Présentation et historique
- Les Hommes sans Epaules : le titre
- La première série des HSE : 1953-1956
- La deuxième série des HSE : 1991-1994
- La troisième série des HSE : 1997 à nos jours
Les Hommes sans Epaules : le titre
Légende: René Char et Jean Breton, 15 rue Armand- de-Pontmartin, à Avignon, en 1950. Collection privée. tous droits réservés.
La revue Les Hommes sans Épaules a été fondée par le poète Jean Breton, à son domicile du 15 rue Armand-de-Pontmartin, à Avignon, en février 1953.
Les Hommes sans Épaules ! Certains nous ont reproché ce titre. Car, à notre époque, on a besoin d’épaules. Bien sûr ! Les temps sont aux fardeaux, aux sacs et aux jugulaires ! Les Hommes sans Épaules ne sauraient rien accrocher à leurs corps ! Ils passeraient presque inaperçus dans la cohue, seulement, à mieux les regarder, on verrait que leur tête rejoint leurs pieds par les plus courts chemins. Ils paraissent donc plus simples et plus franchement discernables. Il y en a tant, au contraire, qui roulent leur carrure au rythme du tocsin !
Hommes de la tête aux pieds, sans épaules mais entiers, c’est-à-dire avouant nos faiblesses et nos forces, nous célébrons encore le rêve, l’amitié de l’homme et de la nature. Nos poèmes, en écho, aiment, sans la moindre concession, la vie d’aujourd’hui.
Tailler la ligne de vie dans la morsure et extraire la quintessence même de l’être. L’émotion. Capter la coulée de laves. Travailler ensuite le matériau à froid. Nous descendons tous dans les boues colorées de l’homme et nous résistons émotionnellement, intellectuellement et physiquement dans la fêlure. Car, il n’y a pas un espace sans combat, pas un atome sans cri ; mais seulement, à bout portant : l’émotion, le langage, le mot coup de tête, le mot coup de sang, le mot coup de poing, pour exister plus loin que la mêlée des images et que l’écume de la phrase. Si l’émotivisme dont nous nous réclamons, n’est pas sensiblerie, il n’est pas pour autant culte de l’émotion, mais la prise de conscience du rôle de l’émotion, sa mise en valeur, son exploration. Car l’organisme vivant est toujours dans un équilibre instable. Nous pouvons d’ailleurs observer ce qu’est l’expérience émotionnelle. Il est aisé de comprendre combien le moi (dont l’inconscient est la partie immergée) est une statue fragile. Notre contrôle sur nous-mêmes est souvent faible. Il y a en nous des tensions qui réclament leur résolution. La prise qu’a le moi sur les émotions n’est jamais complète et elle réclame justement un lâcher-prise par lequel les tensions puissent se résoudre. L’émotion qui est l’équation du rêve et de la réalité, parce qu’elle jaillit brutalement, comme une réaction devant l’irritation d’une blessure, met le sujet hors de soi. « Je est un autre », « Je est tous les autres », écrit Christophe Dauphin.
Le titre des Hommes sans Épaules est extrait du roman de J.H Rosny l’Aîné (1856- 1940) : LE FÉLIN GEANT (Roman des âges farouches, 1918): " Aoûn, fils de l’Urus, aimait la contrée souterraine. Il y pêchait des poissons aveugles ou des écrevisses livides, en compagnie de Zoûhr, fils de la Terre, le dernier des Hommes-sans-Épaules, échappé au massacre de sa race par les Nains-Rouges.
Aoûn et Zoûhr, pendant des journées entières, longeaient le fleuve des cavernes. Souvent, la rive n’était plus qu’une corniche étroite ; parfois il fallait ramper dans les couloirs de porphyre, de gneiss ou de basalte. Zoûhr allumait des torches de térébinthe ; la lumière pourpre rebondissait sur le quartz des voûtes et sur les flots intarissables. Alors, ils se penchaient pour voir nager des bêtes blêmes, s’opiniâtraient à chercher des issues ou continuaient leur route, jusqu’à la muraille d’où jaillissait le fleuve. Ils s’y arrêtaient, longtemps. Ils auraient voulu franchir cette barrière mystérieuse à laquelle les Oulhamr se heurtaient depuis six printemps et cinq étés.
Aoûn, qui descendait de Naoh, fils du Léopard, appartenait, selon la coutume, au frère de sa mère, mais il préférait Naoh, dont il avait la structure, la poitrine infatigable et les instincts. Ses cheveux tombaient en masses rudes comme la crinière des étalons ; ses yeux étaient couleur d’argile. Sa force le rendait redoutable, mais, plus encore que Naoh, il faisait grâce aux vaincus quand ils s’aplatissaient contre la terre ; c’est pourquoi les Oulhamr mêlaient du mépris à l’admiration que suscitait son courage. Il chassait seul avec Zoûhr, que sa faiblesse rendait négligeable, encore qu’il fût habile à découvrir les pierres pour faire le feu et à préparer une substance inflammable avec la moelle des arbres.
Zoûhr avait la forme étroite d’un lézard ; ses épaules retombaient si fort que les bras semblaient jaillir directement du torse : c’est ainsi que furent les Wah, les Hommes-sans-Épaules, depuis les origines jusqu’à leur anéantissement par les Nains-Rouges. Il avait une intelligence lente mais plus subtile que celle des Oulhamr. Elle devait périr avec lui et ne renaître, dans d’autres hommes, qu’après des millénaires.
Plus encore qu’Aoûn, il aimait la contrée souterraine : ses pères, et les pères de ses pères, vivaient dans des pays pleins d’eau, dont une partie s’enfonçait sous les collines ou se perdait dans la montagne.
Un matin des temps, ils se trouvèrent au bord du fleuve. Ils avaient vu monter le brasier écarlate du soleil, et maintenant la lumière était jaune. Zoûhr savait qu’il prenait plaisir à voir couler les flots, mais Aoûn goûtait ce plaisir sans le savoir. Ils se dirigèrent vers le pays des cavernes. La montagne était devant eux, haute et inaccessible : sa cime formait une longue muraille. Au nord et au sud, où elle se prolongeait indéfiniment, elle élevait des masses infranchissables. Aoûn et Zoûhr souhaitaient de la dépasser ; tous les Oulhamr le souhaitaient.
Ils venaient du Nord-Occident ; ils marchaient depuis quinze ans vers l’Orient et vers le Sud. Au commencement, des cataclysmes les avaient chassés ; puis, voyant que la terre devenait toujours plus désirable et plus riche en proies, ils s’étaient accoutumés à ce vaste voyage. Et ils s’impatientaient devant la montagne."