Colette WITTORSKI

Colette WITTORSKI



Le nom de Colette Wittorski m’a tôt été familier en raison du nom de la signataire de l’un des très rares articles consacrés à la disparition de mon cher poète et frère normand Jacques Prevel, en 1951. Et voilà que, courant 2005, une Colette Wittorski s’abonne à la revue Les Hommes sans Épaules. Hasard objectif ? Intrigué, je lui écris. Par retour de lettre, j’ai la confirmation qu’il s’agit de la même personne. Colette Wittorski a été la jeune amie d’un grand poète, noir-maudit comme personne, Jacques Prevel, auquel elle apporta amitié, aide et réconfort dans les deux dernières de sa courte vie. Je demande à Colette un témoignage, qu’elle m’adresse, éclairant, émouvant et inédit, en février 2006. J’ai publié ce témoignage dans mon essai Derrière mes doubles, Jean-Pierre Duprey & Jacques Prevel (Les Hommes sans Épaules éditions, 2021).

Entre démesure et désastre, il y a Jacques Prevel, le poète, l’ami d’Artaud et sa plaie à vif. C’est lors de l’une de ses visites à Prevel que le poète confie à Colette Wittorski le manuscrit de De colère et de haine, pour qu’elle puisse le taper sur la machine à écrire de son père. Jacques Marie Prevel meurt de la tuberculose au sanatorium de Sainte-Feyre, le 27 mai 1951, à l’âge de 35 ans. L’existence de Jacques Prevel est ignorée. Sa mort l’est tout autant. Mais, un « Hommage à Jacques Prevel » paraît dans le journal Le Havre, du 6 juin 1951, signé Colette Wittorski : « Les trois vertus théologales de Jacques Prevel étaient la souffrance, la révolte et la haine : Il a été le prophète total du monde qu’il voulait. Sa souffrance était absolue et intolérable sous toutes ses formes : il survivait à sa force, il survivait à sa vie, follement lucide des innombrables raisons qu’il avait de désespérer. Sa révolte était absolue, et il déchaînait sa colère avec la plus stricte conscience d’agir contre ses intérêts les plus urgents… » Colette Wittorski remet le couvert dans le journal Le Havre, en 1952 : « Ce poète n’est pas de ceux dont « on parle » ; trop vrai pour la renommée, il n’est digne que du silence ou de la gloire. Sachons seulement qu’à la source de sa création était un acharnement de blessure et de dénuement. » Avec Colette, j’ai en partage la Normandie et la mer qui croque ses galets, la poésie et Jacques Prevel, le soleil noir de nos falaises. Ce n’est pas rien.  

Colette Wittorski est née au Havre (Seine-Maritime), en 1927. Licenciée et diplômée de philosophie en 1949, elle appartient à une famille dans laquelle aucune femme avant elle n’a jamais eu de métier. Elle a successivement été professeur, mère au foyer, animatrice, formatrice puis thérapeute : « Ça me hérissait de voir que d’autres jeunes femmes comme moi cherchaient un mari. Pour l’époque, mes idées ne collaient pas vraiment. » Après avoir longtemps vécut en Normandie, Colette s’est enfoncée davantage encore dans l’Ouest en 1995 chez nos cousins bretons, à Landeleau (Finistère), puis à Huelgoat. Colette Wittorski a publié onze livres de poèmes. Le poète breton Bernez Tangi, va jusqu’à dire : « Chaque poème est un diamant… Il jaillit, il brille. Mais il ne peut faire oublier les ténèbres, l’angoisse, le doute. »  Discrète et humble, Colette Wittorski, malgré un parcours souvent difficile ne s’est jamais plainte. Elle est restée solidaire et fraternelle. Le prix Xavier-Grall lui a été remis en 2013 pour l’ensemble de son œuvre.

Colette, qui fut la compagne du sculpteur et peintre normand Olivier Dupont Danican, nous dit : « Je vis seule, mais justement, cela m’ouvre à d’autres choses. L’isolement ferme, mais la solitude ouvre. Dans un poème, j’écris par exemple : Étrangère - j’arrive d’une contrée - que nul ne visitera jamais - le temps de mes parents - Amputée de ma mère - je me parle pour survivre… Ma mère est morte à ma naissance, c’est le grand drame de ma vie. J’en parle dans mes poèmes. J’ai grandi entre une grand-mère un peu stricte et un père inconsolable, pendant la guerre. »

La jeunesse de Colette Wittorski fut livrée à la guerre dans l’isolement et le bombardement terrible de sa ville du Havre entre le 5 et le 11 septembre 1944 : cent trente-deux bombardements et un centre-ville en ruine. Le bilan est lourd : cinq mille morts, quatre-vingt mille sans-abris, cent cinquante hectares rasés, douze mille cinq cents immeubles détruits. Le port est également détruit et quelque trois cent cinquante épaves demeurent au fond de la mer. La rade et l’estuaire sont minés. Colette poursuit : « On ne traverse pas cela sans laisser de plumes, je me suis barricadée dans l’écriture, dans une famille qui n’était pourtant pas vraiment tournée vers la littérature. Ça faisait partie de ma vie. J’écrivais, mais sans désir de me faire publier, au début. Mon premier recueil est finalement sorti en 2003… Je suis née en 1927, j’ai connu la guerre à l’adolescence. J’ai passé le bac toute seule, je me suis débrouillée. Durant cette période, j’ai eu la chance d’être chez mon oncle, qui avait une énorme bibliothèque. Comme j’étais seule, je lisais beaucoup. J’avais du temps pour m’épanouir intérieurement. Je n’ai pas eu une adolescence normale, elle m’a été confisquée. Mais finalement, c’est aussi ce qui fait ce que je suis aujourd’hui. Je me souviens que l’un de mes premiers poèmes, à 14 ou 15 ans, était un poème patriotique. Chez moi, on écoutait Radio Londres. Je ne me rappelle plus bien, mais je sais que ça commençait par Si l’Allemagne gagnait… Je me souviens aussi que mon père avait hésité à me laisser lire certains auteurs, comme Baudelaire ou Rimbaud. Finalement, il avait cédé, et heureusement ! Ils font partie de mes références. »

De l’œuvre de Colette Wittorski, Pierre Tanguy écrit (in recoursaupoeme.fr, 2020) : « Tourmentée comme une terre à l’herbe rare, Colette Wittorski nous livre sa terre intérieure depuis un pays qui est devenu le sien, dans l’Argoat finistérien, un pays à l’extrême bord du continent parmi les rocs où elle hume l’haleine claire de la terre remuée et contemple la fourrure de blé mûr sur la terre sèche. Ici, nous dit-elle, une colline soulève sa masse et une soudure de brouillard peut stagner la journée entière. Mais dans ce pays (comme dans d’autres pays), le couteau des heures accomplit son office. Forme de compte à rebours pour une femme sur le grand âge. Chacun fuit/les rires se taisent/le lac se vide, lit-on dans le court poème intitulé « Vieillesse ». C’est le moment où les blessures anciennes remontent à la surface. À commencer par le choc (le traumatisme ?) originel et, en quelque sorte, fondateur : la disparition de la mère. »

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules)

À lire : Un bouquet de cordes (Librairie-Galerie Racine, 2003), Une aurore boréale (An Amzer, 2005), Jardin sans lieu JMG Création, 2007), Éclats d’ombre (JMG Création, 2007), Nothern lights, poèmes traduits en anglais par Fred Johnston (Lapwing publications, Belfast, 2009), L’enchantement des enluminures (Danican, 2009), Delta (Tarv Ruz, 2011), Et je serai aveugle aux vivants de la terre (Tarv Ruz, 2015), Olivier Dupont Danican sculpteur et peintre, essai, avec Claire Arlaux (Tarv Ruz, 2017), L’immensité des liens (L’Harmattan, 2020), Éphéméride (L’Harmattan, 2023).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57