Antoinette JAUME
Voici une œuvre de vraie méditation ; un poète – et peintre tout autant –, aborde, dans son authentique langage d’artiste, les thèmes majeurs d’une métaphysique : la vie, la mort, les choses, les mots, la conscience, le temps. Est-il besoin de dire qu’Antoinette Jaume n’entendait pas donner la «traduction poétique» d’un système philosophique ? C’était son expérience propre, vécue en poésie, qui produisait d’elle-même les interrogations fondamentales, nous conduisant pas à pas dans une exploration des profondeurs. Si elle sondait les abîmes de l’être, s’attardant aux visages, dont elle était fascinée, elle y parvenait comme en dépit des images et des mots qu’elle employait, frappés d’emblée, et paradoxalement, d’une sorte de soupçon radical qui s’est, en particulier, exprimé dans Rives du temps : Le gouffre étreint et voudrait révéler/ le mensonge des images ces noms qui/ ne nomment pas ces mots / qui ne disent pas tout à fait ou encore : Les choses traquent les mots / jusqu’au bord de leur nuit. Ainsi le questionnement, avant même de s’adresser à l’être du monde, semble éroder nos propres facultés de perception et d’expression. Et le poème se tient en lisière. Du temps, de la mort, il se veut simplement la rive d’où le néant semble proche, peut-être continuité autre peut-être/ mémoire et recommencement. Au terme d’une intense et insistante méditation de la mort, le monde renoncé, une vie est légitimée hors du temps. Pour autant, chez ce poète, vibrant de ce qu’elle a appelé son exil intérieur hors d’âge, jamais la profondeur de la pensée n’a pu nuire à l’élan du poème ; elle exaltait au contraire, même dans le ténu d’une écriture aussi maîtrisée que sa peinture, où l’immobile affleure, où le silence effleure, une beauté toujours grave et sereine, qui, par-delà la nostalgie d’un injoignable paradis, atteignait à la sagesse.
L’œuvre et la personnalité d’Antoinette Jaume restent par ailleurs inséparables de l’aventure exemplaire de l’association et de la revue La Sape, que connaissent tous les passionnés de poésie et dont elle fut, avec Maurice Bourg, la fondatrice puis l’animatrice pendant une trentaine d’années. Parmi les très nombreuses activités qu’elle y déployait, la chronique de poésie par de pénétrantes notes de lecture ne fut pas la moindre : Antoinette Jaume savait reconnaître, parmi les voix, celles qui sonnaient le plus juste. Antoinette Jaume, originaire du Bas-Quercy montalbanais, vivait et travaillait à Montgeron (Essonne) depuis 1957. Après avoir pratiqué la reliure d’art, reconnue par un Prix prestigieux, elle a mené, dès 1970, son œuvre double de poète et de peintre (elle signait Jaume-Boyé). Outre les nombreux salons auxquels elle a participé, d’importantes expositions personnelles lui ont été consacrées en 1981, 1989, 1991 et 1997. Elle est décédée en 2009.
Éléments de bibliographie
Poésie : Signes réversibles, Paragraphes littéraires de Paris, 1973, Pour un parcours dans la rosace, Chambelland, Paris, 1974, Égrégore, poésie, éd. St-Germain-des-Prés, Paris, 1976, Abrupts, Le Cormier, Bruxelles, 1978, Lieux, collection de la revue La Sape, Montgeron, 1983, Inachèvement de la toile, Le Cormier, Bruxelles, 1983, Instances, Dominique Bedou éditions, Gourdon, 1989, Rives du temps, La Bartavelle, Charlieu, 1995.
Roman et nouvelles: Retour à Solera, roman, Talus d’approche, Belgique, 1995, La jardinière des ombres, nouvelles, La Bartavelle, Charlieu, 1998, Le Temps du sel, récit, L’Amourier, Coaraze, 2000.
Essai: Missolonghi, Champ Vallon, collection « Des Villes », Seyssel, 1991, L’éblouissante audace d’une aurore, Centre international d’études poétiques, Bruxelles, 1998.
Sur l’œuvre picturale d’Antoinette Jaume: on pourra consulter : Antoinette Jaume-Boyé, Texte de Marc Vaution, Dossiers d’Art contemporain, Éd. Porte du Sud, 1991.
Paul FARELLIER
(Revue Les Hommes sans Épaules).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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