Sebastiao SALGADO

Sebastiao SALGADO



« Ce que j’ai pu voir tout au long de ma vie c’est cette incroyable relation entre la dégradation humaine et la dégradation de l’environnement. Elles sont complètement liées. Après de nombreuses années de voyage pendant lesquelles j’ai vu le malheur, j’ai commencé à perdre confiance et j’ai cru que l’espèce humaine fonçait droit dans le mur. À cause du fait que nous sommes des êtres rationnels, nous oublions que nous sommes des animaux, que nous faisons partie de la nature. Cette dichotomie des humains, l’éloignement du fait que nous sommes réellement nature et que nous faisons partie de la planète, a créé une grande complication pour les hommes », nous dit Sebastião Salgado, franco-brésilien né en 1944, qui est l’un des plus grands photographes de sa génération ; quasi une légende, à l’instar de ses photos.

Sur son art, Salgado poursuit : « La photographie n’est pas objective. Elle est profondément subjective. Ma photographie est cohérente éthiquement et idéologiquement avec la personne que je suis. Chacun photographie avec sa propre histoire. » Photographe du travail « de la Main de l’Homme », de l’humanité, des exodes, de la terre ; Salgado est un humaniste et voyageur infatigable, qui a travaillé dans plus de cent pays pour ses projets photographiques. Écologiste, il a - dans le domaine familial de Bulcão, près d’Aimorès au Brésil, avec sa femme Lélia Deluiz Wanick Salgado -, rendu à la nature et reboisé près de 700 ha de terres épuisées par des années d’exploitation. Son ONG « Instituto Terra » a, depuis avril 1998, élevée et plantée près de quatre millions d’arbres. L’institut propose également des programmes de sensibilisation et d’éducation à l’environnement.

Salgado témoigne : « Sous les tropiques, tout pousse vite. Le paysage s’est mis à reverdir. Des perroquets, des jaguars, des espèces animales qu’on croyait éteintes ont réapparu. Je voyais renaître le paradis de mon enfance, et la vie est revenue en moi. C’est alors que le projet de Genesis, sur la splendeur de la nature, a commencé à germer. Il me faudrait huit années pour le mener à bien, en 4 x 4, à pied, en montgolfière, en convois de mules, dans les sanctuaires les plus inaccessibles de la planète. »

Depuis les années 1970, et ses premières séries dans les mines d’or au Brésil, Salgado a couvert autant de thèmes que la sécheresse au Sahel, les famines, les paysans sans terre ou, encore, l’esclavage. Ses photographies ont illustré maints articles traitant du droit au travail, du droit à l’asile et de la liberté de pensée. Forêts tropicales, déserts, glacier, régions polaires, sont autant de paysages qu’il a traversés et donnés à voir.

Photographe, freelance à partir de 1973, il a fait partie en 1975 de l’agence Gamma, qu’il quitta en 1979, pour rejoindre Magnum Photos jusqu’en 1994. Avec sa femme, Lélia, Salgado a fondé en 1994 l’agence Amazonas Images, structure dédiée à son travail. Auparavant, en 1978, à la demande de la municipalité de La Courneuve, il a effectué un reportage sur la Cité des 4.000. En 1979, il a réalisé un travail sur la transhumance et les conditions de vie des immigrés en Europe.

De 1977 à 1984, Salgado a parcouru l’Amérique latine, visitant les villages montagnards les plus inaccessibles. Les photographies prises au cours de ce périple ont été publiées dans le livre Autres Amériques, en 1986. Il y évoque à la fois la persistance des cultures paysannes et indiennes et la résistance culturelle des Indiens de ce continent. Pendant les années 1984-1985, avec l’organisation Médecins sans frontières, il parcourt la zone du Sahel frappée par la sécheresse et la famine. Sa présence sur place au sein des camps de réfugiés lui permet de rapporter les images réunies en 1986 dans l’ouvrage Sahel. L’Homme en détresse. Il y montre le calvaire des victimes, la dureté de leurs conditions de vie et les dégâts causés à leur environnement.

Pendant six ans, de 1986 à 1992, il conduit un projet consacré au système de production mondial qui le mène dans vingt-six pays, sur tous les continents. II souhaite faire voir et comprendre l’évolution du travail manuel. Intitulé en français La Main de l’homme, l’ouvrage rassemblant le fruit de ces voyages sera publié en 1993. « Ma formation d’économiste me rendait sensible aux changements planétaires, ce que l’on appellera la globalisation. Dans le courant des années 1980, j’ai compris que la disparition du travail manuel était la grande histoire de notre époque. Je me suis alors concentré sur les pays « émergents », qui récupéraient les industries qu’on fermait en Occident. Militant dans l’âme, je me suis naturellement attaché à décrire la condition des plus défavorisés. J’ai dressé le portrait de gens exerçant des métiers particulièrement éprouvants – orpailleurs au Brésil, casseurs de bateaux au Bangladesh, ouvriers de la sidérurgie de l’ex-URSS… », rapporte Salgado. Les photographies de cette série exposées dans le monde entier figurent parmi ses œuvres les plus connues.

L’un de ses reportages, à la mine d’or de Serra Pelada, en 1986, montre les conditions de travail auxquelles 50.000 mineurs venus de tous horizons se soumettent chaque jour : « Quand je suis arrivé au bord de cet énorme trou, j’ai senti se dérouler devant moi, en quelques fractions de secondes, l’histoire de l’humanité, l’histoire de la construction des pyramides, la tour de Babel, les mines du roi Salomon. » La lutte menée par les paysans pauvres du Brésil donne lieu en 1997 à la publication de Terra. De par le monde entier, nombre d'événements politiques entraînent la migration de populations civiles.

Entre 1994 et 1999, Salgado effectue trente-six reportages sur cette question. Exodes, le livre qui les rassemble, paraît en 2000 : « Les guerres, les catastrophes climatiques participaient également à cette énorme réorganisation de la famille humaine. Je l’ai raconté dans Exodes. C’était aussi mon histoire de réfugié. En fait, tous mes travaux ont un lien très fort avec ma vie personnelle. » Publiés la même année, les Enfants de l’exode décrit le sort des enfants de ces populations déplacées, réfugiés ou migrants.

En 2004, Sebastião Salgado commence à préparer un nouveau projet, Genesis, qui est selon les propres mots de l’artiste, « une ode visuelle à la majesté et à la fragilité de la Terre ; un avertissement de tout ce que nous courons le risque de perdre ». Pour l’achever, Salgado a effectué trente-deux voyages à travers le monde vierge, en passant entre autres par l’Antarctique, l’Amazonie, ou encore Madagascar, avec l’ambition de montrer des paysages, des animaux et des personnes qui ont pu échapper à l’influence du monde moderne. En 2014 est sorti Le Sel de la Terre, film réalisé par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado (fils aîné du couple), magnifique projecteur sur l’œuvre-vie de Sebastião Salgado.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
DOSSIER : La poésie brésilienne, des modernistes à nos jours n° 49