Breyten BREYTENBACH
Poète, romancier, essayiste et peintre, Breyten Breytenbach (né en 1939 à Bonnieval, province du Cap, dans une famille installée en Afrique du Sud depuis le XVIIe siècle), écrit en afrikaans et en anglais : « Ce que l’on véhicule à travers les poèmes est très intime, de l’ordre de l’exorcisme, de l’incantation. Certains attributs de la langue comme le rythme, les couleurs, la texture, permettent d’établir un lien direct avec ce que l’on est à un moment donné qui ne peut passer que par la langue maternelle.
Durant les années d’éloignement, l’afrikaans a été mon seul lien avec l’Afrique du Sud, et c’est devenu une langue presque privée, adaptée à ma démarche. En outre, l’afrikaans se prête formidablement bien à la poésie, parce que c’est une langue créole, très adaptable, très souple, très inventive. » Mais lorsqu’on l’interroge, il revendique plus le statut de peintre que de poète ou d’écrivain, car « la peinture est beaucoup plus physique, plus gestuelle. Elle permet de mieux respirer. On est tellement sous pression quand on écrit à propos d’un pays compliqué et qu’on vit dans un monde très bavard, où tout passe par la parole, où tout le monde essaie de couvrir ses lacunes et de remplir les vides par le bavardage. La peinture c’est différent : on ne peut pas se cacher. »
Dès le début des années 1960, Breyten Breytenbach, étudiant aux Beaux-arts à l’Université du Cap, combat le régime d’apartheid qui sévit dans son pays. Lors d’un séjour en France, il rencontre Yolande Ngo Thi Hoang Lien, une Française d’origine vietnamienne, qu’il épouse. Lorsque Breytenbach demande un visa à l’ambassade sud-africaine pour retourner dans son pays et y recevoir l’un des prix littéraires afrikaans les plus prestigieux, le Afrikaans Corps Prize ; les autorités lui apprennent qu’il y sera arrêté pour non-respect de la loi sur l’immoralité, interdisant les mariages interraciaux. Le Mixed Marriages Act et l’Immorality Act séviront de 1949 à 1985. Breytenbach s’installe à Paris (« Pour tout ce qui est de la vie intellectuelle, j’ai été formé à Paris. Même quand je travaille en anglais, je le fais probablement du point de vue d’un Français et même d’un Parisien ! Les questions qui m’intéressent – conscience, identité, engagement – relèvent d’une formation à la française ») et lance un mouvement clandestin de résistance au régime d’apartheid, Okhela (étincelle en zulu ; dont le manifeste paraît dans Les Temps modernes n°458, septembre 1984), qui organise des réseaux de Blancs au service du Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela.
Rentré clandestinement, afin de recruter des membres pour Okhela, en Afrique du Sud en 1975, il est arrêté, jugé et condamné. Il échappe de peu à la peine de mort, et voit sa peine commuée en neuf années de prison. Breytenbach est finalement libéré en 1982. Il retourne en France et obtient la nationalité française. Il peut retourner en Afrique du Sud avec la chute du régime d’apartheid, en 1994.
Depuis, il poursuit l’écriture d’une œuvre qui mêle roman, poésie et autobiographie : « Les poètes sont démunis de tout pouvoir. Les enjeux (économiques, etc.) sont tellement ridicules qu’on ne peut pas vivre de la poésie ni faire la révolution avec. Bob Dylan plaisantait en disant que ce ne sont pas les poètes qui font la révolution mais la révolution qui fait les poètes ! La poésie, par nature, n’a pas à se soucier des compromis – en cela elle est sans doute plus « révolutionnaire » que la prose. Bien sûr, on veut être compris ; bien sûr, on cherche à produire du sens. Mais on est conscient de s'inscrire dans une très grande tradition, partout à travers le monde, qui n'a pas bougé depuis l’Antiquité. La nécessité d'incantation, d'exorcisme, de musicalité et d’interaction avec l’autre : tout ceci n'a pas changé. La prose, comme la politique, peut manipuler davantage puisqu’elle ratisse large : c’est le nombre qui compte ! Enfin, pas toutes... James Joyce ne gagne pas les masses. Je dis ceci sans mépris pour la prose : il y a une nécessité, pour l’humain, de se raconter, de s’inventer, de se projeter, de narrer…Le poème ne conforte pas ce que l’on connaît et sait déjà, en cela il transgresse ; il va là où l’on est mal à l’aise. La poésie, c’est donner sens, c’est rendre inconfortable. »
Breyten Breytenbach partage son temps entre les États-Unis, la France et le Sénégal, où il dirige le Gorée Institute (un Institut de recherche et d’accueil pour la démocratie, le développement et la culture), et son pays natal, où il enseigne, publie et donne à voir des pièces de théâtre controversées sur la nation arc-en-ciel : « Pour l’instant, nous avons lamentablement échoué, vu d’où nous venons, vu les sacrifices concédés par ceux qui nous ont précédés, vu la générosité et la qualité même de la lutte. Le parti au pouvoir se dit majoritaire, mais draine seulement 30 % de la population et nie les révoltes généralisées. Pouvait-on prévoir que ça allait arriver ? Est-ce que le mouvement n’a pas été assez préparé à prendre les rênes de ce pays complexe, convoité par tellement de monde, exploité par tellement de forces, porteur d’une histoire sanglante qu’on ne peut pas défaire ? L’Afrique du Sud n’est pas l’Algérie, les Blanchâtres – puisqu’ils ne sont plus blancs depuis longtemps – ne sont pas des pieds-noirs, il n’y a pas de nation mère où ils pourraient se réfugier. Ce constat ne vaut pas seulement pour l’Afrique du Sud. Les affres par lesquelles nous passons actuellement en Afrique du Sud sont en partie dues au fait que la notion d’Afrique du Sud reste une notion en creux, qui n’est pour l’instant pas porteuse de valeurs positives. Nous sommes vaguement conscients de vivre à l’intérieur des mêmes frontières, de partager une histoire et un certain nombre d’idées communes après des années de mélanges, de confrontations, de guerres, de résistances, de libérations. Mais on a oublié que dès qu’on cesse de transformer ou de construire un pays il risque de se fragmenter à nouveau selon les composantes qui préexistaient. Les vieilles rancunes remontent à la surface, les causes d’insatisfaction sont nombreuses, la sud-africanité en souffre. L’héritage de Mandela, le sens même et la portée de sa vie ne sont pas honorés. Pas du tout. »
César BIRÈNE
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Œuvres de Breyten Breytenbach :
Poésie : Feu froid (Bourgois, 1976 ; réimpression 1983), Métamortphase : poèmes de prison, 1975-82. Autoportrait-veille de mort, (Grasset, 1987), Tout un cheval : fictions et images (Grasset, 1990), Lady One (Melville, 2004), Outre-voix : Conversation nomade avec Mahmoud Darwich, (Actes Sud, 2009), La femme dans le soleil (Bruno Doucey, 2015).
Prose, essais : Confession véridique d’un terroriste albinos, récit autobiographique (Stock, 1984), Mouroir : notes-miroir pour un roman (Stock, 1983), Une saison au paradis, journal, (Le Seuil, 1986), Feuilles de route, essais, lettres, interviews, articles de foi, notes de travail (Le Seuil, 1986), Mémoire de poussière et de neige, roman, (Grasset, 1989), Retour au paradis : journal africain, (Grasset, 1993), Le cœur-chien (Actes Sud, 2005), L'étranger intime (Actes Sud, 2007), L'empreinte des pas sur la terre : Mémoires nomades d'un personnage de fiction, (Actes Sud, 2008), Le Monde du milieu, essais littéraires, (Actes Sud, 2009).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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