Gilbert LELY

Gilbert LELY



Gilbert Lely a un double mérite dans l’histoire de la littérature érotique : en tant que poète, il est un excellent représentant de l’érotisme surréaliste ; et en tant que critique littéraire, il est le plus grand spécialiste des œuvres du marquis de Sade, dont il a révélé la correspondance et de nombreux écrits inédits.

Pierre-Raphaël-Gilbert Lévy (qui prendra à dix-sept ans le pseudonyme de Lely) est né le 1er juin 1904 à Paris, au 8 rue Parrot (XIIe). Sa mère mourut quand il avait cinq ans et son père Adrien Lévy, négociant en papier, après s’être remarié, le mit en pension au lycée Jeanson-de-Sailly en 1911, puis au lycée Lakanal de Bourg-la-Reine de 1916 à 1920. Lorsque ses parents se retirèrent à Hyères dans le Var en 1921, Gilbert Lely resta à Paris, travailla au théâtre de l’Œuvre comme secrétaire et comme acteur, et publia à la librairie Jouve Les Chefs-d’oeuvre des poètes galants du XVIIIe siècle, une anthologie  dénotant sa précocité. Il était exceptionnel qu’un homme aussi jeune fît preuve d’une telle érudition, présentant en des notices originales trente-trois poètes peu connus.  Ensuite  Gilbert Lely publia à dix-neuf ans son premier recueil de poèmes Aréthuse ou Élégies (Alphonse Lemerre, 1923) et à vingt-trois ans le deuxième, Allusions ou Poèmes (Bristol, Douglas Cleverdon, 1927). Ce fut sa période classique, où il revendiqua l’influence d’André Chénier.

Mais il se rallia au surréalisme en 1931, et son lyrisme amoureux, dans Je ne veux pas qu’on tue cette femme, éloge de l’espionne Mata-Hari (Editions surréalistes, 1936, avec un frontispice de Max Ernst), et dans La Sylphide ou l’Etoile carnivore (Editions le François, 1938), le fit surnommer « la lampe scabreuse » par André Breton et Paul Eluard. En effet, il s’y présentait comme « un fiancé inquiétant », Arden, rêvant de situations  sexuelles d’un raffinement étrange.  Gilbert Lely devint le rédacteur en chef de la revue médicale Hippocrate à Paris, de janvier 1933 à septembre 1939, et fut admis comme membre de la Société d’Histoire de la médecine à cause de ses travaux. Car il faisait une série d’articles brillants sur des médecins comme Philippe Ricord, le spécialiste de la syphilis, ou Philippe Pinel, qui rénova le traitement des malades mentaux. C’est dans son bureau d’Hippocrate qu’il rencontra Maurice Heine, qui venait d’éditer Les 120 journées de Sodome de Sade, et qui deviendra son  initiateur à l’œuvre de celui-ci.

Pendant la guerre, Gilbert Lely fut mobilisé comme infirmier à la base aérienne de Tours. A l’armistice, il alla rejoindre les surréalistes à Marseille et prépara en 1942 la première version de Ma Civilisation, le livre de poèmes qu’il ne cessa de retoucher par la suite. Cette édition clandestine, limitée à douze exemplaires dactylographiés, comprenait  « le graphique d’un congrès sexuel de 10 minutes », avec les tracés de l’excitation et de l’orgasme. Parmi les sept planches d’illustration, il y avait un collage représentant sa première femme Lucienne, épousée en 1929 et dont il était divorcé depuis 1937. Ma Civilisation parut chez Maeght en 1947, dans une édition de luxe illustrée par Lucien Coutaud. Sa réédition en 1949 fut accompagnée d’un  « prière d’insérer » d’Yves Bonnefoy.

Pour gagner sa vie, Gilbert Lely était alors speaker à la radio. Le 22 janvier 1948, rendant visite aux descendants de Sade à Condé-sur-Brie, Lely obtint du comte Xavier de Sade l’autorisation d’inventorier deux caisses léguées par son ancêtre, que nul homme de la famille n’avait ouvertes. Il y trouva tout un trésor d’écrits inédits : lettres, pièces de théâtre, carnets de notes, etc. Il publia trois recueils de ces lettres: L’Aigle, Mademoiselle (Georges Artigue, 1949), Le Carillon de Vincennes (Arcanes, 1953), Monsieur le 6 (Julliard, 1956), les Cahiers personnels (Corréa, 1953) et tout le reste, avec des commentaires critiques. Possédant une connaissance de cet auteur que personne n’avait jamais eue, Gilbert Lely composa une Vie du marquis de Sade, écrite sur des données nouvelles, accompagnée de nombreux documents, le plus souvent inédits, paraissant chez Gallimard en deux gros volumes, le premier en 1952, le second en 1957. Il en donna une autre édition, revue et corrigée, et augmentée d’un examen des ouvrages de Sade, en I962. Il dirigea aussi « l’édition définitive », au Cercle du Livre précieux, des Œuvres complètes du marquis de Sade, établies sur les originaux imprimés ou manuscrits (1962-64), en quinze volumes avec 360 illustrations. Il ajoutera à la réédition de 1966 un seizième tome de Mélanges littéraires et Lettres, avec six introductions de sa main. Tout ce qu’on sait de Sade aujourd’hui, on le doit à Gilbert Lely. Il a enrichi sa Vie de Sade de documents nouveaux jusqu’à sa dernière édition de 1982 chez Garnier. En même temps son style flamboyant, son don d’évocation du passé, sa minutie d’exégète consciencieux, ont fait de cette biographie un livre incomparable. Un de ses admirateurs l’a appelé « le prince des Sadiens »: rien n’est plus juste.

En 1977, en dehors de ses Œuvres poétiques d’un érotisme lyrique, Gilbert Lely publia hors commerce Kidama vivila, « poésies sotadiques », c’est-à-dire franchement obscènes, comme "Lady K***", hymne à une dame copulant avec « trois libertins, dotés de verges scandaleuses ». Le titre provenait d’un chant mélanésien, commençant par kidama vivila sitana ikanupwagega (supposons femme un instant elle est couchée ouverte) qu’il dédiait à sa maîtresse Betty, en concluant: « Salut, délice de mon âme! Le souvenir de tes seins, de ton humidité secrète, me transperce, plus aigu que les cris de jouissance, portés par les ondes hertziennes,  de toutes les femmes de Paris à la même seconde. »

Le 19 janvier  1979 Gilbert Lely épousa Marie-Françoise Le Pennec, ayant quarante-six ans de moins que lui, dont la présence à ses côtés le stimula jusqu’à la fin. Il mourut le 4 juin 1985 à son domicile parisien, 12 rue Emile-Allez (XVIIe). Le centenaire de sa naissance fut célébré à Paris en 2004, à la Sorbonne et à la Bibliothèque de l’Arsenal, par un cycle de conférences que présida Marie-Françoise Lely.
                         
Sarane ALEXANDRIAN
(Revue Les Hommes sans Epaules).

Illustration: Portrait de Gilbert Lely. © Sophie Bassouls/Sygma/Corbis, 1976.


À lire (œuvres de Gilbert Lely) : Vie du marquis de Sade (Gallimard, 1952-57. Edition définitive, Mercure de France, 1989) ; Kidama vivila, poésies sotadiques, avec sept dessins de Julio Pomar (La Différence, 1977), Œuvres poétiques, dessin à la plume de Leonor Fini, (La Différence, 1977), Poésies complètes, texte établi et annoté par Jean-Louis Gabin. Tome I (préface d’Yves Bonnefoy) et Tome II : 1996. Tome III : 2000 (Mercure de France).

À consulter : Gilbert Lely, la passion dévorante : actes du colloque Gilbert Lely, le centenaire, textes réunis par Emmanuel Rubio, (L’'Age d’Homme, 2007), Hommage à Gilbert Lely (Bibliothèque de l’Arsenal, William Blake & Co, 2004), Sarane Alexandrian, Gilbert Lely dans ses cinq aspects mémorables (Supérieur Inconnu, n°17, 2000), Jean-Louis Gabin, Gilbert Lely, biographie, (Librairie Séguier, 1991), Yves Bonnefoy, Un poète figuratif in La Vérité de parole (Mercure de France, 1988), Hommage à Gilbert Lely (L’Infini, n°18, 1987), Gilbert Lely, Études critiques inédites d’Yves Bonnefoy, Thierry Bouchard, Jacques Henric et Claudie Massaloux, (éd. Thierry Bouchard, 1979) , Yves Bonnefoy, La Cent vingt et unième journée in L’improbable (Mercure de France, 1959).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier: ROGER KOWALSKI, A L'OISEAU, A LA MISERICORDE n° 38