Angèle VANNIER
Angèle Vannier, née le 12 août 1917, à Saint-Servan (Saint-Malo, Ille-et-Vilaine), passe sa petite enfance à Bazouges-la-Pérouse, à 43 km au nord-est de Rennes, chez sa grand-mère, femme aux principes religieux très stricts. À l’âge de huit ans elle retrouve ses parents, à Rennes, et fréquente un établissement catholique primaire et secondaire. Après l’obtention de son baccalauréat, elle s’oriente vers des études de pharmacie. En novembre 1939, dans sa vingt-deuxième année, elle perd la vue, à cause d’un glaucome (affection de l’œil qui entraine la destruction du nerf optique). L’intervention chirurgicale trop tardive ne lui permet pas de recouvrer la vue. Elle gardera toute sa vie, l’espoir de voir à nouveau. Sa cécité la plonge dans un profond désespoir : « Je pris la nuit comme un bateau la mer. » Aveugle, elle retourne vivre chez sa grand-mère, au Châtelet de Bazouges-la-Pérouse, une grande demeure de granit avec une tourelle.
En 1943, Angèle Vannier fait la rencontre déterminante de l’écrivain (et futur remarquable biographe de Saint-Pol-Roux, dans la collection Poètes d’aujourd’hui, Seghers, 1952) Théophile Briant, qui devient son mentor littéraire et l’incite à approfondir sa connaissance de la poésie contemporaine, de l’histoire et de la culture bretonnes. En 1947, Briant signe la préface du premier livre de poèmes d’Angèle Vannier, Les Songes de la lumière et de la brume : « Ce florilège suivra sa route comme une rivière enchantée de Brocéliande, mais celui qui viendra se désaltérer à son eau de sortilège ne pourra jamais l’oublier. »
Angèle Vannier prend part à des émissions de radio à Rennes et à Paris, notamment pour Radio Bretagne, en compagnie de Théophile Briant. Son deuxième livre, L’Arbre à feu (1950), est préfacé par Paul Eluard : « Le soleil et l’azur, les fleurs, les fruits, les blés, le visage des hommes, leur rêve et leur effort, leur amour et leur peine, la lente convulsion des mers et la rouille des continents, Angèle Vannier, aveugle, préserve tout de l’ombre. Merveilleusement. » Ce livre contient des poèmes mais aussi des chansons. L’une d’elles, Le Chevalier de Paris, mis en musique par Philippe-Gérard et chanté par Édith Piaf, lui apporte la célébrité (Grand prix du disque de l’Académie Charles Cros). Cette chanson sera reprise par Yves Montand, Catherine Sauvage, puis Frank Sinatra (avec des paroles anglaises sans rapport avec le texte original), Marlène Dietrich et Bob Dylan.
L’année suivante, Angèle Vannier participe à la Gorsedd Digor[1] du 29 juillet 1951, au Val sans Retour, première réunion de la Gorsedd de Bretagne depuis la Seconde Guerre mondiale. Après avoir prêté serment sur l’épée d’Arthur elle est sacrée Barde de Petite Bretagne : « Les gens du pays se transmettent de génération en génération que Viviane perdit la vue après avoir opéré l’enchantement sur Merlin. Elle la recouvra par les soins d’un berger qui la mena vers une autre fontaine. C’est ce que m’a dit le recteur. »
En 1959, Angèle Vannier épouse Michel Auphan, un ingénieur féru d’astrologie. Le couple s’installe à Neuilly-sur-Seine. Angèle s’initie et devient consultante en astrologie. Elle ne revient s’installer en Bretagne, à Bazouges-la-Pérouse, qu’en 1973 : « Je suis bretonne de la lande ; comme tous les poètes bretons, je crois à l’ésotérisme, à la féérie, à Merlin l’enchanteur, et mon lieu de grâce est la forêt de Brocéliande. » Ang7le Vannier obtient le Grand Prix pour l’ensemble de son œuvre, des Rencontres du Mont-Saint-Michel, alors qu’elle débute à Dol-de-Bretagne, avec le harpiste Myrdhin, le premier récital d’une longue série.
Angèle Vannier s’engage dans de nombreuses actions liées à défense de la langue et de la culture bretonnes. Elle cosigne, aux côtés de Xavier Grall, Pierre-Jakez Hélias, Jean Markale ou Glenmor, une lettre ouverte adressée au président Giscard d’Estaing, pour défendre les régions et l’enseignement du breton. Elle déclare pourtant : « Le gallo[2], c’est un problème mais ce n’est pas le mien. Ma poésie a un côté mystique, sacré et le français lui donne une portée universelle, et puis il ne faut pas s’illusionner, on ne parlait pas gallo chez moi, sauf à la cuisine. » Elle ajoute : « On nous a éduqué et on nous éduque d’une certaine manière d’un point de vue culturel. Si on dit Orphée, c’est une certaine culture. Si on dit Viviane, cela évoquera peut-être quelque chose. Si l’on dit Riwanon, et bien cela n’évoquera rien pour nos contemporains. On ne les a pas instruits de l’existence de mythes celtes et cela est très grave. Les gallos aussi sont concernés par cette occultation. Le courant celtique est bien sûr difficile à définir. C’est une manière d’être, de relation au monde et aux êtres. Les gallos doivent comme les autres rechercher leurs racines les plus profondes. Il faut aller du gallo au celte ! »
Enracinée dans sa haute-Bretagne, « Angèle Vannier est « en prise directe sur les grands mythes aussi bien gallois que du roman breton. Brocéliande est là à portée de main et de cœur. Elle plonge avec délice dans cet univers féérique. À plus forte raison quand ses héros mythiques partagent une part de sa destinée (le barde Merlin n’était-il pas aveugle ?). Elle célèbrera notamment la grande forêt arthurienne dans son dernier recueil Brocéliande que veux-tu ? », écrit Nicole Laurent-Catrice.
En 1979 et 1980, Angèle Vannier entreprend en compagnie de Myrdhin des tournées internationales, dont, au festival celtique de Berlin, puis à l’Institut français d’Ankara. Elle décède brutalement dans la matinée du 2 décembre 1980, d’une congestion cérébrale, le jour de la sainte Viviane : « Viviane, Merlin, vous savez la légende ? Viviane était une femme qui demeurait en Brocéliande, dans la forêt de Brocéliande. Elle allait toujours chercher de l’eau à la fontaine. Un jour elle y rencontra Merlin, Merlin le barde. Merlin le barde du roi Arthur. Merlin errait dans la forêt. Le roi Arthur avait perdu la bataille de Camblan. Merlin était comme fou. Merlin tomba amoureux de Viviane, mais Merlin était vieux et Viviane était jeune. On dit qu’il se rajeunit pour lui plaire. Symboliquement peut-être en lui chantant, en s’accompagnant à la harpe, de beaux poèmes. Genèse de la parole poétique, rythme, visage de l’éternel retour. Mais Merlin s’en allait toujours et Viviane pleurait, alors Viviane lui demanda, « apprends-moi, Merlin, le secret toi qui es un enchanteur, toi qui as fait briller sous mes yeux tous les secrets de la magie, comment une femme peut endormir un homme. » Merlin savait que Viviane par ce moyen voulait le garder toujours. Mais il consentit, livra son secret et dans la forêt de Brocéliande au bord de la fontaine, certains disent que cela se fit en mai, d’autres disent que cela se fit à la Saint Jean d’été ; Viviane tourna autour de Merlin en prononçant des paroles magiques et le garda. Et la femme qui venait de revenir en Bretagne et dans la ronde de la Saint Jean se souvint qu’elle aussi comme bien d’autres bretonnes refait à la fontaine de Barenton en Brocéliande le geste de Viviane et en eut des remords. »
Dans son Histoire de la poésie française du XXe siècle, Robert Sabatier écrit : « Atteinte de cécité, sa poésie prend la place d’un sens perdu. Ultra-sensible, Angèle Vannier, dans la simplicité, a souci de chanter, sans s’attendrir sur elle-même, et sans refuser sa différence… Elle a le sens du quotidien et sait en extraire le merveilleux cher à qui est né dans la forêt de Brocéliande. À l’angoisse, à la douleur, aux difficultés de sa condition, elle pouvait répondre par le chant, un chant passionné, venu du tréfonds de sa vie et devenu offrande… Elle adhérait à la vie de tout être souffrant, que ce soit le voyou à l’œil louche, la fille qui se suicide par amour, les filles de joies ou les crucifiés… Du début à la fin de son œuvre, rien qui ne soit gratuit. »
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
À lire : Les Songes de la lumière et de la brume (Éditions Savel, 1947), L’Arbre à feu (Éditions Le Goéland, 1950), Avec la permission de Dieu (Seghers, 1953), À Hauteur d’ange (La maison du poète, 1955), Choix de poèmes (Seghers, 1961), Le Sang des nuits (Seghers, 1966), La Nuit ardente, roman (Flammarion, 1969), Théâtre blanc (Rougerie, 1970), Le Rouge cloître (Rougerie, 1972), Ordination de la mémoire (Rougerie, 1976), Poésie verticale I (Éditions Roche sauve, 1976), Poésie verticale II (Éditions Roche sauve, 1977), Otage de la nuit, essai, suivi de Parcours de la nuit, poèmes (Éditions Librairie bleue, 1978), Brocéliande que veux-tu ? (Rougerie, 1978), Poèmes choisis, anthologie 1947-1978 (Rougerie, 1990).
À consulter : Nicole Laurent-Catrice, Demeure d'Angèle Vannier, suivi de Douze poèmes d’Angèle Vannier (Les éditions Sauvages, 2017), Guy Allix, En chemin avec Angèle Vannier (éditions Unicité, 2018).
[1] La Gorsedd Digor, cérémonie publique en breton de la Gorsedd de Bretagne, est célébrée tous les ans le troisième dimanche de juillet. C’est au cours de cette cérémonie que sont reçus les postulants à l’état de Druides en présence de délégations du Pays de Galles et de la Cornouaille britannique.
[2] La Bretagne est un pays plurilingue. Outre le français, on y parle le breton et le gallo. La Basse-Bretagne, à l’ouest, est la zone traditionnelle de pratique du breton et c’est en Haute-Bretagne, à l’est, que se parle le gallo. Le gallo est une langue romane et le breton une langue celtique. Elles n’ont donc pas la même racine, ni la même structure linguistique. Le gallo, langue romane de la Haute-Bretagne, est traditionnellement parlée en Ille-et-Vilaine, en Loire-Atlantique et dans l’est du Morbihan et des Côtes-d’Armor. En 2018, la Bretagne compte 207.000 bretonnants, soit 5,5% de la population. 196.000 personnes, 5% de la population, parlent le gallo en Haute-Bretagne.
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57 |