Collection Peinture et parole
En attendant qu'ait parlé le Grand Cerf
Préface d'Odile Cohen-Abbas
Alain BRETON
Poésie
ISBN : 9782912093899
94 pages -
15 x 21,5 cm
20 €
- Présentation
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« Bien sûr, nous sommes séparés – fontaines, étoiles, chances ! Vents qui passez ici, qui avez tant appris de l’azur, nous vous attendions. Et voici que nous régnons ensemble, dans les règles voulues par le chien et la rose. »
Peut-être l’auteur a-t-il choisi le Grand Cerf parce qu’il fait l’alliance avec ses bois entre la terre et le ciel, et dans ce chapiteau qui se tisse d’air et de prodigue matière, entraîne toute la création.… Nous suivons le Grand Cerf là où Alain Breton l’intronise, le consacre en royauté. Bien sûr, à ce stade, nous voudrions savoir qui Il est. L’Autre, nous-même, l’altérité, le vide, le sacrifié, le néant, l’infini, le messianisme ? N’est-il pas dans la clarté le Grand Cerf apprivoisé et non révélé ?
Alain Breton, né en 1956 à Paris, est l’auteur d’une vingtaine de livres. Il est aussi membre du comité de rédaction, depuis 1997, de la troisième série de la revue Les Hommes sans Épaules, et amateur de jazz. Il a reçu le Prix Mallarmé 2024 pour Je ne rendrai pas le feu.
Écrire ? Une neige soit brisée. Des ombres soient augmentées. Autant de rêves, autant de sommeils chantants.
Que toute l’eau aille boire au baiser de la source !
*
Arbre, dévoile-toi, ami des hommes et du moineau distrait, dévoile-toi dans ton abondance austère. Comble tes failles, compte tes mérites ; désigne-toi festin du feu. En toi, des ombres se désolent. La terre t’a pétri, l’air t’a éprouvé. Que demandes-tu, vaste, au soleil qui te tissa dans les lampes ?
*
Une étoile le connaît aux fenêtres perdues. Nous l’appelons pour que souvent il se dérobe et nous le supplions.
Le chat, même lorsqu’il vient frôler : féroce inconstant, poussah parcimonieux, mais toujours maître d’une légende tranquille.
Sa voix fait le blâme et l’enchantement.
Ainsi il va, depuis les temps anciens.
*
Que la forêt soit, qu’elle conduise le ciel vers le gouffre des arbres, vers les plaies invisibles du jour ; que la pluie soit aimante, que la lumière obéisse au canard, grand hurleur facile, qu’elle vacille, s’exalte.
Le soir, entend-elle la voix qui meurt dans les ramiers ?
*
Oh le baiser qui s’embaume en délivrant l’ennui — fétiche des guets obscurs. Le baiser, l’incroyable, celui des crieurs, des étendus, des agenouillés
— puis, sans attendre que la lampe dise oui, que le robinet épuise son brin d’eau, te choisir, nuit.
Alain BRETON
(Poèmes extraits de En attendant qu’ait parlé le Grand Cerf (Collection Peinture et Parole, Les Hommes sans Épaules éditions, 2025).
Lectures :
Lyrisme assumé, lumineux, en dialogue avec les peintures (collages parfois ?), saisissantes de justesse abstraite et d’intuition. L’ensemble irradie le souvenir d’une beauté sans cesse recommencée, captée au vol à son insu, comme si l’on se retrouvait enfermé quelques minutes (heures, jours, années-lumière : leur confusion bienvenue) dans un jardin hors du temps.
Le vol d’un oiseau, son ombre fugace, la mélodie d’un ruisseau, le friselis d’une robe - rien de tout cela n’est à proprement parler décrit et pourtant : on en ressort avec la sensation d’émerger du rêve d’un mage, un peu sonnés de devoir retrouver le RER matinal et les escalators d’acier.
Demeure la lumière. Merci Alain Breton.
Adeline BALDACCHINO, 25 juin 2026.
*
Avec Alain Breton, la poésie retrouve son pouvoir d’enchantement. Sa puissance évocatrice est dans le pacte intime qu’il noue entre les mots et la nature, épurée et rendue à sa pureté originelle. On est là, comme le « Grand Cerf » mythique du titre semble l’indiquer, dans une sorte de pratique chamanique de l’écriture qui révèle, derrière les apparences, un monde sacralisé et harmonieux où les animaux parlent, où les arbres sont des complices bienveillants, où le ruisseau est un ami, où l’herbe est accueillante. Ce qu’il évoque, dans sa méditation active, relève d’une sorte de mystique immanente du lieu où il vit, avec ses murets, sa rivière, ses talus, son chat, les arbres, la neige parfois, la pluie, le vent, le jour, la nuit, autant d’entités vivantes – rien d’abstrait – qui l’accompagnent dans sa quête. Son illumination, qui n’est pas sans rappeler celle décrite par Rimbaud dans Aube, éclaire sans chercher à la résoudre l’énigme d’être au monde : le mystère doit demeurer mystère, mais se donne à saisir charnellement derrière le sens par une sensibilité constamment aux aguets. Il se dégage de ces poèmes, qui sont de véritables hymnes à la nature, une intense volupté qui irradie et tend à devenir cosmique, d’autant plus qu’on y sent la présence de la femme aimée, du moins son souvenir et l’espoir de son retour.
Un extrait sera le mieux à même de rendre l’esprit de ce livre, par ailleurs superbement illustré par les peintures de l’auteur :
« Notre aurore s’effaçait dans les fleurs errantes. Nous avions souri au monde facile : les sources se donnaient à nos regards, des criquets accordaient des audiences ; les herbes recevaient. Même l’araignée fit un pacte avec la fougère.
Juste dire merci lorsque merci est une offrande. »
Il y a, comme ça, des livres qui ont encore à voir avec la merveille.
Alain ROUSSEL, juin 2025.