Vahé GODEL

Vahé GODEL



Vahé Godel, né le 16 août 1931 à Genève, est le fils d’un linguiste suisse de renom, Robert Godel, et de Méliné Papazian, arménienne originaire d’Istanbul. Plus qu’une origine, une culture qui pèse lourd dans la vie et l’œuvre de Godel, qui nous dit : « J’ai la chance d’avoir une double culture : je ne suis jamais allé à l’école arménienne, mais j’ai appris l’arménien avec mon père, qui m’obligeait à parler arménien à la maison ! ». Robert Godel, passionné par l’Orient, a rencontré sa femme lors d’un séjour de sept ans dans la capitale turque, où il enseignait à l’Université Galatasaray. Arménologue, Robert Godel maîtrisait l’arménien contemporain comme l’ancien. Il transmet à son fils, outre la langue, la sensibilité littéraire et le goût de l’écriture. Vahé Godel, futur professeur de lettres, écrit ses premiers poèmes à l’âge de vingt ans. En mars 1947, il découvre Paris. Vingt-deux ans plus tard, c’est enfin l’Arménie : « De mon premier voyage en Arménie, je crois que je suis rentré moins idiot ».

Vahé Godel, véritable ambassadeur des lettres arméniennes, entreprend de traduire en français les poètes arméniens classiques et contemporains de Grégoire de Narek (945-1010) à Mariné Pétrossian (née en 1960), qui deviennent désormais accessibles en France, Suisse, Belgique et dans toute la francophonie. Davantage qu’un ambassadeur, Vahé Godel devient un passeur de poésie, ce dont témoignent les dossiers en revues (notamment « Voix d’Arménie » in Poésie 1 n°133, 1987, ou « La poésie arménienne d’aujourd’hui » in Bacchanales n°37, 2006), les éditions individuelles (Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Daniel Varoujan, Mariné Pétrossian...) et l’aboutissement qu’est assurément la publication de la fameuse Anthologie de la poésie arménienne du Ve siècle à nos jours (La Différence, 1990. Rééd. 2006), qui lui a valu de recevoir à Erevan le prix de traduction le plus important d’Arménie.

La question (son œuvre en est remplie jusque dans ses titres) que pose d’emblée Vahé Godel est : Pourquoi écrire ? Il répond : « D’où que l’on vienne, où que l’on soit, hybride ou non, déraciné ou non, on n’écrit jamais que pour se prouver qu’on existe - pour se situer, pour prendre corps. » C’est ainsi que débute l’œuvre godelienne, constituée de poèmes en vers, en prose, de romans, de récits, d’essais de traductions et surtout de ces fameux fragments, narratifs et poétiques, morceaux choisis d’une vie, tant physique qu’intérieure, à jamais scindée entre Genève et Erevan : « La démarche était nouvelle et je ne savais pas me prononcer sur ce que j’écrivais, la forme s’est imposée à moi », rapporte le poète, auteur d’une soixantaine de livres.

Chez Godel, la question de l’origine, comme celle de l’écriture, est un questionnement permanent, infini : il n’est pas un seul mot qui ne brûle – tandis que je grave ton nom dans l’épaisseur du vide. La poésie de Godel ne commente pas, elle fomente, elle interroge, sans cesse : Ov (qui, en arménien) ?, Qu’est-ce que le corps ?, Que dire de ce corps ?, Qui parle ?, Que voyez-vous ?, D’où vient l’or de la vie ? Parlez, je vous écoute… Ces corps, tous ces corps, toutes ces solitudes, tous ces gouffres, tous ces refuges successifs, plus ou moins provisoires, plus ou moins durables…

Répondant à une enquête sur « la place de la poésie », Vahé Godel nous dit : Au sein d’une culture et d’une civilisation entièrement fondées sur le paraître, régies par les seules lois du Nombre, du Marché, du Pouvoir, et donc de la Publicité, « la place de la poésie » ne saurait être que souterraine, plus clandestine que jamais : insituable..., c’est à dire en fin de compte, imprenable ! »

Chez Godel, le vide et la nudité conduisent au dénuement : tout sort du vide et y retourne : Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? (..) Voilà pour le corps. Mais moi, qui suis-je ?). Le dénuement est une des qualités de la poésie de Vahé Godel. Le dénuement est tout à fait voulu et ce n’est pas fortuit si le dernier texte en prose de Quelque chose - quelqu’un, est intitulé « L’Or des prisons ». « Si j’enchaîne les mots, c’est pour briser mes propres chaînes », affirme le poète.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules)

 

À lire : L’Or du rien (L’Aire, 2018), Un arbre chante (L’Aire, 2016), Chut… précédé de Rouages (Empreintes, 2014), Quelque chose quelqu’un précédé de Que dire de ce corps ? (Empreintes, 2012), Parlez, je vous écoute (L’Aire, 2012), Rien ou presque (édition des Sables, 2012), Post-scriptum (Cercle des amis d’Editart, 2009), D’une plume clandestine (L’Aire, 2009), Cet invisible oiseau (Le Miel de l’Ours, 2008), Entre deux (La Différence, 2007), La Poésie arménienne du Ve siècle à nos jours, anthologie (La Différence, 2006), Le Sang du voyageur (L’Âge d’Homme, 2005), Le Charme des vestiges (Caractères, 2003), Le Sentiment de la nature (Cadex, 2002), Le reste est invisible (Dana, 2001), Fragments d'une chronique (Metropolis, 2001), La Citadelle du vent (Rencontres, 2000), Ruelle des oiseaux et autres récits (Metropolis, 1999), Zones frontières (Demoures, 1998), Nicolas Bouvier, Faire un peu de musique avec cette vie unique (Metropolis, 1998), Elle, donc (Metropolis, 1997), Un Homme errant (La Différence, 1997), P.S. (Metropolis, 1995), De plus belle (La Différence, 1993), Arthur Autre (La Différence, 1993), Ov (La Différence, 1992), Le Goût de la lecture (Le Dé bleu, 1992), Vous (La Différence, 1990), La chute des feuilles (La Baconnière, 1989), Exclu inclus (La Différence, 1988), Quelque chose, quelqu’un (La Différence, 1987), Les Frontières naturelles (Zoé, 1986), Faits et gestes (La Baconnière, 1983), Qui parle ? Que voyez-vous ? (Zoé, 1982), Chutes et bris (Le Verbe et l’Empreinte, 1980), Obscures besognes (L’Aire, 1979), Papiers d’Arménie (éditions des Prouvaires, 1979), Du même désert à la même nuit (Jacques Antoine, 1978), Voies d’eau (Arcam, 1977), Poussières (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1977), Lac(i)s (Henry Fagne, 1974), Coupes sombres (La Baconnière, 1974), La Valise diplomatique et autres textes (Encres vives, 1973), Les Lunettes noires (Encres vives, 1973), L’Œil étant la fenêtre de l’âme (Grasset, 1972), Épreuves (Millas-Martin, 1972), Cendres brûlantes (Rencontre, 1970), Signes particuliers (Grasset, 1969), Poètes à Genève et au-delà (Georg, 1966), Que dire de ce corps ? (Millas-Martin, 1966), Choix de poèmes (Jeune Poésie, 1964), Entre l’Arve et le Rhône (Jeune Poésie, 1960), Homme parmi les hommes (Seghers, 1958), Morsures (Jeune Poésie, 1954).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Daniel VAROUJAN & le poème de l'Arménie n° 58