Collection Les HSE
Je ne rendrai pas le feu
PRIX MALLARMÉ 2024
Alain BRETON
Poésie
ISBN : 978-2-912093-80-6
170 pages -
20,5 x 13 cm
15 €
- Présentation
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Alain Breton est le poète, magicien onirique, qui se métamorphose au gré de sa fantaisie, sa profondeur exquise, sa dérision salvatrice, sa précision étrange qui ouvre une porte cachée donnant sur les escaliers dérobés de nos esprits. Avec ce nouveau livre de poèmes, nous retrouvons la splendeur des images et la langue chatoyante, la sincérité de ton du poète Alain Breton, ainsi que sa force neuve, intacte, jouissive, d'où découle cette capacité à s’émerveiller et à entraîner le lecteur, qui n’a jamais la sensation d’arpenter un sentier déjà emprunté et balisé.
Alain Breton feint de se plier au quotidien, pour mieux le désarticuler, le dépasser. Tout est sublimé dans le poème, à coups de rasoir, un instant suspendu dans la masse de l’air, et dans ce que nous ne devinons pas de la vie réelle : blessure et grâce, meurtrissure et baume ; où rien n’est jamais exploré au hasard, prolongeant une légende, qui est aussi une épopée exceptionnelle de la langue.
Alain Breton a reçu le PRIX MALLARMÉ 2024, pour Je ne rendrai pas le feu et l'ensemble de son oeuvre.
Juste derrière la trace
Elodia Turki
C’est bien moi pourtant ce portrait des frayeurs
moi qui ai chassé l’horloge avec un gros calibre
jeté quelques vieux sorts dans le chaudron astral
et poursuivi le corbillard
qui ne veut plus rendre le mort
moi qui remontai la pluie jusqu’à l’Énéide
jusqu’à la première seconde du colibri
en musique certes ayant mal appris le glissando
du fait d’un litige avec la roussette
C’est bien moi par Dionysos enivrant les abysses
avec si peu de vin
une pinte de bière
une larme de nébuleuse
C’est bien moi
le gladiateur du Carnuntum
avec pour seul bien d’avoir reçu en partage
l’horreur aimable des familles
moi qui fus l’élève des sciences perdues
plus que de l’art qui n’est pas bonté mais entaille
C’est bien moi si je t’aime attelé à tes yeux
*
J’aurais pu être
l’autre et le tout
Guy Chambelland
Poète ce sont les rêves qui te choisissent
où l’on se cache parmi fleuves et forêts
avec l’ortie cette aumônière
où l’on offre à minuit la balle d’argent
au loup-garou
Poète tu es là
pour embrasser les collines du Murmure
boire le vin de la molasse marine du miocène
et voler à la lavandière
mieux que l’huile d’Alep des plus fins savonniers
Poète toi qui es ce verrier
soufflant dans une pipe d’opium
un jour tu connaîtras les adeptes du krill
la baleine le cachalot
par le baiser qui les unit
et peut-être pourras-tu plusieurs fois mourir
par un chas de la mer
sans jamais lasser le Donneur d’embruns
*
Te voici ma vie d’homme
nous avions fait ce long voyage
Jean Breton
Et ce voyant
l’irisation de sa roulotte
pour dire ton enfance
ses séismes
son zèle de sémaphore épelant
la crue des blessures lustrales
où l’orchestre des bleus
fut averse d’opium
Il reste à mettre le feu
au lieu à la formule
Une merveille suffira
Or j’ai choisi l’abeille
et le chant de l’oiseau
pour qu’ils deviennent
menuisiers des ailleurs
*
J’aurais le parapluie qui choisit son averse
aucun toit pour ne pas encombrer le ciel
Yves Martin
En moi le barreur de feu
en moi le bouilleur de cris
car il faut bien quelques atrocités d’orfèvre
quelques coupures un cor au pied
quelque Icare décorant le soleil
Mais je dis moi et le monde est vite plein
et je pense à l’Éden
au lit où le serpent rit fort avec la pomme
Je pense à Dieu gentleman du dessus du dessous
qui s’exaspère au plus petit malentendu
Je pense aux femmes
autant de bracelets de reptiles
d’où naquit la muraille de Chine
et j’appelle Mon colonel
toutes les statues martiales
Je suis poète dis-je
mais pour avoir l’éloge de la horde
mentirai-je à tous même au glaïeul
trahirai-je le pays des rivières
Alain BRETON
(Poèmes extraits de Je ne rendrai pas le feu, Les Hommes sans Épaules éditions, 2024).
Lectures critiques :
Déesse facile par la rose et la ruse
Surgie fendue d’entre les songes
entre tes seins et moi tous les pilleurs d’épaves
C’est toi la femme qu’un nécromant sortit
de sa cornue
durant l’émeute des oiseaux
J’appréciai sur ma peau tes couchers de soleil
Je n’ai aimé que toi puis j’ai brûlé les draps
Chaque recueil de poèmes d’Alain Breton étonne et détonne sans effacer un sentiment intime de familiarité. L’explosion des mots, non sans sagesse, révèle des alliances insoupçonnées.
Donc j’ai fait civilisation
j’ai fait beauté au seul défaut de l’herbe
j’ai fait rêves pour enrayer la pourriture
j’ai fait splendeur et bassesse
j’ai fait soleil mystérieux de ma face
j’ai fait éternité de mon absence
mais je n’ai pas trahi
Tout peut être dit suggère Alain Breton. Encore faut-il connaître la symphonie des mots pour en faire une fête salvatrice, non qu’il y ait quoi que ce soit à sauver de personnel mais la beauté, la liberté, l’amour… des puissances sans doute éternelles en soi, indépendantes de ce qu’en font les êtres humains avec leur expression sans cesse contestée.
En libérant les mots et les sons du carcan des préjugés et conditionnements, c’est l’espace même de l’être qui se désencombre. De nouveaux mondes apparaissent. Ils sont internes, externes, ni l’un ni l’autre. Le défi ultime, celui qui nous réintègre à notre propre nature, appelle la restauration d’un rapport secret au son, au mot, à la langue pour abolir les temps ou jouer avec, suspendre les causalités trop linéaires, choisir les tourbillons qui en leur centre préservent un lieu exquis.
Pendant qu’allaient et venaient
les Bönpos du mont Kailash
j’ai laissé quelques transes
chez les poneys des steppes
négligé des saillies pour la part du Diable
Compagnon des corsaires
j’ai capturé des îles fraîches
pleines de nèfles et d’oiseaux
chanté sous des nuages splendides
près des cercles respirants d’Asger Jo
nagé aussi dans l’eau de Lyre
en piétinant les herbes récitées
et demandé l’hospitalité au lièvre qui court
sans jamais s’arrêter
Beaucoup de poèmes apparemment réussis ne franchissent pas avec succès les lèvres. Dits sur scène, ils tombent lourdement au sol sans atteindre et réveiller les esprits de ceux qui entendent. Lire les textes d’Alain Breton à haute voix, donner vie aux images, permet de pénétrer des états nouveaux où la distinction entre le rêve et la réalité s’estompe.
Poètes je suis venu voir vos boiteries les miennes
les broderies dans vos douleurs
Le saviez-vous
je vis poète je mange poète je lis poète
Jadis j’ai été décoré des ordres
du rire et du sanglot
aussi de la rivière fabuleuse
des cris de plaisir de l’hirondelle
Rémi Boyer (in lettreducrocodile.over-blog.net, février 2024).