Rouben MELIK

Rouben MELIK



Rouben Mélik-Minassiantz est né le 14 novembre 1921 à Paris, dans une famille d’orfèvres arméniens, installée en France depuis 1883. Durant ses études de Lettres, il a notamment comme professeurs, Jacques Decour (écrivain et résistant, fusillé à 32 ans par les nazis, en 1942), le poète Paul Valéry, les philosophe Gaston Bachelard et Ferdinand Alquié, qui l’initie au surréalisme et lui fait lire Paul Eluard, qui deviendra son ami.

En 1940-1941, Rouben Mélik publie son premier livre Variations de Triptyques et écrit des poèmes diffusés clandestinement sous forme de tracts. La censure allemande refuse la publication de son livre Accords du monde et il lui interdit de faire une conférence sur la poésie à l’Université, en 1941. En 1942, année où il rencontre sa femme, Ella Kurdian (Il vient du temps des Oradours - Notre amour à jamais comme une litanie -  Où s'efface le chant où l'on mourut d’amour -D'avoir autant aimé la vie), il adhère au Parti communiste (« Cette fidélité (au PC) je la dois à mon passé, à mes espoirs, à ma jeunesse, à la lutte ensemble avec les camarades, ceux de la résistance, puis ceux des combats pour le pain, la paix, la liberté, comme une nécessité, celle de vivre et de croire ») et rejoint la Résistance : « La souffrance… La Torture… Notre époque a été marquée par les Oradour et on a vraiment senti en nous sans avoir été personnellement atteint dans sa chair, on a vraiment senti la peur. »

Rouben Mélik échappe au Service du travail obligatoire, mais doit servir l’administration, à la Préfecture de la Seine, où il subtilise des documents et des fichiers afin qu’ils ne tombent pas aux mains de l’occupant. Il entre en contact avec les résistants arméniens et les FTP (Francs-Tireurs Partisans) dans le sillage du groupe Manouchian. Pierre Seghers témoigne : « Parce qu'il était en ce temps-là, à vingt-deux ans poète débutant, la romancière et résistante arménienne Lass (Louise Aslanian), morte au camp de Ravensbrück en 1944, et qui fut la responsable de Rouben Mélik dans la Résistance, avait donné à celui-ci comme nom de clandestinité : Musset. »

En 1944, il est membre du Comité de Libération du 18e arrondissement de Paris et, en 1945, l’un des fondateurs de la Jeunesse arménienne de France, regroupant les associations arméniennes issues de la Résistance ; il en est le premier secrétaire national et dirige, de 1945 à 1950, le journal Armenia : Tout un peuple est en moi depuis l’événement - Que l’histoire a marqué comme un fatal emblème - Depuis la clameur sourde où s’éleva dément -Comme un chant de douleur le cri de l’anathème. Mélik est rédacteur à la revue Regards. Ella est costumière pour le théâtre. À la radio (ORTF), pendant une vingtaine d’années, il donne des chroniques littéraires hebdomadaires sur la poésie.

De 1971 à 1981, il est directeur littéraire de la maison d’édition Les Éditeurs français réunis (EFR, plus tard, Messidor, Temps Actuels). En 1973 paraît l’Anthologie de la poésie arménienne, sous sa direction aux EFR, où il crée une nouvelle collection de poésie : La petite Sirène. Mélik écrit à propos de sa poésie, qui relève d’un classicisme recomposé, revisité, utilisant les alexandrins, les octosyllabes ou les vers de six pieds : « Je crois de plus en plus en me relisant, en revoyant les choses qu’il y a un aspect architectural qui est très propre au peuple arménien. Il y a une volonté une alliance avec la pierre en Arménie. Il y a dans ma façon de m’approcher du verbe cette façon de s’approcher de la pierre. C’est de la tailler, tailler le verbe et de composer le verbe, composer le poème. Le surréalisme m’a apporté énormément et n’y a-t-il pas de ces images surprenantes dans ce que les Arméniens appellent la pierre : les pierres tombales sculptées jusqu’à l’infini et pour moi le langage c’est aussi ça, c’est aller jusqu’à l’infini dans la sculpture du langage. Toute ma vie j’ai cherché à faire de l’alexandrin un instrument de travail que je mène à ma guise, à ma façon. »

Rouben Mélik découvre l’Arménie de ses ancêtres en 1968 : « Ce pays que j’accueillis à ma naissance et qui forma le fond de toile de mon existence. » Il y retourne souvent jusqu’en 2003. En poésie, ses amis sont Paul Eluard, Pierre Seghers, René Rougerie, Alain Bosquet, Jean-Claude Renard, Charles Dobzynski, Jean Follain, Paul Chaulot, Eugène Guillevic, André Marissel, Jean L'Anselme, Robert Sabatier ou Francis Combes. Mélik et son épouse Ella mènent une vie modeste, à Paris 18, jusqu’en 1974, puis à l’Haÿ les Roses et à Dieppe, où Mélik séjourne depuis son enfance : « Comme je me sens bien à Dieppe ! Est-ce toute mon enfance qui m’envahit ? Ce pays est en moi. » Ella meurt en 1997 et Rouben Mélik la rejoint, le long des rues de Dieppe, le 21 mai 2007.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

Œuvres en français : Variations de triptyques (Les Cahiers de France, 1941), Accords du monde (Debresse, 1945), Passeurs d’horizons (Journal des Poètes, 1948), Madame Lorelei (Réclame, 1949), À l’Opéra de notre joie (Seghers, 1950), Christophe Colomb (S.N.E, 1952), Lynch (Seghers, 1954), Où le sang a coulé (Seghers, 1955), Le temps de vie (Rougerie, 1957), Le chant réuni (Seghers, 1959), Le veilleur de pierre (Oswald, 1961), Saisons souterraines (Rougerie, 1962), Le poème arbitraire (Rougerie, 1966), Le chant réuni II (Seghers, 1967), Ce corps vivant de moi (Temps Actuels, 1976), Christophe Colomb (Qui Vive, 1983), La Procession, Poésies 1942-1984 (Messidor, 1984), L’ordinaire du jour (Motus, 1989), Ce peu d’espace entre les mots (Europe/Écrits des Forges, 1989), Un peu de sel sous les paupières (Rougerie, 1996), En pays partagé, Poèmes 1989-1994 (Le Temps des cerises, 2000).

Site internet : www.amisroubenmelik.com.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Daniel VAROUJAN & le poème de l'Arménie n° 58