Claude PELIEU

Claude PELIEU



CLAUDE PÉLIEU : LA POÉSIE COMME SYNDROME CHINOIS

Claude Pélieu est né à Beauchamp (Val d’Oise, France) le 20 décembre 1934. Il est décédé le 24 décembre 2002 à Norwich, U.S.A.

Service militaire : trois ans en Algérie.

1963 : départ aux États-Unis en compagnie de Mary Beach rencontrée à Paris : ils décident de changer d’air.

San Francisco : rencontre Lawrence Ferlinghetti et travaille quelques temps avec Mary à la librairie City Lights. Fréquente Ginsberg, Orlovsky, Corso, Kaufman.

Débuts de traductions des poètes beat avec Mary. Nait de cette collaboration la publication en français des grands textes de Ginsberg, Burroughs, Sanders…

1967, à Paris, publication du Cahier de l’Herne n° 9. Première reconnaissance du travail de Claude Pélieu grâce à Dominique de Roux.

1968… Mai. Court séjour de Claude et Mary à Paris et retour à San Francisco, Hawaï…New York à nouveau, (Chelsea Hotel) puis séjour à Londres et dans le Sussex de 70 à 75.

Bref séjour à Caen 92-93 et retour définitif aux U.S.A. (76 déménagements !).

Cherry Valley, Cooperstown, sa santé décline, Chenango puis Norwich, désillusion, vie précaire, maladie…

Vie d’errance pour le poète et sa compagne, vie faite d’amitiés et pleine d’une intense activité créatrice, écriture, collages, traductions.

Une œuvre immense…à découvrir !

Le scénario: jeune artiste intense, né à Pontoise près de Paname, féru de vie et d’art, blessé corps et âme par un passage forcé dans les Bat d’Af au moment de la guerre d’Algérie, et cependant déjà très avancé dans son travail plastique, conscient que le collage est la seule vraie avance technique artistique du 20ème siècle, se découvre la poésie au cœur: quand il y met le nez pour voir comment faire avancer le schmilblick, il se rend compte que ce générateur de poésie est mal fichu (friables matériaux frauduleux: surréalisme tardif frelaté mélangé à une aigrelette petite sauce lyrique post-hugolienne, le tout essayant de colmater ses brèches de par trop visibles sous une couche rigide de plâtre textuel parisien). Notre artiste-poète, Claude Pélieu, pour ne pas le nommer, ayant tout jeune tété d’assez de Rimbaud et de Lautréamont pour savoir reconnaître un vrai poème d’une chinoiserie surannée, explose d’un fou rire contagieux. Résultat: explosions en série, syndrome chinois, emballement du réacteur nucléaire de la centrale de poésie frelatée dans ce cœur-poésie (“résultant des lacunes volontaires dans le contrôle des principaux composants de la centrale au moment de sa construction”).Les éléments combustibles en fusion du cœur font fendre les barrières qui le confinent et le tout s'enfonce dans la terre. En théorie jusqu'au centre de celle-ci, ou d’après un autre scénario jusqu’en Chine (mais notre ami n’est pas Mao-Parigot pour une kopek). Et donc en pratique Pélieu va émerger de l’autre côté de la terre, à San Francisco, accompagné de la compagne de sa vie, Mary Beach — et s’y recompose un corium capable d’enregistrer tous le tremblement, nucléaires et autres, des décennies qui lui restent à lui et au siècle finissant.

En effet, contrairement à la lavasse des vols cons des pélicans surréalisants qui au contact de l’air, de l'eau ou de n’importe quelle réalité extérieure se refroidit et se recroqueville spontanémentcréant une croûte isolante qui la paralyse dans sa forme, le corium-Pélieu post-traversée de la terre est la résultante de la fusion des éléments combustibles radioactifs (ce qui reste de la demi-vie des vieux matériaux friables européens) et des nouveaux matériaux environnants: vents de la traversée qui l’ont débarrassé des vieux & atroces albatros d’antan, nouvelles énergies des marées hautes de la vague beat, parties fondues des réacteurs HOWL & Bomkauf, barres de contrôle cut-up, matériaux isolants du rire abomuniste Kaufmann, et autres métaux mentaux en fusion. Mais aussi de la terre — de la baie anarcho-édénique à l’archipel Manahatta-Chelsea Hotel, de la punko-romantique Londres aux forêts James Fenimore Coopériennes de l’upstate New York — et des roches sous-jacentes, amis et collaborateurs. Ce corium-Pélieu resta en permanence en fusion (à plus de 3000°C) plus au moins stabilisé par une savante  & shamanique administration de vodka et d’herbe qui s'auto-entretiendra jusqu’à ce jour de Noel 2002 où Claude déposa le crayon pour de bon.

Nous sommes tous censés le savoir, mais mieux vaut le rappeler une fois encore, histoire d’être tout à fait clair: la naissance de l’image moderne dans la littérature — ou de la littérature dans l’image moderne — explose /s’impose dans une phrase d’un livre qui date de 1867: « Beau comme la rencontre fortuite sur la table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ». Lautréamont nomme là ce qui sera la technique essentielle de la poéture et de la peintrésie du 20C siècle : le collage. Exactement 100 ans plus tard, comme pour en marquer l’anniversaire, en 1967 donc, « une bombe littéraire explose dans Paris : l’énorme CAHIER DE L’HERNE n°9 – BURROUGHS / PELIEU / KAUFMANN (textes) », (comme le résumera plus tard F.J. Ossang). Et de continuer : « La poésie française (francophone) ne sera jamais plus exactement la même. Orage télépathique, poésie électrique, voyages de l’autre coté. » Pas le temps ni l’espace ici d’investiguer l’énorme travail visuel, les milliers de collages qui constituent l’autre versant de son œuvre. L’autre, ou le même? Car la méthode — collage, montage, cut-up — s’applique aussi bien aux images qu’aux mots. Le moteur c’est le vu, le vécu, véhiculé par le hasard, car, comme il dit : « Le hasard est le plus grand artiste, il me livre les images du domaine public expulsées des poubelles historiques… Les arrière-bruits du monde et des foules - crudité faite de brume et d'ombre. Images piégées du Marché aux Mirages - L'arc-en-rêve des mondes possibles. Les images… n'ont pas fermé l'œil. » Il pratique sur les deux versants de son travail ce qu’il appelle «le réalisme de l'éphémère, de l'effacement de l'instant, des grands virages sur le moment, pour le moment. » Et c’est par ce travail-là qu’il nous donne à voir le monde et, dans un même mouvement, nous apprend à voir. Et à lire....

Pierre JORIS

(Revue Les Hommes sans Epaules).

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Claude Pélieu est l'auteur d'une œuvre poétique abondante. À Paris, il fut influencé par les surréalistes, puis, après sa lecture des livres de Burroughs en 1963, il adopta la technique du cut-up. C’est à cette époque, qu’il écrivit un ensemble de textes, Pilote Automatique, où il développa la technique particulière du script vite, qui lui permit de convoquer des images, proches à la fois de l'écriture automatique et des textes cut-up.

À partir de la fin des années 1960, son écriture se divise principalement en trois courants : un journal-poème, les poèmes en vers libres, et des poèmes à formes courtes, inspirés par la poésie japonaise. Il est aujourd'hui encore considéré comme « le seul poète beat d'expression française ».

L’écriture de Claude Pélieu, essentiellement urbaine, est le lieu où il essaie de rassembler les bribes insensées qu’il trouve dans le bruit et la fureur. Cette écriture, comme l’a écrit Bernard Demandre (in médiapart), semble jeter sur la page des mots volés en éclats, désintégrant la grammaire, procédant principalement par juxtapositions, énumérations, aboutissant à des catalogues d’images, séries de propositions sans liens manifestes, accumulations de délires verbaux dont le texte réalisé tient lieu de ciment, comme serait une poésie du chaos, dans un monde à feu et à sang : « Le monde / vole en éclats / éblouissements / vertiges, spontanéité / J’écris en crachant / la sueur des mots, / à perdre haleine ». Violences verbales que le texte permet d’éructer et dont la lecture à voix haute vérifie la violence du souffle nécessaire à son expression et l’épuisement physique qui en découle. Il y a un halètement du texte comme il y a un viol des mots et des sens, capable de déchirer la bouche qui les façonne. Formes du cri longuement ululé face à notre monde où le capitalisme triomphant ne donne plus à voir que cet écartèlement, dont l’art contemporain ne cesse de témoigner, à l’image des poupées déchirées de Bellmer, par exemple : « comme discontinuité et dissociation …/ comme l’éternelle poussière blindée de silence … / comme le capitalisme moderne /comme l’industrie kulturelle … / comme le discours sans dialogue des mass média / comme l’artiste mutilé refoulé … /comme ici on oublie toute raison langage univers … ».

Dans ce monde où le poète tente d’en représenter l’âpreté et de ne considérer, en fin de compte, que les pourrissements à l’œuvre dans « l’infernale hypnose télévisée ». TERREUR SUR TOUTE LA TERRE où passent sans transitions tous les déchets d’un monde désorganisé et où « personne n’a plus la possibilité de raconter une histoire », en témoignage des combats de ses amis poètes américains de la Beat Generation qu’il a connus, fréquentés et traduits : « j’ai vu le vent …Et les lettres de feu que Kaufman jetait au-dessus de Grant Avenue… ». Monde où il n'y aurait plus d’Histoire, arrêtée qu’elle serait par sa propre déliquescence. Vide, haine, mensonges officiels, propagande, poisons administrés comme des potions, convoitises, richesses obscènes, spectacles ressassés jusqu’à la nausée, belles dents patentées, dans la lumière bleue.

Poète, Claude Pélieu pratiqua également assidument le collage pendant plus de cinquante ans.

César BIRENE

(Revue Les Hommes sans Epaules).


Œuvres de Claude Pelieu :

Rendez-vous avec le sol, Olivier Tassard éditeur, 1952.

Automatic Pilot, City Lights Books/Fuck you Press,1964.

With Revolvers Aimed Finger-Bowls, Beach Books Texts & Documents, 1967.

So Who Owns Death TV ?, Beach Books Texts & Documents, 1967.

Scripts, Bob Cobbing éditeur, 1967.

Cahier de l’Herne n°. 9, Burroughs, Pélieu, Kaufman, L’Herne, 1967.

Opal U.S.A., Beach Books Texts & Documents.

Ce que dit la Bouche d’ombre…, Le Soleil noir, 1969.

Le journal blanc du hasard, Bourgois, 1969.

embruns d’exil traduits du silence, Bourgois, 1971.

Kerouac, avec Burroughs, Kerouac et Ginsberg, l’Herne, 1971.

Jukeboxes, 10/18, 1972.

Infra-noir, suivi de Opale USA, Le Soleil noir, 1972.

Tatouages mentholés et cartouches d’aube, 10/18, 1973.

Kali Yug Express, Bourgois, 1974.

Amphetamine Cowboy, Expanded Media Editions, 1974.

Coca Neon / Arc-en-ciel Polaroid, Bourgois, 1976.

Dust Bowl Motel Poems, Bourgois, 1977.

Cartes postales USA, (pris par le vent), Cééditions, 1979.

Pommes bleues électriques, Bourgois, 1979.

Trains de nuit, Le Cherche-midi éditeur, 1979.

My Name is… Cahiers Loques, 1981.

Xerox Blues, éditions Nèpes, Ventabren, 1984.

Bonjour M’sieur Orwell, éditions Nèpes, Ventabren, 1984.

Indigo Express, Le livre à venir, 1986.

Koans &Haikus,Mensuel 25 & Atelier de L’Agneau, 1986.

La rue est un rêve, Ecrits des forges, 1989.

Télé-Karma, avec Joël Hubaut, édit de la CREM, 1991.

Légende noire, éditions du Rocher, 1991.

Public Domain – Anthologie Xerox, Cahiers de nuit, 1994.

Souvenir de Richard Brautigan ; Don’t Look Back, W.S.B. dans la nuit écarlate de No New York, Cahiers de nuit, 1994.

Merde, il doit bien pleuvoir quelque part ; A travers le miroir de la vie, Cahiers de nuit, 1994.

Et vous aurez raison d’avoir tort ! S. U. E. L. 1996.

Dear Laurie, Un miracle endormi dans un taxi, La Main courante, 1996.

L’éternel détour du ciel, éd. Derrière La Salle de Bains. 1996.

Alors à qui appartient la mort télévisée ?, La Main Coutante, 1997.

La rue est un rêve, Écrits des Forges/Le Castor Astral, 1998.

Studio Réalité, Le Castor astral/Écrits des Forges, 1999.

Boomerangs, éditions de La Notonecte, 1999.

Art Into Thick Air, éditions de La Notonecte, 1999.

Soupe de lézard, éditions la digitale, 2000.

Starquake, (poèmes&proses2000-2001), La Notonecte,2001.

La Crevaille, L’Arganier, 2008.

Je suis un cut-up vivant, L’Arganier, 2008.

New poems & sketches, Le livre à venir/Books Factory, 2014. Réédition, 2016.


 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Claude PELIEU & la Beat generation n° 42