Samuel PATY

Samuel PATY



NOUS SOMMES SAMUEL PATY & NOS MONTAGNES [1]L’ARTSAKH !

par Christophe DAUPHIN

 

Samuel Paty, 47 ans, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois de l’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), donne un cours d’éducation civique sur la liberté d’expression, à ses élèves de 4ème, le 6 octobre 2020, et illustre ses propos en montrant deux caricatures du prophète Mahomet publiées par Charlie Hebdo. Deux jours plus tard, un parent d’élève, Brahim C., porte plainte au commissariat, avec sa fille - qui dit avoir assisté au cours -, contre Samuel Paty, pour diffusion d’images pornographiques. Le jour même, une vidéo (une deuxième, le 12 octobre, sera intitulée : « L’islam et le Prophète insultés dans un collège public ») est postée sur les réseaux sociaux par Brahim C., soutenu par le militant islamiste Abdelhakim S.[2] ; vidéo qui met en cause, dénonce et insulte le professeur. Le 12 octobre, Samuel Paty est convoqué au commissariat. « J’ai proposé aux élèves de voir ou de ne pas voir une des caricatures émanant de Charlie Hebdo selon leur sensibilité. Je n’ai commis aucune infraction dans le cadre de mes fonctions », explique-t-il. Lors de son audition devant les policiers, le professeur indique que la jeune fille – dont le père a mobilisé contre lui sur les réseaux sociaux avec des vidéos et a porté plainte – était absente du cours en question. En retour, Samuel Paty porte plainte contre le père de famille pour diffamation publique. La principale du collège, également entendue, décrit l’atmosphère délétère qui règne autour du collège et évoque des appels menaçants. Samuel Paty est victime d’une campagne dénigrante sur les réseaux sociaux ; une campagne qui attise la haine au point d’amener au meurtre.

Vendredi 16 octobre 2020, vers 17 heures, Abdoullakh A., un Russe tchétchène de 18 ans - accueilli en France, en 2008, avec sa famille au titre du droit d’asile -, venu d’Évreux à Conflans, parvient devant l’école, à identifier Samuel Paty grâce à deux collégiens de 14 et 15 ans[3], rémunérés 300 euros. Le jeune homme prend l’enseignant en filature avant de se ruer sur lui, l’assassiner avec un couteau de cuisine et le décapiter en pleine rue, à proximité du collège. Pour revendiquer son crime, l’islamiste diffuse la photo du cadavre décapité du professeur sur Twitter. Le terroriste est abattu de neuf balles par des policiers de la brigade anticriminalité sur lesquels il avait tiré avec un pistolet airsoft, dans une rue pavillonnaire d’Éragny-sur-Oise. L’horreur absolue une fois de plus et une première terrible en la personne d’un enseignant de l’école publique et laïque… La colère et une émotion immense… L’islamisme ne vise pas des êtres pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont. Combien d’autres, enseignants ou non, comme Samuel Paty, ont subi le même harcèlement et se sont retrouvés isolés, dénoncés, menacés ? Dans quelles conditions travaillent-ils les enseignants ? Avec quels moyens ? Avec quels soutiens ? De quelles formations bénéficient-ils ? À la violence de l’islamiste, dont Samuel Paty est la victime, il faut encore ajouter celle de ceux (parents et élèves) qui, au sein de l’école publique et laïque, rejettent les lois de la République. Dès 1791, il a été posé que l’école doit enseigner des savoirs. C’est le cœur de la citoyenneté républicaine. À l’école, il n’est pas légitime de contester les savoirs au motif qu’ils entrent en contradiction avec la religion.

Les islamistes ne sont pas des « séparatistes » d’avec la République. Ils entendent imposer leur loi à la République et à l’ensemble des citoyens, y compris et avant tout aux citoyens supposés musulmans. La République, en raison de sa laïcité, de son droit au dessin, à la caricature, au blasphème aurait mis de l’huile sur le feu ? Mais, est-ce en raison des dessins blasphématoires qui n’ont jamais été publiés et de la laïcité qui y est inexistante, que l’Autriche pleure ses quatre morts, victimes du premier attentat revendiqué par l’organisation criminelle l’État islamique dans le pays, à Vienne ? L’islamiste, originaire de Macédoine du Nord, abattu lundi 2 novembre 2020, au soir, par la police, a été identifié comme Kujtim F. Il avait essayé de rejoindre la Syrie et avait été condamné en 2019 à de la prison en Autriche mais avait été libéré de manière anticipée. « Ces jeunes pratiquent l’islam comme un message. Ils veulent convertir tout le monde, même la France. Pour eux, la mort est la porte d’entrée au paradis. Comment un être humain peut-il penser et agir de la sorte ? En Irak et en Syrie, ils ont mis les femmes dans des cages, ont égorgé, détruit les musées, les œuvres d’art. Comment expliquer qu’une statue soit considérée comme un ennemi ? Pour eux, la seule culture possible est coranique. Le prophète Mahomet est pour eux le détenteur des vérités ultimes, des dernières paroles de Dieu, du Savoir absolu qui en empêche tout autre. On ne peut pas régler les problèmes du présent avec les lumières du passé. L’islam doit se transformer en religion intime et personnelle. En faisant cela, on libère les sociétés. Si on est d’accord sur le principe de laïcité, on peut changer beaucoup de choses. La foi est comme l’amour, elle relève de l’expérience personnelle », nous disait le poète syrien Adonis, en 2015.

1.923 Français musulmans, en décembre 2015, selon la SDAT (la sous-direction antiterroriste), soit une véritable nouvelle Division SS Charlemagne[4], sont impliqués dans les massacres en Syrie et en Irak, dans les rangs de l’État Islamique. Depuis, le bilan des attentats islamistes s’est alourdi en France : 42 attentats, 267 victimes, depuis le 11 mars 2012, les tueries à Toulouse et Montauban… et Samuel Paty dont l’assassinat s’inscrit dans un contexte d’appels aux meurtres lancés par les islamistes depuis la republication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, début septembre 2020, avant l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015 à Paris. La violence dans l’islam est-elle une réalité ? Le poète franco-tunisien et croyant, animateur, jusqu’à son décès en 2014, de l’émission hebdomadaire « Cultures d’islam » sur France Culture. Abdelwahab Meddeb, a répondu à cette question dans Libération (23 septembre 2006) : « Les musulmans doivent admettre que c’est un fait, dans le texte comme dans l’histoire telle qu’ils la représentent eux-mêmes, en un mode qui appartient plus à l’hagiographie qu’à la chronique. Nous avons à faire à un Prophète qui a été violent, qui a tué et qui a appelé à tuer. La guerre avec les Mecquois fut une guerre de conversion. Il y a eu aussi la guerre avec les juifs et le massacre des juifs à Médine, décidé par le Prophète. Il y avait un jeu d’alliances, une opération politique qui se continue par le militaire. Le Coran est ambivalent. Il y a le verset 256 de la deuxième sourate qui dit « point de contrainte en religion ». Mais aussi les versets 5 et surtout 29 de la sourate 9, « le verset de l’épée », où il est commandé de combattre tous ceux qui ne croient pas à « la religion vraie ». L’impératif qâtilû, que l’on traduit par « combattez », utilise une forme verbale dont la racine qatala veut dire « tuer ». Le verset 5 est explicitement contre les païens et les idolâtres, aménageant, en revanche, une reconnaissance aux scripturaires, aux gens de l’écriture. Le verset 29, lui, englobe dans ce combat les scripturaires désignant nommément les juifs et les chrétiens. C’est le verset fétiche de ceux qui ont établi la théorie de la guerre contre les judéo-croisés. L’islamisme est, certes, la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte lui-même. L’interprétation traditionnelle reconnaît cette contradiction et n’a jamais dit que « le verset de l’épée » abolit « le verset de la tolérance », comme le font les intégristes aujourd’hui. Pour eux, « le verset de l’épée » annule plus de 100 versets de toute autre teneur, appelant par exemple à discuter de « la meilleure manière », c’est-à-dire argument contre argument et dans le respect de l’autre avec ceux avec qui on n’est pas d’accord… Moins que jamais il faut se taire. Il faut contrer ces gens-là de toutes nos forces. À mes yeux, l’islamisme est un fascisme. » Jeudi 29 octobre 2020, treize jours après l’assassinat de Samuel Paty, une nouvelle attaque au couteau, contre des Chrétiens dans et aux alentours de la basilique Notre-Dame de l’Assomption, à Nice, vers 9 heures, a fait trois morts. Brahim A. (21 ans, nationalité tunisienne, en situation irrégulière en France, arrivé depuis quelques heures via l’île de Lampedusa) a crié à de nombreuses reprises « Allahou akbar » à la sortie de l’église, avant d’être grièvement blessé et arrêté par la police… Celui-là, savait-il qu’en 1930, Habib Bourguiba, le « Combattant suprême », avait déclaré : « La Tunisie que nous entendons libérer ne sera pas une Tunisie pour musulmans, pour Juifs ou pour chrétiens. Elle sera la Tunisie de tous ceux qui, sans distinction de religion ou de race, voudront l’agréer pour leur patrie et l’habiter sous la protection de lois égalitaires. » C’est encore un Tunisien, Abou El Kacem Chebbi, le « Rimbaud du Maghreb », mort à l’âge de vingt-cinq ans, en 1934, qui écrit : Je vivrai malgré la maladie qui me ronge - Et les ennemis qui m’assaillent.

Pendant ce temps, à Istanbul, Erdogan va toujours plus loin dans l’ignoble et compare le « traitement » des musulmans en France et en Europe à celui des juifs avant la Seconde Guerre mondiale, accusant la république française de « nazisme ». On croit halluciner. Erdogan est-il le mieux placer pour parler de l’islam, en tant que président turc négationniste, à propos de racisme, de génocide et de crime contre l’humanité ?

Rappelons que le premier génocide du XXe siècle : le génocide des Chrétiens, Arméniens (1.200.000 à 1.5000.000 victimes), Assyro-chaldéens (270.000 à 750.000 victimes) et Grecs pontiques (350.000 victimes) est le fait des Turcs musulmans sous la houlette des Jeunes-Turcs (parti ultra-nationaliste, raciste et panturquiste) entre 1915 et 1916. Il inspira Hitler (« Qui se souvient du massacre des Arméniens ? », dira-t-il) pour perpétrer celui de 6 millions de Juifs. La politique négationniste turque, dans les écoles, à l’étranger, à travers la diplomatie, vise à criminaliser, menacer et intimider tous ceux qui osent reconnaître ce génocide.

Rappelons qu’au même moment, au Karabagh (Artsakh, en arménien ; république indépendante autoproclamée depuis 1991), depuis le 27 septembre 2020, les Arméniens livrent un combat inégal contre l’ignoble agression d’une coalition turco-azerbaïdjanaise appuyée par près de 900 mercenaires djihadistes islamistes et armée par l’État d’Israël (qui n’a jamais reconnu le génocide des chrétiens d’Anatolie, Arméniens et Assyro-chaldéens). En France - comme en parfaite et triste résonnance avec les évènements de l’Artsakh -, mercredi 28 octobre 2020, deux cents turcs, la plupart membres de la milice ultranationaliste des Loups Gris (émanation du Parti du mouvement national xénophobe, créé en 1969) alliés du despote négationniste Erdogan, ont mené avec violence un « raid anti-arménien », en France, mercredi 28 octobre, dans les rues de Décines (Rhône), ville de la banlieue lyonnaise, qui abrite le mémorial du génocide arménien, qui a été profané. Jeudi 29 octobre, une centaine de turcs pro-Erdogan et anti-arméniens manifestent en brandissant des drapeaux turcs et criant « Allah Akbar ! Vous êtes où les Arméniens ? Sales fils de putes ! » dans le centre de Dijon. La plupart seraient nés sur le sol français. « Notre guide est le Coran et le Touran », c’est-à-dire la réunion de tous les turcophones à travers le monde. Leur « guide suprême », c’est Alparslan Türkes, surnommé par les agents de la Gestapo[5], très nombreux en Turquie jusqu’en 1944 : le « Führer du panturquisme ». Combien sont-ils au sein des 500.000 membres de la communauté turque et des Franco-turques ? Les actions communautaires hostiles et racistes n’ont pas leur place dans la République, qui a prononcé la dissolution des Loups Gris.

45 jours. C’est le temps qu’ont résisté les Arméniens du Haut Karabagh, face aux assauts répétés de l’Azerbaïdjan, de la Turquie, des mercenaires djihadistes basés avant en Syrie et transférés par la Turquie et des drones israéliens. Les pays occidentaux ont brillé par leur inaction ou par des condamnations verbales. Durant cette guerre, on a vu des bombardements ciblés sur les édifices, monuments historiques, culturels et religieux arméniens. On a vu des bombes à fragmentation et des bombes à phosphore blanc frapper les populations civiles, les enfants, des exécutions sommaires et décapitations. La guerre entre Arméniens et Azéris est la continuation du génocide de 1915 par d’autres moyens, avec les armes sophistiquées du XXIème siècle. C’est un génocide au phosphore, un génocide aux drones qui larguent des bombes ciblées sur écrans par des Azéris dans des bases militaires à des centaines de kilomètres des populations civiles. C’est un génocide aux bombes à sous-munitions qui explosent et libèrent des charges qui, à leur tour, éclatent et projettent des éclats qui coupent chacun comme des milliers de rasoirs. C’est un génocide qui tombe du ciel en gerbes de phosphore, en pluie d’obus sur les Arméniens, les civils, les soldats, une population que le monde oublie. Le pire est à craindre de la dictature raciste et panturquiste d’Aliyev qui compare les Arméniens à des « chiens ».

Le but de cette guerre pour l’Azerbaïdjan ? De « désarméniser » le territoire du Haut-Karabagh, territoire rattaché, sous l’ère soviétique à la république socialiste d’Azerbaïdjan en 1921, mais majoritairement peuplée d’Arméniens (95 %). Le site antique de Tigranakert (1ersiècle av. J.-C.), qui a été bombardé, atteste de la présence millénaire arménienne sur cette terre. Les massacres d’Arméniens par les Azéris commencèrent en 1919 et se poursuivirent en 1920, à Chouchi, ce qui entraîna l’intervention de l’armée arménienne. On le voit, le conflit n’est pas récent, ni les atrocités.

Le conflit s’achève sur une catastrophe, la défaite militaire de l’Arménie. La résistance arménienne a été héroïque, mais isolée, tellement isolée, sans le moindre soutien de la communauté internationale. Le Gouvernement arménien s’est trouvé dans l’obligation de consentir à ce qui s’imposait et qui était en train de s’organiser malgré lui. L’accord de cessez-le-feu du 10 novembre 2020 est désastreux et prévoit la restitution à l’Azerbaïdjan des territoires entourant l’Artsakh de même que le contrôle par l’Azerbaïdjan des territoires qu’il a envahis en Artsakh, soit les de 3/4 du territoire. L’accord signé par le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, le premier ministre arménien Nikol Pachinian, et le président russe Vladimir Poutine, ordonne la cessation immédiate des combats et le déploiement d’une force d’interposition : 2.000 soldats russes, chargés d’assurer la sécurité des civils arméniens. Plus de 2.300 soldats arméniens ont été tués.

Cette guerre ne se limite pas au tracé des frontières né des années soviétiques. Ce qui perce derrière cette guerre, c’est la Turquie d’Erdogan, ses velléités, ses djihadistes de l’État Islamique qui sont venus combattre les chrétiens depuis la Syrie. Partout la Turquie déstabilise, importe la guerre et le chaos : hier en Syrie, le massacre des Kurdes. Aujourd’hui en Arménie, encore en Libye, demain à Chypre ? Puis en Grèce ? La politique d’Erdogan est une synthèse entre deux courants contradictoires de l’histoire turc : le racialisme pan-nationaliste des Jeunes-Turcs et l’islamisme.

Le poète arménien Daniel Varoujan, victime du génocide l’a écrit : Voici soudain la haine – dressant ses cornes de taureau ! – Ô barbarie, sur ton passage, – Le bruit des ossatures broyées retentit – jusqu’au fond des cavernes – flamboyantes du ciel !

Karl Marx conclut (en 1843) : « La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. »

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules)

18 octobre / 20 novembre 2020

 

[1] Nous sommes nos montagnes (en arménien Մենք ենք մեր սարերը) est une sculpture monumentale située au nord-est de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabagh. Lors de l’inauguration, en 1968, les représentants soviétiques demandent : « Ces personnages n’ont-ils pas de jambes ? » Le sculpteur répond: « Mais si, et elles sont profondément enracinées dans leur terre. » La sculpture représente les bustes de deux paysans aux coiffes traditionnelles massives. Ce monument est le symbole de la république auto-proclamée du Haut-Karabagh, union de ses habitants avec leurs montagnes.

[2] Ces deux-là seront mis en examen le 21 octobre pour « complicité d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste », accusés d’avoir « nommément désigné comme une cible sur les réseaux sociaux le professeur d’histoire-géographie au moyen d’une manœuvre et d’une réinterprétation des faits. »

[3] Le terroriste a déclaré aux deux adolescents (qui sont poursuivis pour « complicité d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste »), « avoir l’intention de filmer le professeur, de l’obliger à demander pardon pour la caricature du prophète, de l’humilier, de le frapper », rapportera le procureur antiterroriste, Jean-François Ricard.

[4] De 1943 à 1945, la 33e division SS Charlemagne, 7.340 hommes, est une division d’infanterie de la Waffen-SS, constituée majoritairement de Français engagés volontaires pour combattre sous uniforme allemand.

[5] Alliée à l’Allemagne lors de la première Guerre mondiale, la Turquie signe, en juin 1941, un traité d'amitié avec l’Allemagne nazie.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : LA POESIE ET LES ASSISES DU FEU : Pierre Boujut et La Tour de Feu n° 51