes ces années, François Montmaneix devint un mélomane averti et de haute voltige. Ses goûts le portèrent aussi vers les arts plastiques et notamment, la peinture. François, savourait un concerto, un aria, regardait une toile de son ami le peintre Truphémus, lisait un poème, parlait avec un ami, comme il savourait, en bon vivant qu’il était, un vin. Sur le vin, comme sur la bonne chère, là aussi, François était intarissable.

Exigeant et tolérant, intraitable et chaleureux, anxieux et joyeux, indigné et fraternel, lucide et attentionné, François était un homme de partage et d’échange, monnaies essentielles à ses yeux, comme à son cœur. Il maniait l’humour comme une passerelle, entre deux rives de nuages.

Homme faisant face au réel, souvent imbuvable, François fut aussi l’homme de la colère, des coups de gueule mémorables, de l’indignation. Il n’avait pas été en vain l’ami de Guy Chambelland, le poète du Pont de l’Épée, mais, sans perdre, contrairement à Guy, le sens de la mesure. Ainsi, par exemple, à propos de la marchandisation de la culture, de l’effacement et du mépris, par rapport aux poètes et à la poésie.

François Montmaneix dit : « C’est à donner l’envie de gifler l’imbécillité, et le degré de veule soumission, des « lauréats » aux diktats, d’une mondialisation, strictement économique et financière, aussi brutale, que totalement indifférente, à tout ce qui relève de l’humanisme, et de la beauté, dont Dostoïevski a osé proclamer, envers et contre tout, qu’elle sauverait le monde. ».

Sa plume était fine, piquante et cinglante, dénonçant les postures, les impostures humaines, politiques et artistiques, « le vétilleux regard policier des Platons de service, les inepties et les moqueries. C’était tout cela, et davantage encore, François, qui avait élevé la poésie, comme il se doit, en Art de vivre.

L’amour le portait, et l’amitié tout autant ; les amis vivants, certes, mais sans oublier les défunts. C’est ainsi qu’il fut à l’origine, en 1984, de la création du Prix Roger Kowalski, Prix de Poésie de la ville de Lyon. Il est question de Roger Kowalski, ce frère-poète et ami très cher de François, comme du groupe des Hommes sans Epaules, mort en 1975, à l’âge de 45 ans, des suites compliquées d’une opération à cœur ouvert ; François ajoutera : « Comme si un poète pouvait être à cœur fermé ! »

L’œuvre de François Montmaneix, intimiste, est tout autant universelle, car, à l’instar de sa personne, elle ne se replie jamais sur elle-même, demeurant ouverture sur l’autre, comme sur les éléments, que sa flamme éclaire du dedans. Elle est assurément, l’une des plus singulières de notre temps. Aussi, lorsque le vent éteint les lampes, le poème de François, éclaire nos visages, pour qu’ils entrent plus blancs de feu, dans la nuit de l’être.

Au fil de ses recueils, comme l'a écrit Jean-Yves Debreuille (cf. François Montmaneix, un élégiaque actif, in Les Hommes sans Epaules n°31, 2011), François Montmaneix a cultivé des accords mélodieux chargé d’exprimer un être au monde plus rêvé que possédé, plus précieux d’être au bord de sa perte. Mais il a aussi appris à chanter faux, exprès, parce qu’une poésie de notre temps, autant d’ailleurs qu’une peinture ou une musique, doit en exprimer les dissonances. Un élégiaque rageur n’est pas moins élégiaque, mais il fait sa part à la colère, sans quoi toute plainte n’est que résignation. Écrire n’est pas pour le poète une activité confortable : c’est, comme il l’exprime dans un texte inédit, provoquer une large fissure aggravant / la distance entre lui et lui-même.

Il est d'autre part frappant d'entendre, comme l'écrit Yves Bonnefoy (in sa préface à Laisser verdure), auquel le liait une forte amitié et admiration réciproques, un "tu" constamment s'établir dans le rapport de François Montmaneix avec chaque vie, chaque chose, comme la dimension la plus naturelle de son approche de ce qui est. Ce "tu" universel, c'est bien l'indice que sa parole rencontre, et de façon même intime, ce que le parler conceptuel ne fait qu'approcher de biais, lui substituant à jamais des représentations fragmentaires. Frappant, ce tutoiement, poursuit Yves Bonnefoy, et c'est parce qu'il est constant dans Laisser verdure, mais aussi parce qu'il y est vécu sans affectation, comme inconscient de soi : ce qui signifie que l'intimité de qui parle ainsi avec le monde qui l'environne est fort grande, alors pourtant que son regard ne s'en tient pas au pommier ou à la hulotte du champ voisin mais se porte avec aisance et souvent vers les horizons les plus éloignés.

Je m’aperçois, que j’ai omis de parler de courage, de ton courage François. De cela aussi, tu as toujours fait preuve, dans ta vie, dans ton poème, et jusqu’à ces derniers mois, face à un cancer du pancréas, qui ne laissait aucune issue. Tu as fait face, jusqu’au bout.

François Montmaneix, notre très cher ami, est décédé, à Caluire, le dimanche 21 octobre 2018, à l’âge de quatre-vingts ans. Puis il y eut tes obsèques à Saint-Bruno-lès-Chartreux, Lyon, à La Croix-Rousse, ta Croix-Rousse, vendredi 26 novembre 2018.

Pierres ! – Si vous étiez d’un mur – monteriez-vous en lui – pour vous montrer – ou bien seriez-vous la fenêtre ? Fenêtre, bien sûr, tu es fenêtre François, et pour l’éternité, donnant sur la vie.

Poète, tu n’étais pas seulement important, mais essentiel. Ami, tu es irremplaçable, et nous n’en avons pas fini, mon très cher François, de laver les mêmes étoiles, au bord de nos nuits parallèles, un verre de Macon blanc en main.

 

Christophe Dauphin

(Revue Les Hommes sans Epaules).

*

PORTRAIT

N'a pas un visage fait pour le malheur.

Se laisse parfois manger la langue

Allonge des colliers d'herbe à femme

Prompt à naviguer la genèse

Enveloppe des libellules

Ne montre du doigt les fleurs

Habite une autre salive

Ne pardonne rien à la mort.

      François Montmaneix

La voix de François Montmaneix: Raconte-moi un poème (La première fois) avec François Montmaneix (in humanité.fr, 25 juillet 2017).

Œuvres : Saisons profondes, La rumeur libre, 2015; Oeuvres poétiques, deux volumes, la rumeur libre, 2015; Laisser verdure, préface d'Yves Bonnefoy, Le Castor Astral, 2012; Huit heures dans un endroit où je suis né, Lithographies de Jacques Truphémus, Éditions Stéphane Bachès, 2009 ; L’Abîme horizontal, Éditions La Différence, 2008, Prix Alain Bosquet 2008 ; Jours de nuit, le cherche midi éditeur, 2005 ; Les Rôles invisibles, le cherche midi éditeur, 2002, prix Guillaume Apollinaire 2003 ; Vivants, le cherche midi éditeur, 1997, Prix AU.TR.ES 1997 (Auteurs, Traducteurs, Essayistes), Prix Rhône-Alpes de Littérature ; Lyon, de place en place, Photographies d’Agathe Bay, Éditions Les Sillons du temps, 1995 ; Visage de l’eau, Éditions Pierre Belfond, 1985, Prix RTL/Poésie1 1987 ; L’Autre versant du feu, Éditions Pierre Belfond, 1990, Prix Louise Labé 1991 ; Le Livre des ruines, Éditions Pierre Belfond, 1980; Landstriche, Lithographies de Hans-Martin Erhardt, Manus-Presse, Stuttgart, 1977; Le Dé, Guy Chambelland éditeur, 1974; L’Ocre de l’air, Guy Chambelland éditeur, 1970 ; L’Arbre intérieur, Guy Chambelland éditeur, 1967.

 

 

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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