Colette KLEIN

Colette KLEIN



Poète, peintre, comédienne, membre du comité de rédaction de la revue Phréatique de 1979 à 2000, présidente de l'association Arts et Jalons (qui organise depuis 1981 des rencontres avec des poètes et des plasticiens), Colette Klein (née le 14 septembre 1950, à Paris) dirige, depuis 2008, la revue Concerto pour marées et silence.

Cinéphage plutôt que cinéphile – elle voit environ trois cents films par an – mélomane qui peut écouter sans lassitude Bach, Vivaldi, Arvo Pärt, qui avoue un penchant pour le tango et pour Léo Ferré, auteur visité par un mysticisme sans dieu(x), voilà qui peut donner le tournis à l'observateur découvrant les personnages habitant Colette Klein. La lisant en Bretagne où elle aime s’arrêter, on relève dans son écriture les empreintes de l’Ankou, hôte familier des légendes de la mort. Et, comme pour enfoncer le clou, elle collectionne les requiems.

Dans son numéro de mai-juin 2015, la revue 7 à dire orientait le projecteur sur l'écrivain : je ne résiste pas à emprunter certains des éléments biographiques que Colette Klein choisissait de confier aux lecteurs. Elle disait : j’ai été très tôt prise d’un désespoir qui m’invitait au désastre. Cette existence me paraissait trop absurde pour que je ne renonce pas. J’ai renoncé aux mathématiques après mon bac. J’ai renoncé aux lettres après ma maîtrise. Et je suis entrée dans l'administration comme on se suicide.

L’écriture ? J’ai commencé à gratter le papier vers les huit ans je crois, par un poème. Ensuite d’autres poèmes sont venus.

La lecture en public ? (…) une fois un ami m’a déconseillé de dire des poèmes : voix trop monocorde, fut son verdict. Mais j’ai persisté. Peindre ? Un jour de grande répulsion, j’ai acheté une toile et de la peinture et sur cette toile, j’ai craché mon dégoût, et le résultat m’a incité à continuer. J’ai continué, persisté. Et maintenant je me dis qu’ainsi je résistais. Contre la vie dont je ne voulais pas. Contre moi-même. Que c’était ma seule façon de ne pas sombrer. J’ai continué, j’ai écrit quantité de poèmes, de récits, de nouvelles et même deux pièces de théâtre dont l’une fut montée. Elle disait : En dépit de mon tempérament égocentrique, je ne me suis pas enfermé dans ma tour d’ivoire. Et peut-être sous l’influence de mon complice, Pierre Esperbé, je suis entrée dans l’action.

Action visible et danssa participation au Comité de rédaction de la revue Phréatique durant une vingtaine d'années son rôle d’animatrice avertie d’au moins deux cercles littéraires de la capitale et dans la publication annuelle Concerto pour marée et silence, revue publication vivante, qu’elle a fondée en 2008. L’ébauche d’autoportrait de 7 à dire s’achève, ce n’est pas une surprise, par ce couteau planté droit au cœur du sujet les mots pourrissent moins vite que les corps.

Colette Klein n'a pas encore trente ans lorsque le ciel se couvre définitivement. Sa mère lui apprend ce qu’elle lui a jusque-là caché, pour la protéger croit-elle : elle appartient au peuple de la Shoah. Fait biographique, la famille a vécu jusqu'aux douze ans de l’écrivain dans le quartier du Marais, non loin de la Rue des Rosiers, cette rue célébrée par Armand Olivennes dans un poème fleuve fabuleux. Dès lors six millions de morts vont travailler sa mémoire jusqu'à l’écriture de Mémoire tuméfiée, paru presque quarante années plus tard. Certains mots avec leurs serres d’oiseaux de proie sautent dans le corps du poème qu’ils intranquillisent. Avec leurs silhouettes d’ombres à jamais errantes, ils entrent dans le premier cercle.

L’épouvante demeure sous la peau... Ici résonne le tocsin, retentit le dies-irae, sont rendus visibles, palpables, comme dans une homélie, une méditation, la fugacité, le scandale de l’évanouissement de la mémoire, l’effritement, la dispersion, la poussière qui viendra, le souvenir qui se dissoudra.

Il existe pourtant des échappées belles dans cet opéra sombre que peut être l'œuvre de Colette Klein. Comme dans Les jardins de l’invisible, arrêt sur image dans un temps détendu, émotion pénétrante, pause presque paisible. S’il y a des jardins dans cette écriture ce ne sont pourtant pas les jardins d’Andalousie. Pour être ceux de l’invisible (cet invisible qu'on ne prend plus le temps de percevoir), ils n’en sont pas moins palpables, on les touche avec les yeux, avec les mains. On y entend la vie secrète, on y décèle les vivants de passage, la mémoire vive des disparus, des atomes de mémoire  : L’aurore, à pas feutrés submerge les allées d’une abondance de paix/Une lueur, dans le lointain, annonce une traversée sans blessure/À l’heure où les étoiles tombent dans les feuillages soudainement embuées par l’haleine des roses (…) L’âme dans les fruits se camoufle en gorgées de soleil, ombre pourtant entre sourire et regret/La morsure, le baiser, trahissent les stigmates du réel, son intrusion dans le songe aux limites du tangible (…) Une nuit de vanille s’immisce dans les broussailles dévorées par des amas de feuilles pourrissantes/La fièvre – en silence - initie la mort aux rites du silence.

Pour l’insomniaque qu'est Colette Klein la mort ne peut demeurer trop longtemps dans l’antichambre, dissimulée dans les cintres : elle a son banc au jardin, sa balançoire. Elle porte peut-être un masque de feuilles mortes. Et j’aime imaginer que, cinévore, Colette Klein pense parfois et entre autres à l’Orfeo Negro de Marcel Camus.

Je n'ai pas pour pratique de me citer. Je vais pourtant, je m'en excuse, avoir recours à la postface que, sur la demande de son auteur, je rédigeais pour Mémoires tuméfiés. J’écrivais : « La voix qui parle ici est obsédée par les fumées qui suffoquèrent sa parentèle et sa tribu, cependant qu’une partie du « monde libre » tournait le dos pour ne pas voir. Ou faisait silence. Ignoble silence. Comment s’étonner que ni la vie ni les nuits n'aient su devenir légères à celle qu’habite cette voix ?  Ou que les mot/les maux qui la visitent lui soient trop fréquemment dévoration, désolation. Le temps qui disperse les traces, les efface, le temps insigne mystificateur, révolte le poète Colette Klein : Le temps de mémoire est absout/qui incluait tout autant le crime et le dénouement. Et sa fugacité l'oppresse : Ni la sève ni le bleu du ciel ne peuvent guérir les plaies de l’éphémère.

Les nuits des tortionnaires sont plus légères que celles des torturés. Les geôliers des camps d'extermination ont leur petit jardin et vivent en famille. La descendance des rescapés reçoit l’épouvante et les cauchemars en héritage. Reliées entre elles par les vibrations du sang, plusieurs générations en connaissent, à leur corps défendant, meurtrissures et stigmates et il semble bien que cela peine à s'interrompre : Vivre ou mourir importe peu. Trimbaler les images de son passé importe davantage : de son passé ou de celui de ses ancêtres. La nuit s’y dissout et libère les démons impossibles à désaltérer

On comprend que, pour la femme et l’auteur (chez qui demeure un soupçon d’enfance) ce que l’In/Humanité se repaît à répéter avec une régularité métronomique soit à jamais intolérable. Difficile alors de les imaginer l’une/l’autre regardant la vie en farce comme le suggérait le surréaliste Louis Scutenaire. Sinon en farce tragique ! L’espoir, qui a beaucoup maigri peine ici à trouver sa place. Mais, même étroite, a-t-on pu seulement la lui préserver ».

Plus loin je poursuivais : « Et pourtant un chant d'oiseau peut avoir vertu de disperser les démons familiers, les ombres parlent du souvenir qu’elles possèdent en elles (…) le merle avant l’aube, les chasse d’un coup et plante en plein ciel le chant qui les délivrera des racines du deuil. Cependant qu’ailleurs monte cet aveu qui ressemble à ne pas s’y méprendre à un appel : On porte en soi  des jardins et des villes, des terrasses en étages et la lumière qui les dessine. Mêlés aux souvenirs, ils boivent à la même source de vie.//Et le sang qui s’y égare les expulse avec violence jusqu’aux lèvres de l’assoiffé. Et pour abréger, ces mots que l'éditeur a fait figurer en quatrième de couverture : « Il faut se glisser jusqu'à l’hypoderme de ces poèmes pour les appréhender ! Leur pessimisme, décliné sur le ton de l'oracle, né d’une conscience aiguë, d'une mémoire dévorante, finit par créer une forme de chant sacré, une prière à rebours. Parures de deuils, chant funèbre, ils convoquent des ombres sans sépultures ».

Gérard CLÉRY

(Revue Les Hommes sans Epaules).

  

Bibliographie de Colette Klein

Poésie : Ailleurs l'étoile, éd. Saint-Germain-des-Prés (1973). À défaut de visage, éd. Saint-Germain-des-Prés (1975). Cécités, Millas Martin (Prix jeune poésie François Villon 1978). Le passe-nuit, Arcam (1980). Néante aux mains d’oiseaux, G.R.P. (1984). Les hautes volières du silence, Gravos Press (1994). La neige sur la mer ne dure pas plus que la mort, La Bartavelle (1997). Les jardins de l’invisible, Alain-Lucien Benoit (2002). Les insomnies du voyage, G.R.P. (2002). Le silence du monde, Alain-Lucien Benoit (2003). La pierre du dedans, Alain-Lucien Benoit (2005). Les tentations de L, Alain-Lucien Benoit (2009). Derrière la lumière, Alain-Lucien Benoit (2010). Mémoire tuméfiée, suivi de Lettres de Narcisse à l'ange, Éditinter (2013), C'est la terre qui marche sous mes pas (la Feuille de thé, 2019).

Nouvelles : Nocturne(s), Le Guichet  (1985).

Récit : La guerre et après,  Édition Petra (2015).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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