Claude TARNAUD

Claude TARNAUD



Né le 27 mai 1922 à Maisons-Laffitte, Claude Tarnaud eut à ses débuts la singularité de se prendre pour un scorpion métamorphosé en homme. Il a tenu en 1946 un Journal du scorpion, où il nota au jour le jour toutes les coïncidences révélant qu’il était vraiment l’équivalent de cet arachnide au coup de dard redoutable.

Tarnaud se lia dans l’après-guerre avec Yves Bonnefoy pour fonder le groupuscule de La Révolution la Nuit, gravitant autour de Victor Brauner. Dans le premier cahier de ce titre, Tarnaud publia L’Inflation américaine, attaquant violemment « les pêcheurs en eau trouble de l’existentialisme » qui, « sous le commandement du nabot de Flore », mettaient à la mode les romanciers américains. Le jeune poète disait de ceux-ci : « Nous ne pouvons accepter leur naturalisme subjectif qu’en tant que témoignage à charge du désespérant état retardataire des USA ». Dénonçant « le conformisme écœurant et crétinisant auquel ont abouti les Steinbeck et les Saroyan », il concluait : « L’inflation américaine, que l’on veut créer en Europe, est la nouvelle arme réactionnaire. » Claude Tarnaud se sépara brutalement d’Yves Bonnefoy, à cause de son tract Dieu est-il français ?, en lui écrivant : « Cela augure bien de ta prochaine carrière de sauterelle. » Tarnaud fut un des premiers jeunes à se rallier à André Breton.

Dans l’atelier de Victor Brauner, Claude Tarnaud fait la rencontre de Sarane Alexandrian, en mars 1947. Ils deviennent de suite des complices irrésistibles et instantanés. Tarnaud fait peur aux autres néophytes du surréalisme, en raison de ses réparties cinglantes, de son air froid, de ses yeux gris-vert à l’éclat médusant lorsqu’il était irrité. Bientôt se joignirent aux deux écrivains, Stanislas Rodanski puis quelques mois après Alain Jouffroy. Le groupe se transforma en un quatuor insolite qui scandalisa la Vieille Garde surréaliste. « Nous avions pour morale, a écrit Alexandrian, tout ce que Baudelaire préconisa du dandysme, « besoin ardent de se faire une originalité », « caractère d’opposition et de révolte », « héroïsme dans les décadences ». Nos modèles étaient les dandys modernes de la poésie, Arthur Cravan, Jacques Vaché et Jacques Rigault, qui nous enchantaient par leur liberté de ton et d’allure. Notre éthique du dandysme permit à Claude Tarnaud de ne plus s’identifier à un scorpion. Son surmoi fut dès lors « le joueur blancvêtu », autrement dit le chevalier de Salignac, personnage de son invention. Tarnaud joua le rôle du chevalier de Salignac dans un esprit de mystification délibérée. Le dandysme de Tarnaud était d’autant plus superbe qu’il vivait sans argent. Claude Tarnaud finit par considérer le chevalier de Salignac comme son « double encombrant ».

Après avoir écrit Le Joueur blancvêtu en se disant Salignac, il s’envoya à lui-même une lettre de défi signée Salignac, qu’il me lut sans que je comprenne qu’il y annonçait son intention de rompre avec les « surréalistes primaires », mais aussi avec l’équipe novatrice de Néon qui ne pouvait, à cause d’eux, préparer un numéro spécial sur l’aventure. Sa rupture se fit en deux fois, le 8 novembre 1948 devant Breton et le 31 décembre chez Brauner.

Tarnaud fit imprimer The Whiteclad Gambler, en 1951, donnant un titre anglais au Joueur blancvêtu et qualifiant son livre en prose de « poème épique » pour se moquer de la littérature française de son temps. Travaillant comme interprète à l’ONU, en qualité de fonctionnaire international, Claude Tarnaud résida de 1953 à 1959 à Mogadisque, en Somalie italienne, et s’y conduisit tel un héros de Joseph Conrad. » Tarnaud a raconté en deux livres, La Forme réfléchie (1954) et L’Aventure de la Marie-Jeanne (1961), les péripéties de sa vie africaine.

À cette époque son principal correspondant à Paris fut Ghérasim Luca, avec qui il eut des relations pleines d’outrances poétiques, inévitables entre ces deux êtres exceptionnels. Tarnaud renoua avec André Breton, début 1960. De 1959 à 1962, sa fonction d’interprète de l’ONU, amena Claude Tarnaud à séjourner à New York. Il y organisa l’exposition du surréalisme de 1961 avec Marcel Duchamp.

Claude Tarnaud ne se contentait pas de mépriser les récompenses littéraires, comme Julien Gracq qu’il admirait, mais il considérait que même publier un livre était une compromission si l’on ne  gardait pas ses distances. Lorsqu’il en faisait imprimer un, c’était à tirage restreint, pour des lecteurs choisis par lui, sans se soucier d’avoir un public. Penser fut son luxe et écrire son ascèse.

En 1969, Claude Tarnaud s’installa dans une maison du Vaucluse, près d’Apt, et c’est là qu’il vécut jusqu’à sa mort à Avignon en 1991. 

Sarane ALEXANDRIAN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

À lire: The Whiteclad Gambler - Le Joueur blancvêtu ou Les Écrits et les Gestes de H. de Salignac, poème épique, (Imprimerie de la Sirène, 1952 ; réédition L'Arachnoïde, 2011), La Forme réfléchie (Le Soleil Noir, 1954 ; Rééd. L’Écart absolu, 2000), L’Aventure de la Marie-Jeanne ou Le Journal indien (L’Écart absolu, 2001 ; rééd. Les Hauts-Fonds, 2013), Orpalée (Éditions M. Cassé, 1965.), Les Cendres de l'eau, poèmes, (Éd. L'Empreinte et la Nuit, 1974), De (Le Bout du monde), (L’Écart absolu, 2003).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : VICENTE HUIDOBRO ou la légende d'Altazor n° 28