Richard ROGNET

Richard ROGNET



Richard Rognet est né le 5 novembre 1942, au Val d'Ajol, dans les Vosges, d’une mère institutrice et d’un père mécanicien dans l’industrie textile. Il prend goût à la lecture dès son enfance et écrit ses premiers poèmes à l’âge de douze ans. Diplômé de l’école normale d’instituteurs de Mirecourt, il étudie ensuite les lettres à l’université de Nancy. Il publie son premier livre de poèmes en 1966. En 1969, il devient enseignant à l’école normale de Mirecourt, puis à Épinal, avant d’intégrer le collège Jules-Ferry comme professeur de lettres jusqu’à sa retraite en 2002.

Richard Rognet vit toujours dans sa région d'origine, à laquelle il demeure fermement attaché. Avec des amis férus de poésie, il a été en Lorraine, notamment à Metz et à Épinal, à l’origine d’expositions marquantes et de fructueuses rencontres avec de nombreux poètes contemporains.

Depuis 1977, il publie régulièrement, cherchant à faire entendre les diverses voix, souvent opposées, qui constituent son univers poétique. Richard Rognet est membre de l’Académie Mallarmé. Il faut, nous dit Paul Farellier, entendre, à des moments, cette voix, inimitable, ce cristal irradiant dans l’obscur, bloc d’anthracite dont les multiples facettes, illuminées, renvoient sur l’âme les plus vives clartés. Une musique où dominent d’ailleurs les timbres tragiques, chromatisme de l’âpreté et du voilement : la trame harmonique s’écartant, délivrant soudain l’émotion, quelque chose comme le cor anglais sur les dégradés assourdis de l’alto.

Discret et humble, Richard Rognet le poète du Val d’Ajol (lieu-dit de Hamanxard, en fait) est l’un des grands poètes de notre époque. Son diptyque constitué de Le Transi (1985) et de Je suis cet homme (1988) est un chef d’œuvre. C’est à Richard Rognet, Porteur de Feu des Hommes sans Épaules (n°33, 2012) qu’est consacré, sous la houlette de Paul Farellier, le dossier central du numéro 55 des HSE. Humilité donc car, qui suit ce qui « porte en soi la fierté – du silence et la gloire de l’ombre trouve l’existence ».

Mais contrairement à son compatriote vosgien Henri Thomas, qui a beaucoup voyagé, vécu à Londres, à Paris et dans le Massachussetts, Richard, a toujours préféré les plaines, vallées, villages et montagnes des Vosges, la vie simple et vraie, mais néanmoins profonde, universelle, telle que nous la retrouvons dans son œuvre poétique. Le poème se situe ici à la lisière du monde, du temps, du dehors et du dedans, du lointain et du proche, « là où la vie ne – distingue plus ce que tu vois dehors de ce qui – vibre en toi, comme le lieu parfait de ta naissance. » Là, ou le brin d’herbe incarne tout le cosmos, en équilibre sur la foudre, le poème et la tombe : Aujourd’hui, au déclin – de ma vie trop visible, - j’étrangle mon poème : - je veux voir l’intérieur, - les passagers confus – qui me frôlent, se taisent. Le poète ne soulève pas seulement le temps, il le secoue comme une nappe, faisant alors ruisseler, vallées, fleurs, enfance, et émotions toujours (rien n’est gratuit dans sa poésie) entre les herbes drues et les tendres, l’arbre et les pierres entre les doigts du jour.

Richard ne cesse de rallumer, l’enfance, le rêve, le souvenir, les vertiges et leurs fièvres, qui portent en eux nos origines ; il ne cesse de rallumer tous les soleils, du sommeil, pour parer au désespoir qui se replie en nous. Car les soleils ne sont bien sûr pas tous jaunes-solaires, mais aussi d’un noir profond, lorsque la solitude, le vide et la mort viennent recouvrir le massif avant de s’écraser sur le poète avec force et douleur (je suis le lit désert d’un grand fleuve ignoré), à l’instar de Baudelaire.

Et quelle constance (est-ce une qualité vosgienne ?), de L’Épouse émiettée (1977) à, vingt-quatre livres plus tard, La Jambe coupée d'Arthur Rimbaud (2019) ; quelle constance dans la qualité, à remuer les pierres brûlantes sous les mots, à s’accorder aux étoiles, au vécu qui s’ébroue et parle en nous, sans jamais qu’il y ait de redites. Le poète ne tourne pas en rond, il a tout l’espace infini devant lui et le silex de ses mots-émotions. Le poète nous le dit : au bouleau qui se dresse – dans la campagne qui se sauve, - j’assure qu’une voyelle – sur le point de renaître – lui donnera forces et racines, - un soleil à lui tout seul.

Enfin, comment terminer sans souligner qu’à la suite de son aîné vosgien Yvan Goll - qui fut lié d’amitié au poète autrichien Rainer Maria Rilke, tout comme Jeanne Bucher -, Richard, lyrique, est aussi et peut-être surtout notre plus grand poète élégiaque ! L’élégie occupe une place particulière dans son œuvre au même titre que chez Rilke et chez Goll. Des Élégies internationales (1915), l’utopie poétique de l’humanité réconciliée de Goll aux Élégies pour le temps de vivre (2012) de Rognet, en passant par les Élégies de Duino (1923) de Rilke, il y a l’utopie poétique de l’humanité réconciliée, la rage de vivre comme doit vivre la vie, « au fin fond de notre présence » et « l’inexprimable dit, élevé à la présence » d’après Lou Andreas-Salomé.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

 

A lire Tant qu'on fera Noël (les Paragraphes littéraires de Paris, 1971), L'Épouse émiettée (Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1977), prix Charles Vildrac 1978, Les Ombres du doute (Belfond, 1979), Petits poèmes en fraude (Gallimard, 1980), L'Éternel Détour (Le Verbe et l'Empreinte, 1983), Le Transi (Belfond, 1985), prix Louise-Labé 1985, Je suis cet homme (Belfond, 1988), prix Max-Jacob 1989, Maurice, amoroso (Belfond, 1991), Recours à l'abandon (Gallimard, 1992), Recul de la mélancolie (Amis de Hors Jeu, 1994), Chemin Bernard (Le verbe et l'empreinte, 1995), Lutteur sans triomphe (L'Estocade, 1996), prix Apollinaire 1997, L'Ouvreuse du Parnasse (Le Cherche Midi, 1998), Seigneur vocabulaire (La Différence, 1998), Juste le temps de s'effacer suivi de Ni toi ni personne (Le Cherche Midi, 2002), Belles, en moi, belle (La Différence, 2002), Dérive du voyageur (Gallimard, 2003), Le Visiteur délivré (Gallimard, 2005), Le Promeneur et ses ombres (Gallimard, 2007), Un peu d’ombre sera la réponse (Gallimard, 2009), Élégies pour le temps de vivre (Gallimard, 2012), Dans les méandres des saisons (Gallimard, 2014), Les Frôlements infinis du monde (Gallimard, 2018), La Jambe coupée d'Arthur Rimbaud (L'Herbe qui tremble, 2019), Le Porteur de nuages (Corlevour, 2022).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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