Hercule Savinien Cyrano de BERGERAC

Hercule Savinien Cyrano de BERGERAC



Si la qualité du poète et de son œuvre poétique se jouent dans le rapport à la liberté, il aura apporté une contribution souveraine à la littérature. Le Cyrano de Rostand stagnait en Bergerac. Que faire de ces deux portraits légendaires ? En dépit d’une certaine critique qui reprochait au dramaturge ses licences et ses anachronismes, il semblait que les deux personnages étaient bien de même nature, de même essence libre, de celle des Don Quichotte et des Don Juan (celui de Molière), qui virent le jour à peu près à la même époque, et dont le « panache » électif, libertaire, exhausse tous les désirs et impatiences de l’être.

Odile COHEN-ABBAS

(Revue Les Hommes sans Epaules)

 

Poète et libre-penseur, Hercule Savinien Cyrano dit Cyrano de Bergerac, né à Paris le 6 mars 1619, est surtout connu pour sa comédie Le Pédant joué, son Histoire comique des États et Empires de la Lune, première partie de l’Autre Monde, et particulièrement pour avoir inspiré à Edmond Rostand le personnage central de sa pièce Cyrano de Bergerac  (écrite à Paris en 1897 et jouée pour la première fois le 28 décembre de la même année à Paris, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin), qui reprend des éléments de la biographie du poète, mais s’en écarte par des aspects non négligeables. Les écrits de Cyrano indiquent, certes, qu’il possédait un nez anormalement grand, dont il était fier. S’il est vrai que, poète populaire et fine lame, il s’est battu dans de nombreux duels et a combattu cent hommes à la porte de Nesle, ses capacités furent enjolivées par Rostand. Le modèle pour le personnage de la Roxane de la pièce de Rostand, était Catherine de Cyrano, la cousine de Cyrano, qui vivait avec sa tante au couvent des Filles de la Croix, où celui-ci fut soigné pour les blessures consécutives à la chute de la poutre. Toutefois, l’intrigue de la pièce impliquant Roxane et Christian de Neuvillette est presque totalement fictive : le vrai Cyrano n’ayant pas rédigé les lettres d’amour du baron à sa place.

Descendant d’une vieille famille parisienne, Cyrano de Bergerac n'est pas gascon. Le « Bergerac » dont il prend le nom est une terre possédée par sa famille (nommé « Bergerac » à cause de ses anciens propriétaires) que son grand-père avait acquise en 1582, dans la vallée de Chevreuse, sur les rives de l’Yvette, à Saint-Forget, en région parisienne. Après avoir passé une grande partie de son enfance à Saint-Forget, Cyrano étudie au collège de Beauvais de Paris, dont le principal, Jean Grangier, lui inspire le personnage principal du Pédant joué. Il s'engage en 1638 avec son ami Henry Le Bret dans la compagnie Royal Gascogne du baron Alexandre Carbon de Casteljaloux, du régiment des gardes du roi. Engagé dans les combats qui opposent Français et Espagnols dans la guerre de Trente Ans, Cyrano est blessé en 1639 au siège de Mouzon d'« un coup de mousquet à travers le corps ». Il est à nouveau blessé en 1640 lors du siège d'Arras, d'« un coup d'épée dans la gorge », qui met fin à sa carrière militaire. Parmi les compagnons de bataille de Cyrano, on trouve Christophe de Champagne, baron de Neuvillette (mort dans une embuscade, au retour du siège d'Arras, en août 1640), qui a épousé le 20 février 1635 Madeleine Robineau, la cousine maternelle de l'écrivain. De retour dans la vie civile, il devient intime avec Chapelle et s'introduit auprès du précepteur de ce dernier, Pierre Gassendi, un chanoine de l’Église catholique, qui tente de concilier l’atomisme épicurien avec le christianisme, dont il devient le disciple. C'est également sans doute à cette époque, qu'il aurait mis en fuite une centaine de spadassins pour défendre le poète François Pajot de Lignières, près de la porte de Nesle, et qu'il refuse, par haine de la « sujétion », de prendre du service auprès du maréchal Jean de Gassion.  

Cyrano s'engage dans la carrière littéraire. Son Pédant joué est représenté en 1646, sa Mort d'Agrippine, en 1653 et elle fait scandale. Avant même leur parution, ses œuvres circulent sous une forme manuscrite. On prétend qu'il a rencontré Molière. Même si ce n'est pas le cas, ce dernier lui a emprunté de nombreux passages, en particulier une scène de son Pédant Joué. Les œuvres les plus éminentes de Cyrano sont L’Autre Monde : l’Histoire comique des Estats et empires de la Lune (1657) et L’Histoire comique des Estats et empires du Soleil, inachevée à sa mort, qui décrivent des voyages fictifs vers la Lune et le Soleil. Inventives, souvent ingénieuses, et parfois enracinées dans la science, les méthodes de voyage spatial que décrit Cyrano reflètent la philosophie matérialiste dont il était adepte. L’objectif principal de ces romans de science-fiction était de critiquer de façon subtile la physique traditionnelle d'inspiration aristotélicienne, notamment le géocentrisme, et le point de vue anthropocentrique de la place de l’homme dans la création, ainsi que les injustices sociales du XVIIe siècle. Comme en témoignent les divers manuscrits existants, la version de L’Autre Monde parue après la mort de Cyrano a été mutilée pour satisfaire la censure.  

Cyrano, décrit par maints auteurs comme homosexuel, devient probablement, vers 1640, l’amant de l’écrivain et musicien D’Assoucy, avant de rompre brutalement en 1650. Lorsque leur relation se transforme en amère rivalité, Cyrano adresse des menaces de mort à D’Assoucy, qui l’obligent à quitter Paris. La querelle prend alors la forme d’une série de textes satiriques. En 1653, à bout de ressources, il accepte la protection du duc d'Arpajon, qui l'aide à publier l'année suivante chez Charles de Sercy ses Œuvres diverses et La Mort d'Agrippine.  

Cyrano est blessé, en 1654, par la chute d’une poutre en bois alors qu’il entrait dans la maison de son protecteur, le duc d’Arpajon. On ignore s’il s’agit d’une tentative délibérée contre sa vie ou simplement d’un accident, de même qu’il est impossible de déterminer si sa mort est ou non la conséquence de cette blessure, ou d’une raison non précisée. Abandonné par le duc d'Arpajon, il trouve refuge chez Tanneguy Renault des Boisclairs. Le 23 juillet 1655, il se fait transporter à Sannois, dans la maison de son cousin Pierre de Cyrano, trésorier général des offrandes du Roi, où il meurt le 28 juillet, à l'âge de trente-six ans. Il est inhumé dans l’église de Sannois.

A lire : L'Autre Monde ou les Estats et Empires de la Lune et du Soleil (Classiques Garnier, 1933),  Œuvres diverses (Classiques Garnier, 1933),  Voyage dans la Lune, illustré de vingt eaux fortes originales de Lucien Coutaud (éd. Philippe Lebaud, 1971), Œuvres complètes (Belin, 1977), Œuvres complètes, tome I : L’Autre Monde ou les États et empires de la lune. Les États et empires du soleil. Fragment de physique (éd. Champion, 2001), Tome II : Lettres. Entretiens pointus. Mazarinades (éd. Champion, 2001), Tome III : Théâtre : Le Pédant joué ; la Mort d’Agrippine (éd. Champion, 2001).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier: THÉRÈSE PLANTIER, UNE VIOLENTE VOLONTÉ DE VERTIGE n° 36