Hwang CHI'U
L'histoire contemporaine sud-coréenne de l'après-guerre est douloureusement marquée par la dictature pro-américaine (de 1946 à 1992), œuvrant dans un climat frénétique d'industrialisation et de répression de toute liberté ou opposition au régime. Entre assassinats, massacres, tortures ou emprisonnements arbitraires, les poètes ne furent pas épargnés. Hwang Chi'u est une voix majeure de la poésie coréenne. Son univers est bien sûr fortement imbibé des plaies de son pays. Né en 1952 dans la province du Chôlla (Corée du Sud), à Haenam, dans une famille pauvre, issue d’une communauté déshéritée et ostracisée depuis mille ans, Hwang Chi’u réussit l’exploit d’entrer à l’université nationale de Séoul (philosophie). Il est arrêté lors d’une manifestation et envoyé à l’armée. Il commence à écrire, mais il est à nouveau arrêté et torturé un mois pendant les événements de Gwangju (du 18 au 28 mai 1980; action révolutionnaire glorieuse dans le mouvement d'opposition à la dictature militaire brutale du général Chun Doo-hwan, qui avait été placé au pouvoir par un coup d'État militaire orchestré par les États-Unis, après avoir renversé le gouvernement du président Choi Kyu-hah et imposé la loi martiale en Corée du sud en mai 1980. Des milliers de civils furent tués et près de 15 000 personnes furent blessées. Plus de 1500 personnes furent faites prisonnières et plusieurs d'entre elles furent torturées, pour s'être opposées à la dictature militaire appuyée par les États-Unis et pour avoir revendiqué leurs droits. Le soulèvement de Gwangju a porté un coup décisif à l'impérialisme américain dans la péninsule coréenne et il a marqué un point tournant dans la lutte collective du peuple coréen pour affranchir la partie sud de sa nation de l'occupation militaire américaine. Ce fut aussi un moment décisif pour l'édification de réformes démocratiques et pour mettre fin aux dictatures militaires installées en succession par les États-Unis dans la partie sud. Après les événements de Kwangju, Hwang Chi’u est expulsé de l’université nationale, avant de parvenir à intégrer l’université Sogang. Il a, depuis, publié six recueils et enseigné dans diverses facultés. Hwang Chi’u est aussi un sculpteur réputé. Il organise des spectacles de poésie-théâtre: Même les oiseaux quittent ce monde, Le journal d’un canapé obèse et La mariée au mois de mai (sur gwangju). La situation de Hwang Chi’u, malgré la reconnaissance de son œuvre, est toujours compliquée, puisqu’il a exclu de l’université nationale des arts de Corée (le conservatoire), en raison de ses prises de positions contre le gouvernement sud-coréen. « Lorsque le poète va en prison la vérité aussi va en prison », a écrit Hwang Chi’u. Les poèmes de Hwang Chi’u sont visionnaires. Il n’est pas seulement le visionnaire d’un futur sombre, mais aussi d’un avenir meilleur. Le poète ne se contente pas d’attendre cet avenir meilleur, qui n’en finit pas de venir. Hwang Chi’u, à l’instar de la poésie coréenne, est en prise avec la réalité. La définition qu’en donne Kim Sakkat (1807-1863), poète errant et légendaire (dans le roman Le Poète de Yi Munyôl), illustre bien la vision de la poésie comme instrument de la pensée confucianiste. Selon Kim Sakkat, la poésie est : « le moyen par lequel les supérieurs enseignent à leurs inférieurs, les inférieurs relèvent de façon détournée les fautes de supérieurs. (…) par quoi critiquer l’orientation des supérieurs quand elle est mauvaise. » Mais enfermer les œuvres de Hwang Chi’u dans le message politique serait tomber dans un schéma simpliste. Admettons ce lien direct et évident de la poésie de Hwang avec la réalité historique. Mais on ne peut pas dire non plus qu’une œuvre littéraire a seulement pour but d’avouer la conscience du péché des intellectuels ou reconstituer les faits réels tels qu’ils sont, comme le dit Choi Junho, à propos de la pièce La Mariée du mois de mai. Hwang Chi’u lui-même affirme : « Une œuvre littéraire où manque le côté purement littéraire n’est pas souhaitable, même si la conscience politique de l’écrivain est juste, car elle peut empêcher le mouvement progressiste de la société, recherché justement à travers la littérature. Le langage du poète n’est pas celui de la réalité, même dans un réalisme extrême du langage politique. Dans le langage apparemment ordinaire, il y a un langage poétique, propre à chaque écrivain et à chaque œuvre. Dans une œuvre littéraire, que ce soit la poésie, le roman ou le théâtre, il y a un continu du mouvement du langage poétique qui est la voix même de l’auteur. » C’est cette voix, cette respiration ou ce souffle en mouvement qui devient, la poétique même de l’œuvre littéraire. Si réalité politique il y a, dans la poésie de Hwang Chi’u, elle ne passe pas seulement dans les mots ou dans les allusions politiques. Si la vérité parle toujours, c’est aussi, et surtout, à travers le silence ; ce silence, rendu dans notre traduction par des blancs entre les mots, parle autant que ces derniers. Car les blancs ne sont pas l’oubli ou l’absence de ponctuation, mais un silence dans un mouvement de la parole du poète : Le blanc joue donc un rôle rythmique dans la ligne comme dans le verset. Le blanc n’est pas une absence de ponctuation. En ce sens, le blanc est une ponctuation. Comme un silence, quand on parle. Le trouble et l’inquiétude du poète devant la réalité politique lui font perdre la maîtrise de la respiration et l’empêchent de parler commodément ; sa voix est entrecoupée, hésitante. Son souffle est haletant, parfois suspendu. Ces ruptures de la respiration entre les lignes, entre les mots marquent l’état de malaise du poète. Cho Soo-Mi a présenté Hwang Chi'u et traduit ses poèmes, dans Les Hommes sans Épaules et dans la revue internationale d'études coréennes (dirigée par Patrick Maurus et édité par les éd. Librairie-Galerie Racine, puis par L'Harmattan, pour la deuxième série) Tan'gun n°1 (2001).
Cho SOO-MI
POUR LES JOURS SANS RÉPONSE 2
en toutes saisons, c’était un temps condamné
c’était un temps sans fête, sans guirlande
ce temps-là fou cérémonie de baptême aveugle et déchaîné -
à côté des forsythias nous
avons reçu des tornades d’eau devant les azalées
nous avons reçu des tornades de larmes,
nous avons perdu notre nationalité et
nous sommes devenus daltoniens de l’idéologie et
la fumée épaisse, derrière les azalées qui semblaient suffoquer
illusionnistes insensés
nous étions des illusionnistes, suivistes impurs toussant sans cesse,
nous étions des idéalistes dangereux nous ne pouvions
lever la main une fois
nous ne pouvions crier une fois,
sceptiques agités qui observions
comme un film au ralenti les silhouettes emportées
dehors bouquet par bouquet, c’était un temps d’un état de coma
Hwang CHI'U
(Poème traduit du corée par Cho Soo-Mi. In Les HSE n°15, 3ème série, 2003).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : LES POETES DANS LA GUERRE n° 15 |