Pierre QUILLARD
« De la fin du XIXe siècle à la Grande Guerre, les massacres des Arméniens ne se sont pas déroulés dans l’ignorance et l’indifférence. Très tôt, ceux que l’on appellera, à partir de l’affaire Dreyfus (1894-1906), les « intellectuels », se sont mobilisés pour la défense des victimes, au Parlement, dans la presse, au cours de réunions publiques. Dans la liste des grandes figures arménophiles qui seront souvent aussi des dreyfusards, on peut citer Jaurès, Clemenceau, Anatole France, Péguy, etc. L’une des personnalités centrales du mouvement est Pierre Quillard, indissociable du journal Pro Armenia, dont il fut la cheville ouvrière de 1900 à 1908 », écrit la journaliste Agnès Vahramian (in Revue d’histoire de la Shoah, 2003).
Poète symboliste, journaliste, socialiste, arménophile et dreyfusard, Pierre Quillard (né en 1864, à Paris) est l’un des tous premiers et grands défenseurs du peuple arménien massacré dans et par l’Empire ottoman. En 1886, il fonde avec Rodolphe Darzens, Saint-Pol-Roux et Éphraïm Mikhaël la revue La Pléiade. Quillard écrit : « Le poème plongera toujours par ses racines obscures et douloureuses dans le noir enfer de la vie présente ; il sera nourri de ce que nous avons aimé, de ce que nous avons connu ou pressenti. Mais il jaillira pour nous-mêmes et pour autrui, hors de cette terre d’angoisse, comme une fleur prodigieuse, sans tige, planant dans l’éclatante lumière… Laissez-chanter ceux à qui échut cette grâce jusqu’alors si rare ; laissez-les chanter non pour en donner l’esprit de révolte mais afin que quiconque aura été affranchi un instant par leur parole étendue relève la tête et veuille demeurer libre. Et puisque les geôles sont trop solides et les géhennes trop avares, à d’autres heures, les porteurs de lyre prendront l’épée et la pioche. »
De 1893 à 1896, il part pour Constantinople, où il est professeur au Collège arménien catholique de Péra et à l’École centrale de Galata. Avec le poète arménien Archag Tchobanian, il recueille une série de témoignages sur les massacres hamidiens qu’il fera paraître en 1897. Tchobanian témoigne : « Le gouvernement turc sentit bientôt que cet homme qui ne professait que dans des écoles arméniennes, qu’on voyait si souvent en compagnie d’amis arméniens, devait être un personnage dangereux pour la sécurité du régime hamidien. Et un jour la police l’arrêta, l’ayant pris tout simplement pour un « agitateur » arménien. Quillard connut pendant quelques heures les douceurs de la prison turque ; comme il appartenait à une nation de ghiaours (infidèles) puissants, il fut relâché immédiatement sur les réclamations de l’ambassade de France, et le ministre de la police lui fit les plus plates excuses. »
De retour à Paris, Quillard témoigne, en septembre 1896 : « Un livre vient de paraître : Les Massacres d’Arménie, Témoignages des victimes (Mercure de France, 1896) : recueil de lettres écrites, sous l’impression même des événements, dans diverses villes et villages d’Anatolie, au cours des massacres organisés ou tolérés par le gouvernement turc et autorisés en fait par l’attitude des « grandes puissances européennes », pendant les mois d’octobre, novembre et décembre 1895. Selon les évaluations les plus modestes, environ 60.000 hommes, à peu près sans défense, ont été égorgés, pendus, brûlés, écorchés, dépecés, écartelés. Des documents officiels qui sont analysés en témoignent, avec l’impartiale concision des procès-verbaux. Mais dans les tragiques feuilles rassemblées ici, c’est le cri même de la détresse, la clameur de la chair souffrante qui surgit des pages muettes et obsède les oreilles. »
Quillard adhère à la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, dont il est secrétaire général de 1911 à 1912 et, dreyfusard, s’engage très activement dans l’affaire Dreyfus. Il dépose au procès Zola, explique qu’il y a la « chose vraie » au-dessus de la « chose jugée ». Ami intime de Bernard Lazare, il collabore au Journal du peuple. En octobre 1900, il fonde le bimensuel Pro Armenia (192 numéros en huit ans) qui soutient la cause arménienne et accueille dans ses colonnes des articles de Jean Jaurès, Anatole France, Francis de Pressensé ou Georges Clemenceau. Quillard déclare : « Ce n’est pas par hasard que Victor Bérard… et mon humble personne, nous nous sommes préoccupés les premiers en France des choses arméniennes… C’est parce que nous avons connu sur place le long martyre de ces populations que nous nous sommes intéressés à elles et, en racontant ce que nous avons vu, nous n’avons fait que notre devoir, nous avons dit la vérité. »
En 1904, Quillard retourne en Turquie où il est correspondant du journal L’Illustration. Pierre Quillard meurt en 1912, à l’âge de 47 ans. Lors de ses funérailles au Père-Lachaise, son cercueil est porté par des étudiants arméniens. Pierre Monatte écrit dans La Vie ouvrière : « La classe ouvrière perd en lui l’un des rares intellectuels qui, sans rien lui demander non plus qu’aux pouvoirs, font ce qu’ils peuvent et restent droits. »
Pierre Quillard est notamment l’auteur de L’Anarchie par la littérature (1892), La Lyre héroïque et dolente, Œuvre poétique (Mercure de France, 1897) La Question d'Orient et la politique personnelle de M. Hanotaux : ses résultats en dix-huit mois, les atrocités arméniennes, la vie et les intérêts de nos nationaux compromis, la ruine de la Turquie, l'imminence d'un conflit européen, les réformes, avec Louis Margery (Stock, 1897) ou Pour l’Arménie (Cahiers de la Quinzaine Paris, 1902).
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Daniel VAROUJAN & le poème de l'Arménie n° 58 |