Gisèle PRASSINOS

Gisèle PRASSINOS



Après des débuts très remarqués, à l’âge de quatorze ans ; Gisèle Prassinos a prouvé qu’elle n’était pas que « la femme-enfant du surréalisme » et qu’il y avait une vie, une vie réelle, imaginaire, après la sacralisation précoce. Elle est l’une des voix majeures de la poésie contemporaine.

Gisèle Prassinos est née le 26 février 1920, à Constantinople, dans une famille d’origine grecque, contrainte d’émigrer en France, en 1922, en raison de la Guerre gréco-turque, qui sévit depuis 1919. La famille Prassinos, s’installe à Nanterre dans le dénuement. À l’âge de quatorze ans, Gisèle Prassinos commence soudainement à écrire des textes automatiques, comme elle le confie : « Tout cela s’est passé étrangement… Un jour d’été, étant donné que nous n’avions pas d’argent pour partir en vacances, les femmes qui avaient passé la matinée à faire le ménage, amidonner les rideaux, etc., étaient épuisées par le travail et la chaleur. Je les ai retrouvées par terre dans un couloir où elles cherchaient un peu la fraîcheur, allongées comme des mortes ! Quel choc ! Je suis allée à la petite table où je faisais mes devoirs, et je me suis mise à écrire, n’importe quoi, des phrases comme : Ces saletés sont magnifiques, a répondu mon soulier… Ces textes, son frère les découvre et les communique à Henri Parisot, qui les montre à son tour aux surréalistes, qui sont émerveillés par ce jeune prodige. Gisèle Prassinos leur est présentée : « Et pour vérifier que c’était bien moi qui avais écrit ses textes, on m’a donné un crayon et du papier et on m’a demandé d’écrire n’importe quoi ! Et tout le monde m’a reconnue comme un petit génie ! J’ai très vite saisi qu’en fait, on attendait de moi de l’absurde, de l’inattendu, du fantastique ; et j’ai continué dans ce sens pendant longtemps, d’autant que cela faisait rire mon père aux larmes… Par contre, les surréalistes me laissaient complément indifférente ! D’ailleurs, ils ne m’adressaient jamais la parole ! Ils étaient sérieux comme des papes ! On m’a traînée à la fameuse Place Blanche où ils se réunissaient… Ce qui me frappait, concernant André Breton, c’était  sa beauté. En fait, lui et ses amis, je ne les ai pas vus longtemps, parce que ce n’était pas moi qui les intéressais, c’était ce que j’écrivais ! » Man Ray la photographie lisant ses poèmes au Café Cyrano et ses premiers poèmes paraissent en 1934 dans les revues Minotaure et Documents 34. Breton pourra écrire : « Le ton de Gisèle Prassinos est unique : tous les poètes en sont jaloux ! » La Sauterelle arthritique, préfacée par Paul Eluard. Gisèle Prassinos deviendra l’Alice II du mouvement dans le Dictionnaire abrégé du Surréalisme de 1938. Après la publication de Le Feu maniaque en 1939, dont Eluard rédige la postface, Gisèle Prassinos s’éloigne du groupe surréaliste ; ce qui n’empêche pas André Breton, en 1940, d’inclure deux de ses textes dans son Anthologie de l'Humour noir.

Durant la Seconde Guerre mondiale et jusqu'à la fin des années 1950, Gisèle Prassinos cesse de publier et travaille uniquement à des traductions (dont Alexis Zorba ou La Liberté ou la mort, de Nikos Kazantzakis) avec son mari Pierre Fridas, un grec d’Egypte. Il faut attendre la fin des années 1950 et la parution d’un roman autobiographique, pour la voir à nouveau publier ses propres textes, avec Le Temps n’est rien (1958), Elle écrit alors de nombreux poèmes, des romans, des nouvelles et des récits, notamment, La Confidente (1962), Le Visage effleuré de peine (1964), Le Grand repas (1966), Brelin le fou ou le portrait de famille (1975). Lorsqu’André Pieyre de Mandiargues lui reproche violemment d’écrire des romans, elle répond : « Mandiargues me fait rire : je n’ai pas honte d’écrire des romans, et il devrait sans doute être plus honteux que moi, lui qui en a écrit autant en continuant à revendiquer son surréalisme. J’ai commencé par la prose, tout de même. Les surréalistes considéraient ma prose comme de la poésie, mais c’était de la prose avant tout. J’ai décidé ensuite d’écrire des poèmes au moment où j’ai su, que j’étais aussi un poète ; que je pouvais écrire des poèmes, et pas seulement des contes. Et quand je me suis mise au roman, dans les circonstances que j’ai déjà évoquées, c’était pour voir si j’en étais capable. Par la suite, on a surtout mis en avant mes romans, car les éditeurs demandent surtout des romans, mais moi, je ne peux pas dire que je préfère ce genre à la poésie. De plus, je ne me considère pas comme une romancière à part entière : mes romans ne sont pas très construits, pas suffisamment en tous cas pour valoir en tant que tels. »

A la fin des années 1960, Gisèle Prassinos se consacre de nouveau à la poésie. Pratique-t-elle toujours l’automatisme ? Elle répond : « Pour moi, je n’ai jamais pratiqué l’écriture automatique, telle que la décrit Breton, laquelle, je pense, est une utopie. Dès le début, même avant d’écrire des poèmes conscients, j’écrivais une phrase automatique, et je trouvais dans cette phrase, un personnage et une atmosphère, qui m’aidaient à continuer. Ce n’était donc pas entièrement de l’écriture automatique. Et puis, il faut une occasion- pour moi, c’était l’ennui. J’admets bien sûr que l’écriture déverrouille le subconscient, puisque les psychiatres se sont intéressés à ce que je faisais. Mais au bout d’un moment, la conscience revient dans une assez forte mesure. Le texte comporte une logique interne, un entraînement, il y a une cohésion même dans le texte le plus imaginatif. Cela dit, je ne dis pas que cette méthode, même si elle ne sera jamais l’automatisme pur dont Breton parlait, n’est pas un bon moteur de création. Pour preuve : j’en fais en ce moment, parce que je suis un peu dans le trou, et que je pense qu’il est sûrement possible de trouver quelque chose dans tout ce fatras. C’est possible, certainement, mais il faut retravailler cette matière. Le plus important dans l’écriture, c’est le travail. Vous ne pouvez pas savoir comme mes textes sont travaillés, retravaillés, pour parvenir à l’harmonie. Je cherche le bon mot dans le dictionnaire ; certes, quand je ne le trouve pas j’en mets un autre, mais enfin, je biffe, je rature. Je ne crois pas qu’on puisse se contenter de l’automatisme. »

En 1967, les poèmes de sa période surréaliste sont réunis dans Les Mots endormis. Paraît également, l’important et superbe recueil, La Vie, la Voix (1971), puis des poèmes destinés aux enfants comme, Le ciel et la terre se marient (1979) et L’instant qui va (1985). Par ailleurs, elle écrit aussi des nouvelles. En 1961, son recueil Le Cavalier, est récompensé par le Prix de la Nouvelle. En 1976, elle rassemble la plupart de ses contes dans Trouver sans chercher, une vraie petite merveille, puis fait paraître différents recueils : Mon cœur les écoute (1982), dont les nouvelles démontrent tout son humour poétique. Le poète nous dit : « C’est important l’humour, ça aide à vivre. Il faut toujours se moquer un peu de soi, prendre de la distance par rapport à ce qu’on peut dire de vous… Mes personnages, je les rends ridicules, mais j’ai en même temps une grande tendresse pour eux. Ce n’est pas un humour cruel comme on l’a parfois dit. Par exemple, lorsque j’ai écrit une histoire sur un petit garçon sans jambe qui lisait installé dans une cave, ce qui lui permettait de ne voir passer toute la journée devant lui que les jambes et les pieds des gens, on a voulu voir de la cruauté dans mon écriture. Moi, je l’aime cet enfant, avec sa souffrance et son désir : c’est plutôt naïf. ». Après Mon cœur les écoute, Gisèle Prassinos donne Le Verrou et autres nouvelles (1987), La Lucarne (1990), La Table de famille (1994), La Mort de Socrate et autres nouvelles (2006). Le maître-mot de Prassinos, outre la douleur, la souffrance, l’onirisme, l’amour et l’humain, reste l’humour, qui abat dans un bouillonnement les cloisons rigides que les adultes se plaisent à fabriquer : le confinement familial, la froideur cadavérique et confortable des machines que les hommes mettent entre le monde et eux, la prégnance artificielle et mensongère des images cultuelles derrière laquelle se cèlent les émotions contradictoires de la vie.

Enfin, Gisèle Prassinos s’est également fait connaître pour ses dessins et ses tentures en feutrine (« Ça ne m’a pas passé, cette envie de m’amuser. Quand je réalise mes tentures, je m’amuse beaucoup. C’est épuisant aussi, bien sûr, il faut plus de soixante heures de travail pour assembler tous ces petits morceaux, mais c’est très ludique), soit des œuvres plastiques réalisées à l'aide de morceaux de tissu de couleur découpés et dont les motifs parodient des scènes de notre culture. Gisèle Prassinos, comme l’écrit Annie Richard (spécialiste de l’œuvre de Gisèle Prassinos), a toujours dessiné, illustré ses propres textes et, en 1946, La Chasse au snark de Lewis Caroll mais à partir de 1967, elle se met à composer, dessin préalable et maquette à l’appui, de véritables tableaux pleins d’humour et d’audace reprenant en particulier les thèmes de la grande peinture d’Histoire. Un livre témoigne d’un échange étonnant entre Gisèle Prassinos, poète et G.P. plasticienne (signature de ses tentures) : Brelin le Frou, récit burlesque inséparable d’une série de douze tentures et dessins, qui transpose le récit d’enfance Le Temps n’est rien de 1958 et aboutit dans le registre d’humour poétique qui la caractérise au « Portrait idéal de l’artiste ».

Gisèle Prassinos est décédée à Paris, le 15 novembre 2015, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

Œuvres de Gisèle Prassinos : La Sauterelle arthritique (G.L.M., 1935), Une demande en mariage (G.L.M., 1935), Quand le bruit travaille (G.L.M., 1936), Facilité crépusculaire (Debresse, 1937), La Lutte double, contes, (G.L.M., 1938), Une Belle famille, contes, (G.L.M., 1938), La Revanche, contes, (éd. G.L.M., 1939), Sondue, contes, (G.L.M., 1939), Le Feu maniaque (G.L.M. 1939), Le Rêve, récit,, (Fontaine, 1947), Le Temps n'est rien, roman, (Plon, 1958), La Voyageuse, roman,  (Plon, 1959), Le Cavalier, nouvelles, (Plon, 1961), La Confidente, roman, (Grasset, 1962), L'Homme au chagrin (G.L.M., 1962), Le Visage effleuré de peine, roman, ( Grasset, 1964. Réédition Zulma, 2004), Le Grand repas, roman, (Grasset, 1966), Les Mots endormis, poèmes et contes, (Flammarion, 1967), La Vie la Voix (Flammarion, 1971), Petits quotidiens (éd. Commune Mesure, 1974), Brelin le Frou ou le portrait de famille, récits et dessins, (Belfond, 1975), Trouver sans chercher,1934-1944, recueil de textes surréalistes, (Flammarion, 1976), Comptines pour fillottes et garcelons (L'École des loisirs, 1978), Pour l'Arrière-saison (Belfond,1979), Le Ciel et la Terre se marient (éd. Ouvrières, 1979), L'Instant qui va (Folle avoine, 1985), Comment écrivez-vous ? ou ils sont malins les écrivains (Folle avoine, 1985), Poésie partagée (Folle avoine, 1987), Le Verrou et autres nouvelles (Flammarion, 1987), La Lucarne, nouvelles, (Flammarion, 1990), La Table de famille, nouvelles (Flammarion, 1993), La Bible surréaliste de Gisèle Prassinos, les tentures de tissus et de feutrine créées de 1967 à 1988, (éd. Mols, 2004), les tentures bibliques La Mort de Socrate et autres nouvelles, (éd., Aigues-Vives, 2006. Réédition Le Mot fou éditions, 2009), Mon cœur les écoute (Le Mot fou éditions, 2009), Correspondance d'Henri Parisot avec Mario et Gisèle Prassinos, 1933-1938 (Joëlle Losfeld, 2003).

Légende photo: Portrait de Gisèle Prassinos © Sophie Bassouls



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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