Arshile GORKY

Arshile GORKY



Vosdanik Manoug Adoian est né le 14 avril 1904, à Kharkom (vilayet de Van, Empire ottoman), dans une famille arménienne. Son père, Sédrak Adoian (né en 1863) est agriculteur. Il a épousé en secondes noces Shushanik der Marderosian. La sœur de Vosdanik, Vartoosh, naît en 1906, année où le père, fuyant le service militaire turc, se réfugie aux États-Unis.

En 1909, Vosdanik suit les cours de l’Ecole apostolique arménienne de Khorkom, où il apprend le dessin et l’arménien. À Adana, 20.000 Arméniens sont massacrés par les Turcs et leurs supplétifs Kurdes, cette année-là, en 1910. La famille s’installe à Van, centre important de la vie culturelle, sociale et économique arménienne. Deux ans plus tard, Vosdanik pose avec sa mère pour une photographie qui deviendra célèbre et est envoyée au père, aux USA. Ses dons artistiques sont remarqués par ses professeurs. Il en ira toujours ainsi, et cela le « sauvera ».

La rafle des intellectuels arméniens du 24 avril 1915 à Constantinople est l’évènement marquant du commencement du génocide arménien. Le 20 avril, à Van, des soldats ottomans saisissent plusieurs femmes arméniennes voulant entrer dans la ville et deux hommes arméniens venus les aider sont abattus. Les Arméniens attaquent en retour une patrouille ottomane.

À Van, Djevdet Bey, le gouverneur du vilayet, ordonne le bombardement impitoyable, durant un mois, des quartiers civils arméniens de la ville, en flammes. Les Turcs ravagent aussi les villages des alentours, avec leurs supplétifs Circassiens et Kurdes. Un siège régulier est organisé. Les défenseurs arméniens de Van (30.000 habitants sur 50.000, retranchés, ne disposant que de 1.500 fusils), sous le commandement d’Aram Manoukian, mettent en place un gouvernement provisoire local et résistent héroïquement.

Le 18 mai, les Turcs sont mis en fuite, par les Volontaires arméniens dirigés par Andranik Ozanian et l’armée russe du général Nikolaïev, qui rentrent dans la ville et découvrent les cadavres des civils arméniens. Le consul russe, dans la ville de Van, rapporte que 6.000 Arméniens ont été massacrés à Van. Menacés d’encerclement les Russes doivent évacuer Van. L’ordre est donné à tous les Arméniens de quitter la ville et la région. Plus de 100.000 réfugiés (le groupe le plus important de survivants des Arméniens de l’Empire ottoman) partent en abandonnant tout. 30.000 vont périr de faim, d’épuisement ou massacrés dans les embuscades tendues par les Kurdes.

La famille Adoian arrive, en juillet 1915, à Erevan, sous protection russe. Se pose alors aux Arméniens de Russie la question cruciale du logement et du ravitaillement pour tous ces réfugiés, à nouveau menacés, car les Turcs avancent vers Erevan. Une armée de 10.000 soldats turcs et kurdes font face à autant de soldats arméniens. La bataille de Sardarapat, qui dure neuf jours (21-29 mai 1918), s’achève par une victoire complète des Arméniens sur les Ottomans. Cette victoire n’a pas seulement arrêté la progression de l’envahisseur turc : elle a surtout empêché l’anéantissement de la nation arménienne.

Une terrible famine sévit en Arménie, ainsi qu’une épidémie de typhus, un hiver glacial, qui font 200.000 morts en 1919. Shushanik en fait partie. Elle meurt le 20 mars 1919, à l’âge de trente-neuf ans. Vosdanik et sa sœur gagnent Constantinople, où, grâce à la solidarité arménienne, ils peuvent embarquer pour les États-Unis, via Naples. Ils arrivent le 26 février 1920 à Ellis-Island et rejoignent leur père à Providence.

Vosdanik, seize ans, connait une scolarité chaotique, ponctuée par des périodes de travail comme ouvrier dans une fonderie ou dans une usine à chaussures. Il dessine aussi furieusement et inlassablement. Il exécute en 1922 son premier autoportrait, qu’il signe Gorky, son nom d’artiste, en hommage à l’écrivain russe Maxime Gorki. En 1924, son talent et ses dons sont tels, qu’il est nommé assistant professeur à la New School of Design. Il part pour New-York en 1925 et s’inscrit à la National Academy of Design, avant d’enseigner à la New School of Design new-yorkaise, où il a comme élève Mark Rothko.

En 1926, il est nommé professeur, jusqu’en 1932, à la Grand Central School of Art. En 1929, le peintre russe David Bourliouk, héros du Futurisme russe avec Vladimir Maïakovski, initie Gorky au cubisme et à l’art d’avant-garde.

En 1931, il visite, c’est un choc, la première grande exposition d’art surréaliste (Dali, Chirico, Ernst, Miro et Picasso) et fait la rencontre de Fernand Léger. La découverte de la peinture métaphysique de Gorgio de Chirico lui fait abandonner le travail de la couleur pour l’austérité d’un graphisme serré, noir et blanc, proche de la gravure.

En 1935, il participe à l’importante exposition « Abstract Painting in America » du Whitney Museum, avec ses amis Davis, De Kooning, Levy et Reznikoff. En parallèle, il travaille pour l’administration des secours d’urgences temporaires et la Division murale, où il obtient un salaire modeste.

Entre 1930 et 1936, Gorky n’a vendu que trois tableaux, dont deux à des amies. Il multiplie les œuvres dont les titres évoquent l’Arménie. Et, il achève enfin son œuvre arménienne emblématique, débutée il y a dix ans : The Artist en his Mother, dont il existe de nombreux dessins et études, et deux huiles sur toile (la première est conservée à New-York, la deuxième, à Washington).

Gorky acquiert la nationalité étatsunienne en 1939, année où arrivent en exil aux USA les premiers surréalistes : Salvador Dali, Yves Tanguy et Roberto Matta qui lui ouvre la voie de la peinture automatique. Dans l’atelier de Matta, Gorky retrouve les peintres Motherwell, Onslow Ford, Enrico Donati, David Hare et Jackson Pollock. Bientôt arrivent André Breton et Max Ernst.

En février 1941, Gorky rencontre Agnès Magruder (qu’il surnomme Mogouch), âgée de dix-neuf ans, fille d’un officier de marine, sa cadette de dix-huit ans, qu’il épouse en septembre. Ils auront deux filles, Maro et Natasha. En 1942, passant trois semaines dans la ferme d’un ami, dans le Connecticut, Gorky se métamorphose une nouvelle fois, pour délivrer dans ses œuvres, une ivresse de sensations, une explosion de couleurs qui le libèrent de ses influences passées. De grandes taches expressives de couleurs vives dominent le tableau.

La rencontre d’André Breton est déterminante pour Arshile Gorky. L’amitié et la complicité naît d’emblée entre eux. En 1945, les échanges sont fructueux entre Breton et Gorky. Le poète surréaliste, très admiratif, inclut Gorky dans sa nouvelle édition du Surréalisme et la peinture et lui demande deux illustrations pour son livre de poèmes Young Cherry Trees Secured Against Hares (Pierre Matisse, 1946).

Mais, bientôt, deux drames s’abattent sur lui : l’incendie de son atelier à Sherman, le 26 janvier, qui détruit vingt-sept toiles et en février, il est opéré d’un cancer du côlon. Il ressort très affaibli de cette opération. Sa deuxième grande exposition personnelle se tient à nouveau chez Julien Levy en avril 1946. Étonnamment, cette fois, et c’est une première, l’affreux critique Clement Greenberg écrit qu’il considère les œuvres présentées « parmi les meilleures peintures jamais faites par un Américain ».

Dans le journal The New Yorker, le critique Robert Coates désigne pour la première fois l’Ecole de New-York sous l’appellation « expressionnisme abstrait ». Quatre tableaux sont vendus durant l’exposition. L’œuvre puissante et lyrique de Gorky est imbibée de surréalisme et d’abstraction. Les signes, plus que les dessins, flottent dans l’espace de la toile aux couleurs parfois stridentes, mais plus souvent suaves, délavées. Une rage, une émotion, une création époustouflante ! Un peintre surréaliste. Il faudra attendre sa mort, pour, non pas que les yankees l’admettent, mais en fassent au moins un précurseur de leur expressionnisme abstrait. 

En février 1947, Julien Levy organise la troisième grande exposition d’Arshile Gorky dans sa galerie. Suivent plusieurs expositions collectives, avec les surréalistes Matta, Wifredo Lam. La consécration surréaliste lui vient lorsqu’André Breton le fait figurer dans la première exposition surréaliste de l’après-guerre à Paris : « Le surréalisme en 1947. Exposition internationale du surréalisme », à la galerie Maeght. Son ultime exposition personnelle, toujours chez Julien Levy, se tient de février à mars 1948, avec, notamment sa toile Agony. Clement Greenberg convient à nouveau : « Avec cette riche sensualité… Gorky prend place parmi les très rares peintres américains d’aujourd’hui dont le travail est d’une importance qui dépasse nos frontières. »

Le 26 juin, Gorky est victime d’un accident de voiture avec Julien Levy. Une fracture au cou lui paralyse le bras. Il ne peut plus peindre. En juillet, Agnès, sa femme, le quitte et part avec leurs deux filles. Elle entretient une liaison avec Roberto Matta.

Le 21 juillet 1948, Arshile Gorky se donne la mort par pendaison, à l’âge de 44 ans, à Sherman, Connecticut, après avoir écrit à la craie blanche sur une caisse de bois : Adieu mes bien-aimés ». André Breton, bouleversé, fait exclure Matta du groupe surréaliste pour « disqualification intellectuelle et ignominie morale. » Breton fait surtout paraître dans la revue surréaliste Néon, son poème « L’Adieu à Arshile Gorky ».

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Daniel VAROUJAN & le poème de l'Arménie n° 58