Les Hommes sans Épaules


Dossier : LES POETES DANS LA GUERRE

Numéro épuisé
Numéro 15
172 pages
Deuxième semestre 2003

Sommaire du numéro



Editorial : "Le poète ne peut vivre qu'en mettant le feu au langage", par Christophe DAUPHIN

Les Porteurs de feu : Poèmes de Pierre CHABERT, Michel MERLEN

Ainsi furent les Wah : Poèmes de Claudine BOHI, Roland BUSSELEN, Mireille FARGIER-CARUSO, Jacques KOBER

Dossier : "Les poètes dans la guerre", par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Anonyme TCHÉTCHÈNE, Vladimir MAIAKOVSKI, Vicente HUIDOBRO, Gyula ILLYES, Ilarie VORONCA, Fernand DUMONT, Miklós RADNÓTI, Miguel HERNANDEZ, Jacques RABEMANANJARA, Marianne COHN, Henri RODE, Ahmad SHAMLOU, Jean SENAC, Allen GINSBERG, Mou'in BSISSOU, Slavko MIHALIC, Tchicaya U TAM'SI, Ingrid JONKER, Saadi YOUSSEF, André LAUDE, Jacques TAURAND, Ozdemir INCE, Jacques SIMONOMIS, Mahmoud DARWICH, Abdellatif LAÂBI, Tristan CABRAL, Yusef KOMUNYAKAA, Jakov JURISIC, Jean-François MATHE, Hwang CHI'U, Tomica BAJSIĆ

Dossier (l'édition de poésie en France) : Les éditions MULTIPLES. Interview et poèmes de Henri HEURTEBISE, Poèmes de Pierre AUTIN-GRENIER, Jean BÉNAC, Pierre Béranger BISCAYE, Simon BREST, René CAZAJOUS, Denise DESSIRIER, Jean MALRIEU, Christian DA SILVA, Serge PEY, Michel PIERRE

Dans les cheveux d'Aoûn : Proses de Didier MANSUY

Avec la moelle des arbres : Notes de lecture de Jean BRETON, Paul FARELLIER, Jacques SIMONOMIS, Jacques TAURAND

Infos / Echos des HSE : Par Christophe DAUPHIN

Présentation

LES POETES DANS LA GUERRE !

(Extrait)

par Christophe DAUPHIN

 

La guerre a fauché mon lyrisme dans la racine. Je ne retrouve plus les mots de l’enthousiasme ni de la louange. Plus d’images. Je vois toutes choses avec médiocrité.

                                                                                     Jacques Rivière.

"... La guerre, c’est toujours la même violence, qui revêt des masques divers. La guerre est le fruit des hommes et non pas un phénomène qui s’acharnerait sur la communauté humaine, à la manière d’un cyclone ou d’un tremblement de terre. La guerre est, comme le dit Voltaire, « l’une des trois épices les plus mal famées du monde », même lorsqu’à certaines époques elle prend le visage d’un juste combat pour la libération des peuples. La brutalité, la rapidité avec laquelle elle frappe, les horreurs immédiates et les ravages qu’elle laisse derrière elle, ont un tel pouvoir d’étourdissement, comme l’écrit Dusan Matic, que l’homme a du mal à concevoir qu’un tel monstre pouvait déjà germer dans ces prétendus jours de paix. Ce monstre naît des rapports « pacifiques » entre les hommes. La guerre n’est que le résultat d’une politique menée en période de « paix ». Le conflit guerrier naît de la rencontre entre des activités, des intérêts, des flux. La paix et la guerre résultent de la manière dont hommes et organisations gèrent les tensions et les antagonismes issus de cette rencontre...  L’actualité récente nous a incité à établir un dossier, qui n’entend pas présenter un choix de poèmes écrits à chaud contre la guerre (bien peu crédible, ce type d’exercice abouti le plus souvent à de bien piètres résultats), mais au contraire, un choix de poèmes écrits dans le vif de la guerre. La poésie a pour vocation la renaissance de l’être : Il s’agit, par le poème – quête de ressaisissement, labour de l’être – d’éveiller l’homme à une vie nouvelle, et de s’y fertiliser dans le déchiffrement du monde intérieur et extérieur. Loin d’être une discipline artificielle, un jeu futile, la poésie réclame du poète une force, une présence, une vision, où se contiennent, s’équilibrent et se mesurent, la violence des passions comme le tumulte ou l’ordonnance du monde. Car, dès lors que le « mécanisme » du langage, du poème, se déclenche chez le poète, c’est uniquement pour répondre à une prise de conscience, à une émotion, un trouble profond en l’occurrence ; et cette prise de conscience se mue, bien souvent, en prise de possession. Dans le poème, la voix qui anime le langage, n’est autre que celle qui anime la voix de révolte, de courage et de sursaut qui habite le poète, affrontant la souffrance et se mesurant à la mort, aux horreurs qu’il voit, qu’il ressent, qu’il côtoie, qu’il vit, jusqu’à, parfois, y laisser la vie. Tous les poèmes de ce dossier montrent le poète aux prises avec les démons de son époque, qu’il s’agisse de la première guerre mondiale (Maïakovski, Huidobro), la seconde et l’inhumaine réalité des camps et des massacres (Matic, Illyès, Voronca,Dumont, Radnoty, Cohn, Youssef, Cabral, Taurand), de la guerre de libération nationale (Tchicaya U’Tam’si, Rabemananjara, Rode, Mihalic, Jonker, Darwich), la guerre du Vietnam (Komunyakaa), la guerre d’Algérie (Sénac, Simonomis), la guerre civile (Hernandez, Hwang Chi’u, Jonker)… Car le poète n’isole pas sa propre expérience de l’expérience des autres..."



Christophe DAUPHIN

(Extrait de la présentation du dossier, Les Poètes dans la guerre !, in Les Hommes sans Epaules n°15, 2003).



LA VILLA DES ROSES


Ali des colonies

jamais tu n’oublieras le salon rouge

de la villa des roses

la cave aux portes de l’enfer

où trois sous-officiers dirigent les chorales

trois cuisiniers français dont le maître est chinois


Ali       aimes-tu la cuisine française

disent-ils en aiguisant leurs yeux sadiques

et leur rire

énorme

résonne

pendant plus de sept ans


Ils t’ont mis nu comme un enfant

ils te montrent leur serviteurs

anneaux de fer            cordes  et chaînes

un fauteuil mécanique

la baignoire

un casque spécial

et tout un appareillage électrique


Faut-il donc tant souffrir pour mourir


Parle Ali          raconte nous

passé présent futur de ton groupe assassin

où sont tes camarades

et que devient ton frère

nous avons pris ton père         il est mort l’imbécile

ta mère est avec nous  veux-tu son sacrifice

parle-nous de ton frère Ali

nous saurons l’apprécier

et l’armement de tes copains

quel est leur objectif prochain


Tu n’aimes plus ta mère


Ali mon tout petit

jamais tu n’oublieras le cuisinier chinois

ses marmitons lubriques

les instruments de haine et de plaisir

oui

tu reconnais leur rire

dans les coins épargnés de ton cerveau brisé

Qui ose

parler de Gestapo        d’inquisition

nous sommes en 1961

en Algérie

dans la villa des roses


Ce couteau dessinant sur ta peau

et ces yeux de père de famille

qui cernent ton silence

ces poings réglés sur ton visage

ces pieds cloutés bondissant sur ton ventre

ces cannes       tes palmiers     zébrant ton dos

et leur baignoire et leur fauteuil

et leurs anneaux sur ton corps impuissant


Ali mon tout petit

Jamais tu n’oublieras

Les boxeurs intrépides

Sans peur

Et sans reproche

Qui t’ont appris la vie dans la villa des roses

Maintenant

c’est fini

dis merci

Embrasse-les

Ali


Dommage

ils sont partis vers d’autres       devoirs

ton baiser

            est trop dangereux.



Jacques SIMONOMIS (La Villa des roses, poèmes sur la Guerre d'Algérie)

(In Les Hommes sans Epaules n°15, 2003).



Revue de presse

2003 - À propos du numéro 15

     « Nous avons fait l’historique de cette revue dans Multiples n°54, reparlé d’elle dans Multiples n°61, au temps où elle faisait 120 pages et où Alain Castets tentait de regrouper les forces poétiques. Tout allait enfin changer (HSE n°12). Mais la rupture d’avec ce polémiste à tout crin intervient au n°15. Les racontars vont bon train. Aussi les HSE se coupent de ce poète et de son association « Clarté Poésie ». Fin du rêve de puissance. La revue n’en conserve pas moins sa bonne mine, je veux parler de son épaisseur (elle passe de 120 à 160 p.) et de sa qualité. Elle atteint même une sorte de perfection dans l’équilibre, honorant à la fois les grands noms un peu oubliés et les petits jeunes dont s’occupe le vaillant Christophe Dauphin… Les Hommes sans Épaules, une revue de poids. »
    Henri Heurtebise (Multiples n°65, septembre 2004).

    « Les Hommes sans Épaules, c’est plein de bons auteurs. »
    Christian Degoutte (Verso n°118, septembre 2004).

    « Un très beau numéro (n°15) de la nouvelle série avec un dossier « Les Poètes dans la guerre »… Les HSE ont 50 ans. Christophe Dauphin nous dit que les HSE furent au côté de Guy Chambelland pour la création d’une autre revue de grande qualité « Le Pont de l’Epée ». Saluons avec les HSE, la mémoire de Guy Chambelland. A lire avec bonheur, un bonheur qui relève de l’aventure éveillée de la poésie contemporaine. »
    Jean-Pierre Védrines (Souffles n°203/204, 2004).

    « Les Hommes sans Épaules n°15. Un sommaire vraiment époustouflant. »
    Yves Artufel (Gros Textes n° 40, printemps 2004).