Robert SABATIER
Né en 1923 à Montmartre, Robert Sabatier est âgé de huit ans, lors de la mort de son père. Il a douze ans, à la mort de sa mère. Son oncle, qui est typographe, près du Canal Saint-Martin, devient son tuteur et lui apprend les rudiments du métier. En 1936, le jeune Robert Sabatier travaille parallèlement à ses études. En 1940, lors de l’Exode, il rejoint Saugues, en Haute-Loire, où résident ses grands-parents. Là, en véritable autodidacte, il dévore littéralement la bibliothèque. A l’âge de vingt ans, Sabatier imprime des tracts contre l’occupant, refuse le S.T.O., et rejoint les maquisards.
À la Libération, il se marie à Roanne, travaille, reprend ses études et continue d’écrire des poèmes. En 1947, il fonde à Roanne une revue de poésie, La Cassette, où il publie entre autres : Éluard, Cadou, Bérimont, Rousselot, Fombeure. Il s’installe à Paris en 1950, travaille aux Presses Universitaires de France et fréquente assidument les poètes, dont Louis Aragon, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Jacques Prévert, Jean Follain, Michel Manoll, Marcel Béalu, Pierre Béarn, Jules Supervielle ou Alain Bosquet et Charles Le Quintrec.
En 1953, deux ans après Les Fêtes solaires, son premier livre de poèmes, Sabatier publie Alain et le nègre, son premier roman, qu'un long article, dans Les Lettres françaises, présente comme le premier roman français antiraciste. Huit mille exemplaires sont vendus. Sabatier reçoit les encouragements d’Albert Camus. Dès lors, alors qu’il devient directeur littéraire chez Albin Michel, Sabatier ne cessera de faire alterner romans, essais, poèmes. Il est l'auteur d'une cinquantaine de livres. « Scribe accroupi, vieux scribe écrivant son message, il me semble que mon geste d’écrire est de ceux qui désarment, qu’aux frontières du jour, à l’inconnu, je dédie un signe que je ne connais pas, mais qui vivra demain. Homme, que suis-je ? J’espère un langage, un langage m’espère et je le sens dans ma bouche, je le vois qui tremble au bout de ma plume. Tous les vieux mots confondent leur misère, mais s’ils meurent, je serai l’enfant de leur mort. Je tente de mettre au monde un peu plus que je n’ai reçu. J’attends un chant venu de plus loin que ma main, j’entends déjà la nuit dans le frémissement des branches, et je voudrais, avant l’arrivée du matin, livrer aux hommes un mot plus pur en moi que l’oiseau dans la houle », a écrit Robert Sabatier (in Les années secrètes de la vie d’un homme, 1984).
C'est en publiant en 1969, Les Allumettes suédoises, premier tome, d'une saga de huit volumes, achevée en 2007 avec Les trompettes guerrières, qu'il devient un des écrivains français les plus populaires de la deuxième moitié du XXe siècle (huit millions d'exemplaires vendus). Pour la plupart des lecteurs, Robert Sabatier reste à jamais « le romancier des Allumettes suédoises ». Mais, la grande affaire de sa vie, c’est la poésie, dont il est l’un des plus fins connaisseurs et serviteurs. Sa monumentale Histoire de la poésie française, son chef-d’œuvre, fait date. L’histoire nous dit qu’à l’époque où il travaillait comme livreur et voulant profiter d’un gros pourboire, le jeune Robert Sabatier entra dans une librairie pour y acheter une histoire de la poésie française. On lui répondit que cela n’existait pas. Il décida alors d’en écrire une. Un projet colossal, sur lequel il travailla pendant près de quarante ans, et qui parut en neuf volumes, entre 1975 et 1988. Poète, romancier, critique, essayiste, Robert Sabatier est décédé le 28 juin 2012, à Boulogne-Billancourt. Il était membre de l'Académie Goncourt et de l’Académie Mallarmé.
« J’affirme que Robert Sabatier fut surtout un anticonformiste et un érudit de la poésie d’autrui. Ainsi, même si, à force de vouloir être exhaustive, surtout pour le volume consacré à notre temps, sa monumentale Histoire de la poésie française tuait un peu trop vite certains poètes bien vivants, elle gardait une honnêteté absolue quand au jugement critique. Sabatier n’était pas mondain pour un sou. Selon moi, il incarnait l’antithèse d’un opportuniste. Un passionné, oui ! Un partisan, oui ! Un arriviste roublard, jamais… Certes, Robert Sabatier n’était pas, selon moi, et je mesure les risques de cette affirmation, un « grand » poète « moderne » ou « moderniste », un de ceux qui marquent une génération et lui laissent au cœur une empreinte durable. Sabatier le romantique s’était quelque peu enlisé du côté de l’académisme pâle à la Points et Contrepoints (c’était le titre de la très classique revue de Jean Loisy qui l’accueillit très tôt dans ses vénérables colonnes !), mais il s’avéra au fil des ans un érudit de la poésie d’autrui, un subtil et méticuleux historien, un militant, un brillant essayiste contre le prêt-à-penser des critiques de l’obscurantisme dernier cri. Et c’est sans doute cet aspect de son talent qu’il me plait de saluer avant tout. J’en tire prudence pour l’ici et le maintenant. »
Jean-Luc Maxence
« Ce n'est pas le romancier que je veux aborder aujourd'hui, au seuil d'un volume qui réunit son œuvre poétique complète, mais justement, en premier lieu, le poète, moins médiatisé sans doute, plus discret, mais qui n'en a pas moins échafaudé depuis Les Fêtes solaires, en 1955, un édifice de poésie dont on peut mesurer aujourd'hui la qualité et la solidité... Ce qu'il y a de particulier dans la poésie de Robert Sabatier, c'est qu'à la fois elle conte et elle chante. Elle conte comme elle respire le réel devenu légende, la légende qui devient réalité par la grâce du langage. Et si elle chante, ce n'est pas pour nous bercer ou nous verser dans l'artifice d'un rêve, c'est parce que ce chant possède l'art d'enchanter, enchanter comme on enfante, comme on invente un univers plus vrai que nature, parce que celui que l'on porte en soi contient une vérité pour les autres et pour tous. »
Charles Dobzynski
Claude ARGES
(Revue Les Hommes sans Epaules)
Bibliographie
Poésie (aux éditions Albin Michel) : Œuvres poétiques complètes (2005), Les Masques et le miroir (1998), Écriture (1993), Lecture (1987), L'Oiseau de demain (1981), Icare et autres poèmes (1976), Les Châteaux de millions d'années (1969), Les Poisons délectables (1965), Dédicace d'un navire (1959), Les Fêtes solaires (Janus, 1951. Réédition Albin Michel, 1955).
Proses, essais (aux éditions Albin Michel) : Diogène (2001), Le Livre de la déraison souriante, pensées et aphorismes, (1991), Histoire de la poésie française : Poésie du XXe siècle (3 volumes, 1982 -1988), Poésie du XIXe siècle (2 volumes, 1977), Poésie du XVIIIe siècle (1975), Poésie du XVIIe siècle (1975), Poésie du XVIe siècle (1975), Poésie du Moyen-Âge (1975), Dictionnaire de la mort (1967), L'État princier, Art et Création poétiques, (1961).
Romans, fictions (aux éditions Albin Michel) : Le Cordonnier de la rue triste (2009), Les Trompettes guerrières (2007), Olivier 1940 (2003), Le Sourire aux lèvres (2000), Le Lit de la merveille (1997), Les Allumettes suédoises, tome 1 (1996), Les Allumettes suédoises, tome 2 (1996), Le Cygne noir (1995), Olivier et ses amis (1993), Le Livre de la déraison souriante (1991), La Souris verte (1990), David et Olivier (1986), Les Années secrètes de la vie d'un homme (1984), Les Fillettes chantantes (1980), Les Enfants de l'été (1978), Les Noisettes sauvages (1974), Trois Sucettes à la menthe (1972), Les Allumettes suédoises (1969), Dessin sur un trottoir (1964), La Mort du figuier (1962), L'État princier (1961), La Sainte Farce (1960), Le Marchand de sable (1954), Alain et le Nègre (1953).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier: THÉRÈSE PLANTIER, UNE VIOLENTE VOLONTÉ DE VERTIGE n° 36 |