Gustave LE ROUGE

Gustave LE ROUGE



Parmi les grands romanciers normands, Gustave Le Rouge appartient à une magnifique trilogie de l’imaginaire, avec Gustave Leroux (les séries Rouletabille, Chéri-Bibi, Le Fantôme de l’Opéra…) et Maurice Leblanc (Les aventures d’Arsène Lupin). Dans L'Homme foudroyé, Blaise Cendrars affirme que Gustave Le Rouge a écrit 312 volumes. Francis Lacassin, pour sa part, recense 163 tomes, épisodes ou fascicules formant 73 titres.

Poète, romancier, auteur de pièces de théâtre, scénariste, libertaire, Gustave Le Rouge fut un polygraphe accompli, admiré par les surréalistes comme par Blaise Cendras. Son nom reste associé à ses romans d’aventures populaires dont la plupart incorporent une dose de fantastique, de science-fiction ou de merveilleux.

Influencé par Jules Verne dans ses premiers écrits romanesque, il s’en démarque par la suite dans ses ouvrages plus aboutis du cycle martien (Le prisonnier de la planète Mars, 1908 ; La guerre des vampires, 1909) et surtout dans Le Mystérieux Docteur Cornélius (1911-1912), qui est considéré comme son chef-d’œuvre. « Roman d’aventures scientifico-policières, ce roman du monde moderne où, par les tableaux de la nature exotique, son goût policier de l’intrigue, son penchant métaphysique, son don de visionnaire scientifique, mon ami Le Rouge a fait la somme du roman du XIXe siècle, de Bernardin de Saint-Pierre à Wells, en passant par Poe, Gustave Aymard, le Balzac de Séraphita, le Villiers de L’Isle-Adam de l’Ève future, l’école naturaliste russe et le théâtre d’épouvante. »

Ainsi Blaise Cendrars, poète du voyage et aventurier des mots, parle-t-il de l’énigmatique et flamboyant Gustave Le Rouge. Dans son œuvre, Le Rouge récuse tout souci de vraisemblance scientifique au profit d’un style très personnel, caractérisé par une circulation permanente entre le plan du rationalisme et celui de l’occultisme, et par l’imbrication fréquente entre l’aventure et l’intrigue sentimentale.

Gustave Le Rouge, né à Valognes (Manche), le 22 juillet 1867, est le fils d’un entrepreneur de peinture en bâtiment. La famille est de bonne bourgeoisie, avec un grand-père longtemps maire de Réville. Le Rouge obtient son baccalauréat de philosophie en juin 1886, et fait son droit à la Faculté de Caen, obtenant sa licence en septembre 1889. Monté à Paris poursuivre ses études, il mène une existence bohème, publiant des articles et des poèmes dans de petites revues, faisant jouer des saynètes au Procope ou au Chat rouge, et exerçant nombre de métiers. C'est une période de soucis d’argent perpétuels.

En mars 1890, il rencontre Paul Verlaine, dont il devient un intime, allant jusqu’à partager le dernier repas du poète le jour de sa mort. Lerouge ! Et vous ? Tout cœur et toute flamme vive, -Qu'allez-vous faire en notre exil ainsi qu'il est, - Vous, une si belle âme en un monde si laid ?, écrit, Paul Verlaine, en décembre 1891. En 1911, Le Rouge publiera avec F.-A. Cazals un document intitulé Les derniers jours de Paul Verlaine, préfacé par Maurice Barrès.

En 1899, il publie, sans doute à compte d’auteur, son premier livre, un recueil de poèmes intitulé Le Marchand de nuages. Les poèmes de Derelicta, suivront en 1930. Le Rouge commence, en 1904, à publier des romans d’aventure comme La Reine des éléphants, L'Espionne du Grand Lama, Le prisonnier de la planète Mars (1908), La guerre des vampires (1909), puis, à partir de novembre 1912, les dix-huit fascicules mensuels qui composent Le Mystérieux Docteur Cornélius, dont Blaise Cendrars tirera la matière de son recueil Kodak, en 1924. Durant la Première Guerre mondiale, et après la bataille de la Marne, Gustave Le Rouge devient correspondant de guerre et chroniqueur au journal L'Information, avant de devenir chef du service du reportage en banlieue du Petit Parisien à la fin de la Guerre. Il en sera renvoyé pour avoir inventé un fait divers (Une dame âgée hébergeant dans son appartement une trentaine de chats est retrouvée morte et dévorée par ses matous affamés).

C'est au Petit Parisien que Le Rouge rencontre Blaise Cendrars, sans doute en 1919. Le Rouge exercera une véritable fascination sur le poète suisse qui en dresse un portrait saisissant, quoique peu fidèle, dans L'Homme foudroyé (1945). Il l’évoque également dans La Perle fiévreuse (1922) et Bourlinguer (1948). Le Rouge continue de publier des romans comme Todd Marvel, détective milliardaire (1923). En 1928, il publie un recueil de souvenirs littéraires intitulé Verlainiens et décadents, source précieuse d’informations.

Gustave Le Rouge meurt à l’hôpital Lariboisière, d’un cancer de la prostate, le 24 février 1938. Paul Verlaine écrit de Le Rouge, en 1889 : « Peintre et dessinateur en train pour la célébrité qu’il affecte de ne point ambitionner, il ne se contente pas d’être, en outre, un écrivain bien original et très incisif, maniéré sans doute, mais que diable voulez-vous ? il veut encore passer et passe chansonnier ; mais chansonnier à sa façon, qui rendrait des points à tels qui sont « cotés, » et offre une note toute nouvelle, ironie bon enfant et pimpante facture, de l’argot et du jargon résumés dans de bon, proverbial et bien droit français, à coup sûr regrettablement sec et, avouons-le, d’INSTINCT trop congénère au Voltaire des petits vers. Il ne chansonne d’ailleurs que pour ses pairs et ses intimes et prétend rester inédit. Ça le regarde, mais quel dommage ! »

 Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

Œuvres (sélection) : L’Amérique des dollars et du crime, (Volume comprenant La Conspiration des milliardaires, À coups de milliards, Le Régiment des hypnotiseurs, La Revanche du vieux monde, L’Héroïne du Colorado), Collection Bouquins, Robert Laffont. Verlainiens et décadents (Julliard, 1993). Le Prisonnier de la planète mars (10/18, 1998). Le Mystérieux Docteur Cornélius, 9 volumes, (éditions Manucius). Le Prisonnier de la planète Mars & La Guerre des Vampires (Terre De Brume, 2008).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes normands pour une falaise du cri n° 52