Juan GELMAN

Juan GELMAN



Le poète argentin Juan Gelman, né le 3 mai 1930 à Buenos Aires, s’est éteint, des suites d’un cancer le 14 janvier 2014 à Mexico, à l’âge de 83 ans. Sa vie fut vie pavée de deuils et d'exils mais aussi de convictions humanistes inébranlables et d'âpres luttes contre les dictatures d'Amérique latine. Prix Cervantès en 2007, Juan Gelman a également reçu le prix Alain Bosquet-étranger 2013, pour son livre L'Amant mondial (Caractères). Considéré comme l’un des plus grands poètes sud-américains, Juan Gelman était l’un des seize correspondants étrangers de l’Académie Mallarmé.

Juan Gelman était le troisième enfant d'immigrants ukrainiens. Militant du Parti communiste, il est emprisonné en 1963. Dès lors son destin est lié à l’histoire de son pays. Le coup d’État du général Videla en 1976 contraint Juan Gelman, poète du déracinement, à l’exil. Après un long périple, il s’installe en 1988 au Mexique. Devenu poète du déracinement, il dut patienter de longues années avant de pouvoir retrouver son pays, où la justice avait émis un mandat d'arrêt à son encontre pour avoir appartenu au groupe de guérilla péroniste Montoneros. Une attente douloureuse, car son fils Marcelo, alors âgé de vingt ans, a été assassiné d'une balle dans la nuque sous le régime de la junte militaire (1976-1983), et sa belle-fille, Maria Claudia Garcia, âgée à l'époque de dix-neuf ans et enceinte, fait partie des milliers de disparus de la dictature. Enlevée à Buenos Aires en 1976, elle fut emmenée en Uruguay dans le cadre du plan Condor, né d’une initiative du Chili de Pinochet et qui a permis aux dictatures au pouvoir dans les années 70 en Amérique du Sud d’organiser une véritable internationale de la répression. Les militaires chiliens, argentins, brésiliens, uruguayens, boliviens, péruviens et paraguayens échangeaient des informations pour faire arrêter, torturer ou tuer des opposants chez leurs voisins.

Ce n'est qu'en 1990, à la faveur d'une amnistie du président Carlos Menem, que Juan Gelman put mettre un terme à ses pérégrinations dans de nombreux pays, principalement en Europe. « Ils m'échangent contre les kidnappeurs de mes fils », avait fustigé le poète à l'époque de cette amnistie controversée accordée aux militaires, finalement déclarée inconstitutionnelle en 2007. Mis au courant en 1977 de la naissance de sa petite-fille en Uruguay, le poète se lança dans de laborieuses recherches qui n'aboutiront que vingt-trois ans plus tard, avec la découverte de Macarena, qui avait été donnée dès sa naissance à la famille d’un policier uruguayen. La jeune fille décida alors de reprendre le nom de ses véritables parents. En revanche, Juan Gelman ne retrouva jamais le corps de sa belle-fille. Gelman a « transformé les blessures en vers mémorables ».

Tour à tour tendre, violente, blessée, inventive et fraternelle, la poésie de Juan Gelman est traversée d'enfers et de fulgurances. « Chez cet homme dont on a décimé la famille, qui a vu mourir ou disparaître ses amis les plus chers, nul n'a pu tuer la volonté de dépasser cette somme d'horreurs en un choc en retour affirmatif et créateur de vie nouvelle. Peut-être le plus admirable de sa poésie est-il cette presque inconcevable tendresse là où serait beaucoup plus justifié le paroxysme du refus et de la dénonciation, cette invocation à tant d'ombres venue d'une voix qui apaise et soulage, une incessante caresse de mots sur des tombes inconnues. Chaque diminutif, chaque prénom prononcé comme on berce ou comme on console, rend plus profonde encore l'inguérissable dénonciation de ces innombrables morts que nous sommes si nombreux à porter comme un albatros au cou enchaîné sans savoir les tourner vers la lumière » a témoigné Julio Cortázar en 1981. Jacques Ancet, qui l’a traduit en français écrit pour sa part : « Chez cet homme dont on a décimé la famille, qui a vu mourir ou disparaître ses amis les plus chers, nul n'a pu tuer la volonté de dépasser cette somme d'horreurs en un choc en retour affirmatif et créateur de vie nouvelle. Peut-être le plus admirable de sa poésie est-il cette presque inconcevable tendresse là où serait beaucoup plus justifié le paroxysme du refus ... »

Karel HADEK

(Revue Les Hommes sans Epaules).


Œuvres de Juan Gelman en français : Le silence des yeux (éd. du Cerf, 1981), Les poèmes de Sidney West (Les Cahiers de Royaumont, 1997), Obscur ouvert, anthologie (PHI/Écrits des Forges, 1997), Lettre à la mère (Myriam Solal, 2002), Salaires de l’impie (PHI/Écrits des Forges, 2002), L’Opération d’amour (Gallimard, 2006), Lumière de mai Oratorio (Le Temps des cerises, 2007), Lettre ouverte suivi de Sous la pluie étrangère (Caractères, 2011), L'Amant mondial (Caractères, 2012), Com/positions, trad. (Caractères, 2013), Vers le sud et autres poèmes (Poésie/Gallimard, 2014).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier: ROGER KOWALSKI, A L'OISEAU, A LA MISERICORDE n° 38