Abdellatif LAÂBI

Abdellatif LAÂBI



Abdellatif Laâbi est un poète universel et un intellectuel qui a toujours milité, loin des salons, pour un « sursaut de l’humain en l’homme ». Poète, romancier, essayiste, traducteur, anthologiste, auteur de livres pour la jeunesse et de pièces de théâtre, Abdellatif Laâbi est l’auteur d’une œuvre vaste, foisonnante, puissante et plurielle. Passeur de poésie, il œuvre sans relâche pour établir un véritable dialogue entre les différentes cultures et les hommes.

Abdellatif Laâbi est né en 1942 à Fès (Maroc). Il est âgé de quatorze ans et commence à écrire lorsque son pays accède à l’indépendance. Il fait ses études à l’université de Rabat (section de lettres françaises). En 1963, il participe à la création du Théâtre universitaire marocain où il rencontre Jocelyne, une étudiante venue de Meknès, qui devient son épouse en 1964.

Laâbi enseigne le français dans un lycée de Rabat, lors des massacres du 23 mars 1965, contre des enfants et leurs parents, qui manifestent pacifiquement contre une réforme de l’enseignement jugée injuste. Cet événement sanglant provoque son engagement politique, d’abord dans les rangs du PLS (Parti pour la libération et le socialisme), ancien parti communiste marocain, puis à partir de 1972, comme fondateur du mouvement clandestin d’extrême gauche Ilal-Amam : « Les mots de ma rébellion ne pouvaient pas être gratuits. Je devais me prendre, les prendre au mot. »

Entre-temps, en 1966, Laâbi a fondé la revue Souffles, à laquelle collaborent plusieurs intellectuels marocains de gauche qui sentent l’urgence d’une tribune et d’un renouveau poétiques, notamment Tahar Ben Jelloun, Mohammed Khaïr-Eddine ou Mostafa Nissaboury. Souffles devint rapidement le principal organe de l’avant-garde littéraire et culturelle au Maroc, mais aussi au Maghreb, puisque des poètes algériens et tunisiens y participent. Souffles se préoccupe de culture, mais également des problèmes sociaux et économiques de la société marocaine, asservie par un régime d’injustice et de corruption. Tout au long de son existence, qui sera intense mais brève (22 numéros en français, 8 numéros en arabe, sous le titre Anfas, « souffles » en arabe, entre 1966 et 1971), la revue n’aura de cesse de participer au dialogue des cultures et de s’ouvrir aux autres pays du Tiers-Monde.

En janvier 1972, Laâbi est arrêté et torturé par la police marocaine. Au terme d’une parodie de justice, il est accusé de fomenter un complot subversif. Au regard de la justice du roi, les numéros de Souffles suffisent à faire condamner le poète à dix ans de prison. Laâbi est enfermé à Kénitra et devient le prisonnier numéro 18611 : « On apposa un numéro sur le dos de mon absence. » Il le restera pendant huit ans et demi, période durant laquelle il ne cessera d’écrire : « La poésie est tout ce qui reste à l’homme pour proclamer sa dignité. » Les lettres qu’il écrira durant ces années concentrationnaires, poignantes, seront rassemblées en 1983 dans les Chroniques de la citadelle d’exil. Le poète est enfin libéré en 1980 avec d’autres opposants politiques au régime d’Hassan II, grâce à une campagne internationale.

Cinq ans plus tard, il s’exile en France : « La distance prise avec le pays me rapproche plus de lui. Elle me permet de mieux l’inscrire dans une démarche de l’universel. L’éloignement est le nouveau prix à payer. L’écriture y gagne sa vraie liberté, et sa vérité en quelque sorte. Elle ne se conforme plus qu’à ses propres exigences. Elle ne signe plus les subversions. Elle est subversion. » Impossible d’effacer ces années concentrationnaires qui pèsent lourdement tant dans l’œuvre que dans la vie du poète. Laâbi va affronter la fêlure que l’exil provoque ; fêlure dont il est largement question dans son roman Les Rides du lion (1989).

Plongée dans les profondeurs de l’être et de l’inconscient collectif, la poésie de Laâbi n’a jamais cessé d’exercer une influence des plus grandes sur la poésie marocaine contemporaine : " Quand on écrit de la poésie, il y a une véritable jubilation. Au fur et à mesure qu'on écrit, on découvre une sorte de puissance, on est face à la langue et progressivement en train de maîtriser cette langue. On découvre aussi combien les mots, qui sont généralement ternes dans la communication ordinaire de la vie quotidienne, peuvent être pourvoyeurs justement de ce sentiment de découverte. Ces mots sont plus que ce qu'ils veulent dire de prime abord ; de là vient cette jubilation. "

Attention toutefois de ne pas tomber dans les ornières et de ne voir en Laâbi que l’homme oppressé et le révolté. Laâbi est un poète de combat, c’est évident, mais surtout du chant général de tous les hommes qui souffrent, aiment et se battent. Le sujet central du poète : c’est la condition humaine. Laâbi est véritablement passionné par la complexité des rapports entre les hommes, entre l’homme et la femme, entre l’homme et son bourreau, entre l’homme et lui-même.

Poète, peintre, essayiste, traducteur, romancier, intellectuel de haute voltige, droit danss es bottes, Laâbi est aussi et probablement surtout un grand poète de l’amour. La création de Laâbi a pour fondement la réalisation de l’adéquation de l’homme avec son œuvre : N’écris pas – n’écris rien – avant de sentir monter en toi – et du plus loin de tes racines – la sève du chant. Rarement la poésie aura été aussi intimiste et fraternelle.

Abdellatif Laâbi a publié dans Les HSE qui l'accueillent comme un Frère, qui nous dit : "La poésie est tout ce qui reste à l'homme pour proclamer sa dignité, ne pas sombrer dans le nombre, pour que son souffle reste à jamais imprimé et attesté dans le cri. "

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

Œuvres d’Abdellatif Laâbi :

Poésie : Le Règne de barbarie. Seuil, 1980. Histoire des sept crucifiés de l'espoir. La Table rase, 1980. Sous le bâillon le poème. L'Harmattan, 1981. Discours sur la colline arabe. L'Harmattan, 1985. L'Écorché vif. L'Harmattan, 1986. Tous les déchirements. Messidor, 1990. Le soleil se meurt. La Différence, 1992.    L'Étreinte du monde. La Différence, 1993 (2e éd. 2001). Le Spleen de Casablanca. La Différence, 1996 (2e éd. 1997). Poèmes périssables, La Différence, 2000. L'automne promet, La Différence, 2003. Les Fruits du corps, La Différence, 2003. Écris la vie, La Différence, 2006. Œuvre poétique I, La Différence, 2006. Mon cher double, La Différence, 2007. Tribulations d'un rêveur attitré, La Différence, 2008. Œuvre poétique II, La Différence, 2010. Zone de turbulences, La Différence, 2012. La Saison manquante, suivi de Amour jacaranda, La Différence, 2014. L'Arbre à poèmes, anthologie personnelle 1992-2012, Gallimard, 2016. Le Principe d'incertitude, La Différence, 2016. Œuvre poétique (intégrale des poèmes écrits entre 1965 et 2017 en deux volumes), Casablanca, Éditions du Sirocco, 2018. L'Espoir à l'arraché, Le Castor Astral, 2018. Presque riens, Le Castor Astral, 2020. La poésie est invincible, Le Castor Astral, 2022. La Terre est une orange amère , Le Castor Astral, 2023. A deux pas de l’enfer,  Le Castor astral, 2024. L’espoir à l’arraché suivi de presque riens, Le Castor astral, 2025.

Proses : récits et romans : L'Œil et la Nuit, Atlantes, 1969 ; Rééd La Différence, 2003. Le Chemin des ordalies. Denoël, 1982 ; Rééd La Différence, 2003. Les Rides du lion. Messidor, 1989 ; Rééd La Différence, 2007. Le fond de la Jarre, Gallimard, 2002. Pourquoi cours-tu après la goutte d'eau ? (prosoèmes), Al Manar, 2006. La Fuite vers Samarkand, Le Castor Astral, 2015. Le Livre imprévu, La Différence, 2010,

Essais : Chroniques de la citadelle d'exil ; lettres de prison (1972-1980), Denoël, 1983 ; Rééd La Différence, 2005. La Brûlure des interrogations, entretiens-essais (réalisés par J. Alessandra). L'Harmattan, 1985. Un continent humain, entretiens, textes inédits. Paroles d'aube, 1997. Les rêves sont têtus, écrits politiques, Eddif/Paris-Méditerranée, 2001. Maroc, quel projet démocratique ?, coll. Politique, La Différence, 2012. Un autre Maroc (lettre à mes concitoyens), essai politique, La Différence, 2013. Petites Lumières, écrits sur la culture, 1982-2016, La Différence, 2017.

Théâtre : Le Baptême chacaliste, L'Harmattan, 1987. Exercices de tolérance, La Différence, 1993. Le Juge de l'ombre, La Différence, 1994. Rimbaud et Shéhérazade, La Différence, 2000.

Anthologies : La Poésie palestinienne de combat, Oswald, 1970. La Parole confisquée, textes, dessins, peintures de prisonniers politiques marocains, L'Harmattan , 1982. La Poésie palestinienne contemporaine, Messidor, 1990 ; Rééd Le Temps des Cerises, 2002. Les Oiseaux du retour, contes de Palestine (bilingue), en collaboration avec Jocelyne Laâbi, Messidor/La Farandole, 1991. La Poésie marocaine. De l’indépendance à nos jours, La Différence, 2005. La poéie palestinienne d'aujourd'hui, Points, 2022. Gaza, y a-t-il une vie avant la mort ? anthologie de la poésie gazaouie d'aujourd'hui, Points, 2025.

Jeunesse : Saïda et les voleurs de soleil, bilingue français-arabe, images de Charles Barat. Messidor/La Farandole, 1986. L'Orange bleue, illustrations de Laura Rosano. Paris, Seuil Jeunesse, 1995. Comment Nassim a mangé sa première tomate, Rabat, Yomad, 2001. Devine (en collaboration avec Jocelyne Laâbi), Rabat, Marsam, 2006. J'atteste (contre la barbarie), illustrations de Zaü, Rue du Monde, 2015.

De Jocelyne Laâbi : Avec la rivière mon conte s’en est allé,  Contes du Maroc. Editions Al Manar, 2007 . Réédition 2018.  La Liqueur d’aloès — Ce Maroc qui fut le mien, récit, Editions Marsam, Rabat, 2004 ; Editions de la Différence, Paris, 2005. Réédition 2015. Réédition, avec une préface de Hinde Taarji. Editions du Sirocco (Casablanca), 2023. Le Rêve des Qarmates (Hérétiques), roman. Editions du Sirocco (Casablanca, Maroc), 2024.

Site internet : laabi.net

   



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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