Alain SIMON
Notre ami et collaborateur Alain Simon est décédé des suites d’une longue maladie, dans la nuit du vendredi 22 avril 2011. Les HSE venaient de publier son beau dernier recueil : Dans le bleu détruit des fenêtres (Les Hommes sans Épaules, décembre 2010) : Cheval mon ami je tiens à mes jeux mes surprises - rites de mésange et boisseau des paupières - là exactement là dans cette erreur - quand les femmes dégainent leurs seins - parlent de jouir parlent d’une tasse - et ce sera une assiette puis la mer - les femmes au parfum de naufrage bien sûr - tout est de leur fait sans être de leur faute - et la poésie en chacune d’elle construit ses arceaux - la mort en procès fait appel on dira que je fuis - avec mon athamé avec mon héritage - une simple cordelette au poignet - Ah que d’amours chiennes d’amours bêtes - ah que revienne avec ses joues de jaspe - ma fiancée première au sexe sans histoire au sexe de pétale où chaque fois plonger - mystérieusement - La mort l’entrebâiller la mort avec audace - je ne peux qu’en rêver piètre résurrection - au goût de mandarine et de pierre à fusil.
Poète, romancier et peintre, Alain Simon dit le salé, artiste singulier, esprit nomade, îlien de cœur, tatoueur de mots, poète de la femme, homme de l’amitié et de l’humour acerbe, peintre insolite, amateur de jazz, de musique baroque, de grands vins et d’alcools durs, est né le 3 avril 1947, en Bretagne, dans le Finistère. Il a suivi des études supérieures en biologie et en sciences humaines. Frère des Hommes sans Épaules, il fut aussi l’un des piliers et des principaux fers de lance du Pont de l’Épée, aux côtés de Guy Chambelland. Au terme de cette aventure, qui sera suivie par celle du Pont sous l’Eau, Alain Simon fonda les éditions des 4 Fils, où il publia essentiellement de jeunes auteurs. Il quitta la métropole pour aller vivre à Tahiti en 1989, avec son sac de marin et sa vieille Remington : « C’est clair, j’ai cinquante ans et plus, je ne veux plus rien à moi, ni maison, ni femme à demeure ; j’échange seulement mon ignorance contre ton savoir éblouissant, toi qui me troubles et qui ruines les apparences mieux qu’un volcan insatisfait. Nous avons fait le tour de l’île dans le sens des horloges pour que l’esprit revienne aux fleurs, pour que chantonne le lagon morcelé pour l’éternité, avec ses piroguiers qui s’interrogent sur notre identité réelle. »
Il est d’emblée fasciné par le monde occulte polynésien - sans doute à cause de son goût pour les arts divinatoires et le chamanisme - le mana, qui va influencer son travail : « Je pense à nous tous, êtres humains, dans nos coquilles, je pense à l'infiniment petit et à l'infiniment grand, comme tous les Tahitiens qui ne connaissent pourtant pas Leibniz mais qui ont acquis des pouvoirs à force de contempler le lagon, la mer, les îles jamais immobiles, toujours en vibration, à définir espaces et contre espaces, champs du visible dans l'invisible, sans un mot de trop, pas comme moi bien sûr, le beau parleur, le phraseur bénéficiant d'aides irréfléchies, celles des femmes de tout poil avides de musique et d'entrechocs étranges. Les mots parfois ricochent parfois me hantent, certains sont des pièges, d'autres sont des palmes pour me sortir de trop d'obscurité intime et me remonter à la surface des choses, me faire renaître entre deux bras de caoutchouc. Et d'exhiber un nombril sans aucune crasse, un pito extasié. Mon masque est devenu mon visage vrai et seules quelques rides autour des yeux et de la bouche témoignent maladroitement d'un passé lourd. »
Sur place, il se fait vite remarquer par son humour acide et son tempérament excessif, menant de front, une œuvre polymorphe de poète, de romancier et de peintre ; un peintre qui n'a reçu d'enseignement qu'au gré du temps et des rencontres et qui ignore tout de la peinture si elle n'a pas pour ambition de changer la manière courante de voir et de sentir. "Un peintre se reconnait à la quantité de tableaux insignifiants qu'il n'a pas exécutés", affirme-t-il lors d'une interview à la télévision. Coloriste, il va peaufiner la technique du pastel « augmenté » d’acrylique ou d’huile au cours d’une quinzaine d’expositions sur les thèmes de la gestation et de la magie. Après quinze ans passés à Tahiti, il partagea son temps entre l’Île de la Réunion, la Bretagne, l’Espagne et le Portugal, avant de s’installer dans le Tarn-et-Garonne.
Lire Alain Simon est un régal, tant il raffole de choses fines, tant il exprime de sentiments rares en bateleur d’un cœur énorme et marmiton de nos magies, en faisant fusionner, grosso modo, les sortilèges du surréalisme et l’écriture du quotidien. Son prétendu dandysme était une pudeur, dont il s’est pour partie défroqué avec le temps ; sa préciosité une recherche esthétique, une quête du Graal, dont il s’est grandement rapproché depuis quelques livres ; son sens du pittoresque, du nanan enrobé de feinte désinvolture. Mais quelle puissance lyrique chez cet ermite ambivalent ! Et quel sens de l’image !
L’écriture d’Alain Simon, poète aux yeux d’îles en flammes, est l’une des plus pertinentes de sa génération. C’est peut-être et même sûrement à Tahiti, qu’il donna le meilleur de sa création ; des tableaux, des romans et surtout des poèmes, dont Tabu mon royaume, est l’un des plus hauts pics, un chef d’œuvre d’Alain, à côté de titres plus confidentiels, tels que : Tahiti convoitise, Tatoueuse Étrange, Délire à la Cook, Taravana in Love, Dans l’œil de Mata.
De Tabu, Alain écrit : « Dernier coup d’œil sur ce texte avant sa publication, je ne peux m’empêcher de repenser à tous les avatars qu’il a subis depuis sa mise en chantier qui date d’octobre 1989, à mon arrivée en Polynésie. Les premières notes n’ont pas résisté à l’épreuve des vagues. Mon sac de marin ayant été habilement inspecté sur le pont du Taporo IV, tout ce qui concernait mon tour des îles de la Société, poèmes sur le vif, croquis, Maupiti mis à part, a bel et bien disparu. Du voyage aux Marquises de 1992 il ne reste que quelques divagations sur les tikis (j’orthographie parfois à la française). Plus tard quelques dépressions cycloniques ont réduit tous mes cartons à dessins en bouillie, d’abord à Moorea puis à Papenoo et à Punavai… Quant aux femmes, je ne crois vraiment pas les compromettre en égrenant ce charmant chapelet de prénoms (francisés) au demeurant très courants. Certaines, comme Poé ou bien Paré, mériteraient un hommage entier comme ce fut le cas pour la Tiaré de Tatoueuse étrange, et la Kahara du Délire à la Cook. Autre mot d’importance en Polynésie, et qui claque également aussi fort qu’un drapeau : le Mana. Tandis que le mot Tabu a survécu à l’usage, pour ne pas dire au contresens freudien, le second a de beaux jours devant lui dans une acception qui renvoie non seulement à la magie mais aussi au génie politique, au pouvoir sur la réalité et sur autrui. Je constate pour ma part que les textes que j’ai glissés dans la chemise Mana ne se sont pas envolés et qu’ils attendent bien sagement une publication qui ne saurait tarder… Avis aux amateurs d’émotions fortes ! La vie et la mort ne font qu’un, en Polynésie. Cette dimension sacrée rend improbable toute autre perspective que d’occuper la dite réalité « au jour le jour », avec tous les excès de l’esprit nomade, dithyrambique et dionysiaque, la nuit surtout, à l’heure de la coureuse - même si l’importante communauté chinoise de Tahiti a décidé du contraire. Cohabiter dans le futur avec l’esprit de plus en plus virtuel d’un Occident rivé à ses ordinateurs ne sera pas facile. Il y a de ces maladresses, disons-le, salutaires… »
Alain est probablement le plus grand poète de la métropole à avoir vécu et écrit à et sur Tahiti et la Polynésie : Océan parfait - Au goût de câpres - Comme le vrai fafaru - Encore faut-il déchiffrer - La souffrance au ras des vagues - Si l’écume mène le monde - Encore faut-il savoir marcher sur l’eau.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
À lire :
Poésie : Etat du coeur (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1971), Déhiscence lasse (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1973), Rien le poète (éd. Chambelland, 1974), La Fille en gouache (éd. Chambelland, 1976), Cérémonies nerveuses (éd. Chambelland, 1977), Les Virtuoses (Le Pont de l’Épée, 1978), Chérubin (Les 4 fils, 1985), Sœur, gymnaste (Le Pont sous l’Eau, 1988), La Nuit des godeurs (Galerie Racine, 1990), Tahiti convoitise (Polytram, 1995), Tatoueuse Étrange (Polytram, 1998), Délire à la Cook (Polytram, 1999), Tabu mon royaume (éd. Librairie-Galerie Racine, 2002), Taravana in Love (HC, 2002), Dans l'oeil de Mata (HC, 2003), Native Natale (HC, 2004), Marottes pour un îlien privilégié (Le Pas de la Colombe, 2007), Dans le bleu détruit des fenêtres (Les Hommes sans Épaules, 2010), Le Peigne dense (éditions de l'Atlantique, 2011), Tristes garçons, la mer & 17 poèmes tahitiens (Les Hommes sans Épaules, 2012).
Proses, romans : Natale ou la Chinoise esseulée (Le Pas de la Colombe, 2004), Aina le mythomane (Le Pas de la Colombe, 2005), Avec Bertile dans la moiteur (Le Pas de la Colombe, 2006), Drapés minute (Le Pas de la Colombe, 2008),
L’amour en ses marées
L’amour me reste en creux
Et ses élixirs
Que tu puisses y boire
Toi sans repentir
Ordinaire fille
Qu’on a expulsée
Toi nue presque noire
Des fougères lentes
Faisant choix d’un chœur
Faisant choix d’un peuple
Muette parfois
Méthodique aussi
Lèvre courageuse –
Crois-tu me convaincre impeccable masque
Avec tes hoquets comme emportée folle
Plus ensorceleuse à bout de patience
Qu’une Chine ancienne avec ses passions
Pour s’offrir brisée
Au bout d’une marche –
Je te prends au jeu
Je te prends fiévreuse
Morcelée multiple
Je te fais facile
Instrument debout
De ma mort prochaine
*
Je n’irai pas plus loin que l’arbre de la sente
Que la cavale pas aussi bleue que celle du peintre fou
Et une mer en quelque sorte époumonée
Je vêtirai tes pieds de bourre de coco
Tu auras chaud tu deviendras fertile
Tu seras l’enchantement du Vendredi saint
Qui fait d’un orage sur l’île une prière
Et d’un morceau de bois dans ta main
Une idole pour satisfaire aux noces
Je ne veux pas dormir dans cette confusion
Entre les émois et les cultes je décline
Mes titres je décline ma chefferie mon appartenance
Et même si j’ai frôlé souvent la mélancolie des montagnes
D’où tu viens un pays dépouillé de tout artifice
Je ne voudrais te corrompre avec des mots avec des étoiles
Te faire partager mes clous mes planches
Passion jugée trop froide par beaucoup
Si tu n’ouvres tes mains si tu ne m’accordes
De quoi emmailloter notre amour notre idéal
D’une épaisseur dans le tabu
Qui fasse date et où je te rejoigne
*
À l’aube c’est toujours après t’avoir vue Absente comme assise sur une branche humide Parmi de courts aventuriers de la danse et du sexe Techniciens pas assez humbles pour leur savoir
Je ne t’ai pas parlé d’amour j’ai faim Je dévore des espaces comme des routes ou des rails Et même des arbres et leurs racines J’accélère encore je crie je crache des anguilles Je célèbre un deuil de plus en plus léger Une naissance à venir : ainsi d’approfondir notre demeure notre désir il n’est pas besoin de clefs Ni de serrures nul besoin de collecter Tous les vents de la Terre pour en faire un chant
J’entends une fusillade c’est une fête On trinque entre amants avec des coupes pleines Dans des auberges du même bois que les clarinettes Êtes-vous des fantômes mes fiers compagnons
Encore une mère encore un remède contre le temps Je veux voir se lever dans ton ventre Deux petits poings de fierté.
*
L’élégance est dans la manière bien sûr Comme dans le lancer des couteaux Comme de faire un ourlet rapide à même la peau
Sache que nous sommes toi et moi de la même extravagance, du même éther Dans le sens des préraphaélites Nous sommes du même baptême
Humeur passionnée Je t’aimerai toujours Gravide, hospitalière Je t’aimerai fontaine ou je t’aimerai pluie Dévorant tes quartiers découpant tes fuseaux, marmonnant D’incompréhensibles prières
Pour graver cet amour face aux tempêtes Je te dois ma mort et d’y renaître Ainsi parlait dans une Chine ancienne En amphore la porteuse d’eau
Coiffure de guerre nous y sommes contraints J’agite toutes sortes de castagnettes Pour que tu consentes à comprendre qui tu es Si je titube aveugle je te vois très bien Beau masque avec perles et nacre Je couvre tes beaux seins de branches de fara Je râperai ton âme pour mon po’e l’adoucir Je suis ton couturier : aiguille initiatique Je suis ton père vrai je te prie je te parle D’une prison et des jeux de hasard Et d’une plume rouge dans le corps d’un requin
Tu as beau agiter des doigts palmés
Pour faire croire à de la méditation et du rêve Je viens de plus loin je t’enfante Je suis le chef du deuil et des symboles Te tenir alertée tu t’épiles les lèvres Je ne me moque pas si tu te dissimules Derrière cinquante kilos de rêve et de douleur Cela mérite bien une fleur un poème Qui te tatoue au petit point du sexe
*
Alors viens ! assieds-toi sous cette treille dans la mousse Que tu aies peur m’encourage à trouver des mots doux –
Mais il y a le pays puissance végétale Il y a les mœurs particulières comme d’éplucher la peau des pêches Et chacun de nos amis possède un petit grain de folie On cherche à vivre de volupté et de paresse Avec la joie de se séparer du Dieu des livres Avec la courtoisie d’un jeu qui se veut simple
Dénouant des fils invisibles ne pouvant donner Vahine Taina qu’une offrande de lune lourde et pleine Je peux moi dérouler des mots comme en pelote Je te découvre dans un bourdonnement de ruche ardente Je tiens à cette loi intime qui m’enfume Jour après jour récompense presque inavouable Du plus obscur en toi de la douleur des femmes
*
Ce matin je suis encore vêtu de feuilles de 'uru Qui craquent sous le vent et font fuir les mainates Étrangement revenu parmi les vivants Déguisé en faune Et fredonnant je ne sais pourquoi un air de Scriabine Qui attire les insectes qui doivent mourir -
Je pense à te faire encore un cadeau Je ne peux t’approcher les mains vides Même en sang je chercherais quelque présent Puisque Hina la Grande m’encourage à t’enclore Dans la perfection des archétypes dans l’art De semer ce qui me nourrira bientôt Tu pourras m’offrir ton miel Ceci cela dans tes doux replis –
Limbe encore je te parle de ce lobe d’astre Et tu critiques mon amour des couleurs Un peu rapide un peu mentale Ainsi le rouge d’une soie écarlate Qui cherche un peu de ta brusquerie sur un fil Il n’y a pas que ton ignorance qui m’émeut Ton ignorance de ma voile Provocatrice depuis tes seins jusqu’aux épaules Modelées pour l’amitié et tous les pièges
Dans cette aventure tu auras de la chance Je ne peux te trahir qu’en récompensant l’ange Qui parle de testament de miracle liquide Breuvage quotidien maître dans l’art du couple Je suis le voyageur permanent éternel Tu es mon amour vrai ma gemme mon orient
Que vient faire le mot sérail dans le poème de ta bouche S’agit-il de venger la mort d’une sœur très jalouse Et si tu danses je préfère gesticuler comme un oiseau
*
La vie n’est pas sans dangers C’est une simple amorce de dialogue J’ai besoin de remonter les berges De faire mouche Pas question de douter, trébucher, finir Comme un hareng dans une assiette J’ai besoin de téter ta langue
D’être aux petits soins De remodeler une légende Avec ton dos avec tes hanches Mystique à te toucher je reprends goût À du concombre à de l’artichaut Coïncidence à ce qui surgit dans tes yeux À de la seigneurie qui décontenancera Tous les témoins ces grands falcattas Qui glissent insensiblement vers le lagon
Je veux te couvrir de plumes Celles du phaéton celles de la pensée Mon rituel contre le tien Je veux ta sève et bien plus Jusqu’à tes larmes je veux ton sang Et que tu demeures ce fruit Inconvenant mais clair Au mépris des interdits Je te fais confiance
*
Jouant de ses nerfs Oiseau du voyage Une ivresse courte, une île Faisant encore une fois l’ours Dansant pour d’humbles passants Écrivant avec son ongle encore Un autre billet doux Dans le sang noir des ancêtres (Noir puisque l’encre de Chine) Trouvant la légende de ses yeux Ouvrant son corps comme une porte Comme un mot qui s’ancre au ciel Et sans religion aucune si Ce n’est de l’enchantement - Je te précise familière Je mesure ta tyrannie Au nombre de tes chiens fidèles Sirènes ou amies noceuses Au jet de sueur répandue Dans les dancings où tu te poses En fleur aveuglante Dancings ou rings sait-on Tu te nourris des cendres
Rieuse entre les combats Comme la mort joueuse avec ses cloches Et ces nids qui n’atteindront pas l’aube
Tu es née en novembre mois de Te ta’i Mois de la bonite et de la bonté Tu es du grand voyage mais t’attardant Un peu trop aux prémices Même si tu as coupé en deux parts Ta mélancolie et j’en ai pris une Parmi les cochons les coqs et la marmaille
Tu as peur de te montrer en ville D’être soudainement défigurée Par quelqu’un qui t’aimerait à la folie Qui ouvrirait ta belle bouche
Pour t’inoculer plein de symboles indigènes T’injecter une humeur barbare Pour écrire seulement son nom Au creux de ton genou trop civilisé
Alors tu veux des cadeaux des chants Des écritures pour ne pas mourir Sans avoir récolté le fruit De ton sacrifice
Alain SIMON
(Poèmes extraits de Tristes garçons, la mer & 17 poèmes tahitiens, Les Hommes sans Épaules, 2012).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules
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