Jean-François MATHE
Jean-François Mathé est né le 30 mai 1950 à Fontgombault (Indre). Après avoir fait ses études de Lettres à la faculté de Poitiers, il devient professeur de lettres. Il enseigne au collège de Loudun durant deux ans, puis au lycée de Thouars, comme professeur agrégé en Lettres modernes, dans les Deux-Sèvres : « Je voudrais tout de même ajouter que si je n’ai pas à proprement parler « choisi » ce lieu, il me convient parfaitement. C’est une région de beaucoup de ciel, de beaucoup de vent. Une région glissante, de peu d’enracinement. On y éprouve une sensation d’ouverture sur les éléments, mais sans que cela soit spectaculaire. L’influence océanique marque le ciel. J’aime beaucoup ces passages de lumière quand on va du Poitou vers la Charente. Beaucoup plus que dans mon Berry natal, où les haies viennent clore le paysage, j’éprouve ici une sensation d’ouverture. Les variations du ciel y sont très subtiles, entre nuages et éclaircies. On y peut bien voir que tout n’est que passage. »
La découverte de l'œuvre de Paul Éluard, pendant son adolescence, puis de celles de Philippe Jaccottet, Jacques Dupin, René Char, Yves Bonnefoy, sont des influences déterminantes pour son engagement dans la poésie et l’écriture.
« La poésie, nous dit Jean-François Mathé, a introduit dans ma vie un grand dégoût de la comédie sociale. Elle m’a aidé à découvrir que l’essentiel est intérieur. Loin des gesticulations. Est-elle une cause ou une conséquence ? Je pense quand même que la poésie me permet de rester en retrait de la comédie sociale, tout en étant heureux. Elle m’apporte ma dose de méditation…. Le poème est une vitre que ne fabriquent pas les vitriers. Grâce à lui, on peut voir du dehors vers le dedans et vice versa. Découvrir des paysages qu’on n’aurait pas imaginés. Mais dans ce motif de la transparence, il y a peut-être aussi un idéalisme mal digéré : ce souhait que tout aille mieux, qu’on puisse remédier à l’incommunicabilité, ménager des circulations entre l’intérieur et l’extérieur… Il n’y a chez moi aucune dimension religieuse. Je me situerai plus dans la lignée de poètes comme René Char ou Yves Bonnefoy. Je crois en fait que l’homme est actuellement inaccompli. Le seul dieu que l’homme pourrait mériter, c’est lui-même, en mieux. Il s’agit de se porter à l’extrême de soi-même. »
Il commence à écrire vers 1968 (« Ça s’est dégagé progressivement, au moment où je me suis aperçu que l’écriture me devenait nécessaire, non plus seulement en tant que forme, mais en tant que substance. Une écriture qui dégage ma substance »), et la rencontre déterminante avec son éditeur René Rougerie le convainc de poursuivre. A côté de l’écriture poétique, Jean-François Mathé se consacre, surtout entre 1970 et 1985, au dessin d’humour, politique ou non : des dessins paraîtront dans différents périodiques dont Télérama, La Vie, Tribune Socialiste, entre autres. Il publie des chroniques dans la revue Friches, dont il est membre du comité de rédaction, à compter de 1999.
Jean-François Mathé est décédé le 29 novembre 2023 à Faye-l’Abbesse (Deux-Sèvres), à l’âge de 73 ans.
Karel HADEK
(Revue Les Hommes sans Epaules).
À lire :
J’ai demain pour mémoire, J. Millas-Martin, Paris, 1971.
L’Inhabitant, Rougerie, Mortemart, 1972.
Instants dévastés, Rougerie, Mortemart, 1976.
Ou bien c’est une absence, Rougerie, Mortemart, 1978.
Mais encore, Rougerie, Mortemart, 1981.
Navigation plus difficile, Rougerie, Mortemart, 1984.
Contractions supplémentaires du cœur, Rougerie, Mortemart, 1987, prix Antonin-Artaud 1988.
Corde raide fil de l’eau, Rougerie, Mortemart, 1991.
Saisons surgies, Rougerie, Mortemart, 1993.
Sous des dehors, Rougerie, Mortemart, 1995.
Passages sous silence, livre d’art illustré par Minons Meininger, éd. Maldoror, Berlin, 1996.
Le temps par moments, Rougerie, Mortemart, 1999, prix du Livre en Poitou-Charentes 1999.
Le ciel passant, Rougerie, Mortemart, 2002, prix Kowalski de la ville de Lyon.
Agrandissement des détails, Rougerie, Mortemart, 2007.
Chemin qui me suit précédé de Poèmes choisis 1987-2007, Rougerie, Montmart
La vie atteinte, Rougerie, Mortemart 2014.
Retenu par ce qui s'en va, Folle avoine, 2016.
Vu, vécu, approuvé, Le Silence qui roule, 2019
Extraits
Dans Le Ciel passant, 2002, éditions Rougerie
Un ciel à fond plat glisse sur le fleuve. Le matin gris n’a rien tranché entre la nuit et le jour. Et je me suis réveillé sans renaître, cueilli dès le premier de mes pas par une grande main de brume qui m’emporte de rue en rue. Des murs longés surgiras-tu, qui que tu sois, vivant visage ? Je te retiendrai dans mes mains, loin de ton corps qui marche dans une chambre à petits bruits d’os et d’horloge.
Dans Agrandissement des détails, 2007, éditions Rougerie
A coups de lumière froide, février taille les jardins jusqu’à l’essentiel. On a l’impression d’y grandir par le silence et la pureté, par des enjambées matinales qui ont gardé du sommeil le pouvoir de tout traverser sans rien abîmer au passage. Et l’on irait longtemps ainsi, du clair au plus clair encore, si les cris des corbeaux ne tiraient soudain du silence les lambeaux de ce qui a secrètement pourri sous le temps.
Dans Chemin qui me suit, 2011, éditions Rougerie
La rose au cœur m’est venue
comme après un coup de feu.
Je n’en suis pas mort
mais je vis désormais
au-delà de mes forces,
à porter cette rose
jusqu’au mystérieux jardin qui l’attend,
hors et loin de moi.
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Dans la maison éteinte
seule la clarté de la lune,
à travers la fenêtre
nous enlève le plus lourd de nos vêtements d’ombre.
Restent les autres,
serrés autour du froid du dedans,
autour de la fatigue qui plie le corps aux moindres chaises.
Et sur la moindre chaise nous nous asseyons
pour écrire aux absents des lettres
dont les longues phrases vont de la page à la neige.
(à la mémoire de René Rougerie)
Jean-François Mathé
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : LES POETES DANS LA GUERRE n° 15 |