Jean-Pierre LESIEUR

Jean-Pierre LESIEUR



Jean-Pierre Lesieur est né le 2 octobre 1935, à Paris, dans un milieu modeste, ouvrier qu’il ne reniera jamais, pas plus que sa classe sociale, le prolétariat, bien au contraire. Son enfance n’est pas idyllique, marquée par l’éthylisme du père, la violence, la pauvreté, l’injustice sociale… Jean-Pierre Lesieur est orienté vers l’enseignement technique. Il devient apprenti et ensuite mécanicien de moteurs d’avions, à Air France, puis, rupture radicale (l’Éducation nationale recrute massivement, y compris dans les rangs du prolétariat en raison du baby-boom), instituteur et enfin directeur d’école, à Maisons Alfort et à Charenton. Durant tout ce temps, il se construit et se forge une culture en autodidacte.

Tôt, les poètes et la poésie lui sont autant de bouées, avant qu’il ne trouve lui-même sa voix : J’étais poète - du moins l’aurais-je cru. – Poignée de sable dans le poing serré - Petit O.S. perdu dans la migration des averses - Enfant mort-né d’une famille inutile - Maquilleur d’un jour pour des masques au rebut - Mouton à cinq pattes - jeté à l’admiration glacée des foules - au regard distrait des piétons en dérive… Il se nomme lui-même : L’O.S. des lettres et enfin Ouvrier poète revuiste ! L’ouvrier spécialisé des lettres, c’est Jean-Pierre Lesieur, qui écrit encore un Manuel de survie pour un adulte inadapté qui sait de quoi il écrit. L’O.S. des lettres, c’est Jean-Pierre Lesieur, le poète écriveur, révolté, blessé, généreux, fraternel et humble à la fois (« Je ne laisserai probablement pas une trace très profonde dans la poésie mon principal mérite étant d’avoir publié des poètes en revue durant plusieurs décennies, et les quelques recueils que j’ai publiés dans les intervalles n’ont pas dépassé les bornes de la confidentialité. Je ne suis pas un poète majeur de l’époque et c’est tant mieux »), qui nous dit : « Je ne suis ni poète, ni romancier, ni nouvelliste, ni journaliste, je n’ai pas les moyens d’être tout cela, pas même un intellectuel. Je rends compte, au mot par le mot, même s’il ne sonne pas toujours juste. Je rends compte de tout et de rien. Je tue les mots pour leur faire à nouveau confiance. Situation absurde qui demande un essai baroque, un fouillis inextricable d’où l’on resurgit blessé, amoureux, fou ou magnifié. Viens, lecteur, lectrice, car tu es aussi inadapté(e) que moi à ce monde qui va trop vite dans son éblouissement, prends ma main à plume et parcourons ensemble ce sentier escarpé… » C’est dit ! Et c’est en poète-ouvrier qu’il fabrique lui-même ses revues.

Jean-Pierre Lesieur est l’un des cofondateurs, avec Jean Chatard, Robert Momeux, Michel Héroult, Suzanne Le Magnen et Guy Malouvier, de la revue Le Puits de l’Ermite, (en référence à la place du Puits-de-l’Ermite qui jouxte le café-théâtre la Vieille Grille, un des premiers sinon le premier à Paris, dans lequel se réunissent les animateurs ayant décidé de s’unir pour fabriquer leur revue : 30 numéros, 1965-1976), avant de créer la revue Le Pilon (28 numéros de 1976 à 1982), de conception artisanale et entièrement composée à la casse, tirée sur une ronéo : « La fabrication à la main, composition/décomposition, était un travail de Romain, qui me prenait tous les congés scolaires et une partie de mes loisirs et plus fastidieux et long encore, le tirage feuille à feuille sur la presse manuelle. Je décidais donc au numéro 8, de continuer la composition mais de m’adjoindre une ronéo pour le tirage ce qui me facilita bien la vie. » Et enfin bien sûr la revue Comme en poésie, en 2000, (« une revue indépendante de tous les pouvoirs, sauf le mien »), qui compte à ce jour 86 numéros : « La retraite arrivant, je me dis que c’était le moment rêvé pour repartir de plus belle et ce fut Comme en poésie. Une nouvelle aventure revuistique pour laquelle je me donnais des moyens plus importants en matériel. L’achat d’un photocopieur, d’un ordinateur et les moyens modernes de composition, d’un massicot costaud, d’une taqueuse, d’une rainureuse et de serre-joints d’occasion pour relier manuellement, ce qui me fut permis financièrement au fur et à mesure que je recevais des abonnements. J’assumais totalement ma situation de poète artisan. »

De cette œuvre-vie, Jacques Morin écrit (in revue Décharge n°157, 2013) : « Jean-Pierre Lesieur superpose plusieurs sédiments linguistiques dans son millefeuilles de poésie : un côté gouailleur et volubile, du fait de ses origines prolétaires et parisiennes qu’il aime perpétuer, J’ai la langue bien pendue des bûcherons du verbe, c’est sa tendance Prévert, avoue-t-il, une base lyrique qui se perçoit dans la reprise et le leitmotiv, une fibre polissonne jamais démentie qui donne de la verdeur à ses vers, des fulgurances surréalistes dans l'estomac des lacs sous la panse des barques, c’est son versant Eluard, confie-t-il... Jean-Pierre a deux écritures nettement distinctes qu’il mélange et croise à l’envie : le poème versifié et le poème en prose. Lequel lui permet d’être davantage narratif et de raconter les petites histoires de la grande histoire, les anecdotes capitales et les événements caricaturaux. Sans doute plus adéquat pour ouvrir les vannes humoristiques : II fut de bon ton, à une certaine époque, chez les gens du monde, d’avoir SON POÈTE dans les soupers fins et les sauteries intellectuelles. De nos jours (les vôtres comme les miens) on le loue seulement si un extra aux petits fours se décommande à la dernière minute... Mais le jeu de mots densifie l’effet : les lois du talion d’Achille. Roi du calembour et de l’anaphore, cette strophe enfin où se marient grande malice et petit désespoir, comme une signature : Le poète d’aujourd’hui sait que le désert avance sur cette planète et sait qu’il est mieux préparé que les autres depuis qu’il y prêche.

Jean-Pierre Lesieur, artisan, écriveur, revuiste et poète, tout en un. » À l’âge de 86 ans, Jean-Pierre Lesieur publié assurément l’un de ses meilleurs livres de poèmes. Au début du XIIIe siècle, nous rappelle Bruno Sourdin, « deux poètes d’Arras, Jean Bodel et Adam de la Halle, créèrent un genre poétique, les Congés, qui eut un retentissement considérable. En faisant leurs adieux au monde, ils ouvrirent la voie à une poésie personnelle qui annonçait la grande poésie lyrique médiévale : Rutebeuf, Villon). C’est cette tradition que reprend, dans un très émouvant recueil, le poète Jean-Pierre Lesieur, avec un titre qui va droit au but : La Dernière ballade du vieux poète. » Lesieur nous dit : « C’est certainement le dernier recueil de poèmes que je vais écrire et publier. L’incertitude quant à ma longévité physique morale et fringante me fait prendre ce pari. Ainsi va la vie qu'elle a toujours une fin et pour tout le monde même les poètes. » C’est à la fois grave, poignant et juste de vie et de vérité et drôle aussi (la touche Lesieur), avec l’humour, la dérision, l’autodérision, comme cannes épées et respiration. Et, une fois de plus, quelle humanité ! Ça, même le fait de vieillir, ne lui a pas été retiré. Bref, c’est « un chapeau bas – coup de chapeau » que mérite le « vieux » poète ; que les « jeunes » en prennent de la graine ! Jean-Pierre Lesieur signe un livre sans équivalent, si ce n’est Un octogénaire plantait (Librairie-Galerie Racine, 1998) de notre Pierre Chabert. Et le Et mourir (L’Harmattan, 2021) du poète normand Jean-Pierre Bigeault. Être poète artisan, pour Jean-Pierre Lesieur (qui vit et travaille à Hossegor, dans les Landes, au bord du lac), c’est une liberté de ton, de choix et de mieux vivre en poésie.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

À lire : Premiers pas (Grassin, 1959), L’envers de la lorgnette (Oswald, 1961), Manuel de survie pour un adulte inadapté (Guy Chambelland éditeur, 1973), L’O.S des lettres (l’Athanor éditeur,1975), Ballade bitume (Le dé bleu éditeur, 1985), Un couvercle dans le bol (Décharge/Quintefeuille, 1983), Petit plus (Travers n°43, 1991), Suzette (HC, 1994), Dérisoire, journal 35/45 (HC, 1996), L’animal poétique et ses munitions (Gros textes, 1998), Infarct (Polder, 1999), Olga saudade for ever (Gros Textes, 2000), Manuel de survie pour un adulte inadapté, deuxième édition remaniée (Gros textes, 2003), Mon papa m’a dit (Comme en poésie, 2004), L’O.S des lettres, deuxième édition remaniée (Gros Textes, 2005), Le mangeur de lune, dérisoire journal d’un petit poète (Comme en poésie/Les Amis du lac 2006), L’animal poétique et ses munitions, deuxième édition remaniée et augmentée (Gros textes, 2008), Zébane Fanfreluche, un doudou au fond d’un sac de dame (éditions de l’Atlantique, 2008), Minute papillon (Comme en poésie, 2010), Portes ouvertes ou rouges, essai (Gros Textes 2010), Triple A, poèmes fric (Comme en poésie, 2011), Saga des pronoms IL/ELLE, l’amour n’a pas d’âge (Comme en poésie,  2011), Faits divers, poèmes policiers (Comme en poésie, 2011), Hossegor sur lac (Comme en poésie, 2012), Saga des pronoms il-elle (Comme en poésie, 2012), Minute papillon (Comme en poésie, 2012), Ne pas oublier, aphorismes (Comme en poésie, 2013), Ma muse s’amuse (Comme en poésie, 2014), Manuel du savoir mourir à petits feux dans la plus pure poésie (Comme en poésie, 2016), Ouvrier poète revuiste, une vie, 3 volumes (Comme en poésie 2018-2019), La Dernière ballade du vieux poète (Gros Textes/Comme en poésie, 2021).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Edouard J. MAUNICK, le poète ensoleillé vif n° 53